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M. F. Georges Müller-Beeck, examine, dans les Verhandlungen, les transformations qui se sont opérées depuis quelque temps et continuent encore à s'opérer en Chine, en Cochinchine et dans le Tong-King. L'attention est en ce moment dirigée de ce côté, et ceux qui voudront étudier cette question trouveront dans le travail que nous indiquons des renseignements, des documents et des vues dont ils pourront faire leur profit.

L'article qui suit est de M. Buchta et s'occupe du Soudan et du Mahdi. Le grand intérêt qui s'attache actuellement à cette question nous fait donner à notre analyse beaucoup plus d'étendue que nous n'avons accoutumé de le faire.

Le Soudan et le Madhi.

Les événements accomplis dans le Soudan, événements qui ont étonné le monde civilisé, n'auraient pas eu lieu si, en Égypte, on avait prêté une sérieuse attention aux débuts du Madhi. Les choses en sont maintenant venues à un point où le Soudan peut être considéré comme perdu pour l'Égypte. Afin de comprendre la marche des événements, il est nécessaire de jeter un coup d'œil sur l'histoire du Soudan et même de connaître un peu la géographie des pays intéressés à la transformation qui s'opère.

Le théâtre de cette guerre est la Gesireh ou la presqu'île formée au confluent du Nil blanc et du Nil bleu. Au Nord, se trouve la Gesireh-Steppe, dont le sud est fertilisé par plusieurs cours d'eau qui coulent à la saison des pluies, mai à septembre, mais ne débordent pas comme le Nil. A l'Est, du côté du Nil bleu, se rattache au nord-est du Senaar ce pays de Meroë, si célèbre par sa fécondité; mais à l'Ouest, et de l'autre côté du Nil blanc, s'étend le pays de Cordofan, couvert de steppes sauvages. Ces contrées, ainsi que le Darfur à l'Ouest et les provinces de Taka et de Senhit vers la mer Rouge, constituent ce que l'on désigne sous le nom de Soudan égyptien et forment, réunies, l'Éthiopie des Grecs. Sous le nom de Nubie, on désigne cette contrée qui s'étend de Chartoum au Nord, jusqu'à Assuan, l'ancienne Syène, et va du

désert de Lybie, par la première cataracte du Nil, à la mer Rouge. La Nubie est improductive jusqu'à la berge du Nil, dont un rivage très peu étendu, une zone tout à fait étroite, un arc en quelque sorte, est d'une extrême fécondité, à tel point que, pour éviter les pertes d'un terrain si précieux, les habitants posent leurs huttes dans le voisinage tout à fait désert. La partie la plus fertile et la mieux inondée de toute l'Égypte est celle comprise entre le Caire et Assuan.

La Nubie et le Soudan n'appartiennent à l'Égypte que depuis les vingt premières années de ce siècle. Mohamed-Ali, fondateur de la dynastie actuelle, renversa la dynastie nubienne. Lorsque ce prince puissant entreprit sa première expédition, il ne songeait même pas à étendre son empire jusqu'au désert de Nubie, ses vues politiques étaient limitées; mais, après le massacre des Mamelucks par les Turcs, la pensée lui vint d'anéantir ceux qui s'étaient réfugiés à Dangola. Il envoya donc son fils, IsmailPacha, avec 4,000 hommes sur le Nil, et celui-ci, favorisé par les circonstances et n'ayant pas rencontré d'obstacles sérieux, parvint rapidement à Berber. La situation du pays le favorisait, car il était alors partagé entre une infinité de petits princes, Meliks, en guerre les uns avec les autres. Après cela, le pays eut beaucoup à souffrir de l'invasion des Arabes, qui détruisirent les semences de christianisme répandues dans le pays dès les premiers siècles de l'Église ; ils s'y conservèrent jusqu'à leur destruction par les Égyptiens. Parmi ces Arabes de la Nubie, se distinguèrent surtout les Schaikies, guerriers qui opposèrent quelque résistance à Ismaïl-Pacha; il les attira à la portée des armes à feu à Bengala, et leur en fit éprouver les terribles effets; mais, dans leur colère, ils se jetaient comme des furieux sur les Égyptiens. Pour assurer la possession du pays au pacha d'Égypte, il fallut encore un autre combat qui eut lieu à Korli. Ceci arrivait en 1820.

Deux ans après, eut lieu la mort d'Ismaïl, qui fut tué traîtreusement avec sa suite à Schende, entre Chartoum et Berber. Son beau-frère, Mehemed-Bey, prit alors le commandement suprême.

Il affermit la domination égyptienne par la conquête du Cordofan, et c'est à lui qu'est due la fondation de la ville si importante et si bien placée de Chartoum, à la jonction du Nil blanc et du Nil bleu. Chartoum est encore aujourd'hui une ville florissante, avec 300,000 habitants et 114,000 Bédouins aux environs. Ces derniers sont nomades et parcourent, avec leurs troupeaux innombrables de vaches et de chameaux, les pâturages montagneux du Cordofan. Indépendants, fanatiques et guerriers, ils composent une grande partie des troupes du Mahdi. Pendant longtemps, le Cordofan fut un sujet de dispute entre le gouvernement de Senaar et celui de Darfur, mais jusqu'à la fin du siècle dernier Darfur eut l'avantage. Il n'y a pas longtemps que Darfur se faisait gloire de cette supériorité; mais depuis que Mehemed-Bey battit, à Bara, quelques miliers d'El Obeid, les troupes de Darfur et du Cordofan lui furent soumises.

Le pouvoir de l'Égypte s'accrut encore d'une manière considérable sous le précédent khédive, Ismail-Pacha, qui, en 1864, se fit céder par les Turcs les côtes de la mer Rouge, et étendit sa domination par les armes jusqu'à l'équateur. Sir Samuel Baker s'était établi sur le haut Nil, en 1869, pour mettre un terme à la traite des esclaves; mais ce but, qui pouvait venir en aide à de plus grandes entreprises, ne lui servit que médiocrement. Pour établir sa domination, il bâtit plusieurs forteresses, dont les principales étaient Goudokoro et Fatiko. L'Égypte s'étendit des deux côtés du Nil jusqu'au royaume Uganda, entre Ukerewe et Muta Nzige. Ce fut alors qu'à l'occasion de l'entrée de Nubar-Pacha aux affaires, en 1874, Gordon fut appelé à remplacer sir Baker. Il en résultait deux avantages, dont le premier était la consolidation de l'œuvre dans le pays conquis: il avait la liberté de parcourir la région dans tous les sens. Le Nil offre le moyen de faire ce parcours avec sûreté dans une longueur de 3,000 kilom. à l'intérieur de l'Afrique. Au point de vue de la deuxième partie de son œuvre, la destruction du commerce des esclaves, les soins de Gordon firent défaut à sa bonne

volonté. Au lieu de laisser faire le temps, les Anglais recoururent trop souvent à la contrainte, ils firent aussi marcher ensemble des projets qui n'avaient pas beaucoup de rapports entre eux ; ils ne s'occupèrent peut-être pas assez de la population et ils aigrirent les districts; les volontés leur furent rebelles. Il est juste aussi de dire que Gordon-Pacha a porté la peine de la mauvaise administration égyptienne et du trouble qu'elle avait produit dans le pays. De fait, il eût été difficile de causer plus de désordres que ne l'avait fait le gouvernement égyptien dans les provinces du Sud. Une population bien disposée avait été réduite à une extrême misère. Autant les Égyptiens se montraient exigeants et acerbes dans le prélèvement des impôts, autant ils étaient étourdis et aveugles dans leur emploi ; et la première de ces deux opérations avait déchaîné l'inimitié et la haine, car les coups et le martyre même avaient été mis en œuvre pour recouvrer de l'argent. On est à se demander comment les fonds prélevés par des fonctionnaires inférieurs arrivaient par des canaux réguliers à la caisse centrale, et comment il pouvait en être tenu un compte exact. Ce travail de recouvrement était fait par des soldats d'autant plus rapaces que leur solde était plus petite. Souvent le soldat restait chez le tributaire jusqu'à ce que la somme réclamée fût versée, souvent aussi le fouet était employé, et des moyens plus rudes encore.

Le Mahdi souleva le peuple contre ces atrocités, et quand il eut battu les Turcs il recourut au fanatisme.

Mohamed Achmed, le Mahdi actuel, était charpentier de marine à Chartoum, mais il quitta cet emploi pour se faire fakhir, saint interprète du Koran. Auprès du peuple superstitieux, les fakhirs sont en grande estime, et l'on va jusqu'à leur attribuer des influences surnaturelles. Ils vivent à l'écart et s'appliquent, au moins en public, à une bonne tenue et affectent un grand air de sainteté. On recourt à eux pour la bénédiction des amulettes et l'interprétation du Koran. Leur importance tient surtout à leur artifice, et Mohamed Achmed s'est distingué à un tel point sous ce

rapport, qu'aussitôt qu'il eut choisi son domicile à Arba dans une île du Nil blanc, environ à 100 kilom. en amont de Chartoum, ses compatriotes se rangèrent autour de lui. Lorsque la guerre turco-russe éclata, le Mahdi profita de cet événement, très émouvant pour tout le monde mahométan, et envoya des émissaires aux Moslin du voisinage en vue de préparer l'appari. tion d'un prophète. Il s'attribua en même temps le titre de Mahdi Bei, c'est-à-dire envoyé de Dieu. Ce titre, bien qu'il ne se trouve pas dans le Koran, est employé par les Caïfes; on s'en sert maintenant à Tripoli en parlant du fils du fondateur de l'ordre du Senussi. L'attention du gouvernement était déjà éveillée; on se doutait des prétentions du Mahdi lorsque celui-ci écrivit une lettre à l'intendant de Chartoum, qui était en même temps gouverneur de la province; il annonçait sa mission comme correspondant au 1300me anniversaire du Prophète (Mahomet) et exhortait les peuples à croire en lui. Les deux preuves qu'il donnait de la vérité de sa mission étaient les suivantes : une verrue qu'il portait sur sa joue droite et la vision qu'il avait eue de l'ange Arzaïl portant une bannière flamboyante. Et lorsque, au mois d'août 1881, le gouverneur de Chartoum envoya des troupes à Arba avec l'ordre de se saisir de lui, on le trouva entouré de cinq ou six cents hommes bien armés, et il fallut s'en retourner sans exécuter les ordres. Le Mahdi avait appris à se mettre à l'abri des poursuites: le gouvernement était hérétique puisqu'il tolérait les chrétiens et il exigeait le tribut. Si le peuple se soulevait contre cette tyrannie, le Mahdi le soutiendrait avec une force divine. On envoya bien une expédition de 300 hommes d'infanterie pour étouffer la révolte, mais cette expédition eut un sort déplorable, puisque la moitié fut détruite et le reste prit la fuite. Pour se mettre en garde contre d'autres éventualités, le Mahdi transporta son camp de l'autre côté du Nil, à Tikele-Bergue. C'est là que de nouveaux renforts lui arrivèrent et que les troupes du mudhir de Faschoda firent contre lui de vains efforts. Le gouvernement égyptien comprit alors que la position était sérieuse et, pour y remédier, il appela Raouf Pacha, forma un camp et

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