à l'autre, jusqu'à ce qu'on les ait épuisées toutes. Alors, plutôt que de revenir à la vérité qu'on craint, l'on s'arme contr'elle de l'ignorance, de la distraction et de l'oubli. Une volonté perverse la bannit sévèrement de l'intelligence on la traite comme ces proscrits qu'on ne sauroit convaincre devant la loi, et qu'un tyran jaloux fait disparoître tout vivans de la société. Quand un peuple arrive à cet état d'indifférence absolue pour la vérité, sa fin, n'en doutez pas, est prochaine. C'est le signe le moins équivoque de la décrépitude des nations. Dans leur apathique insouciance, elles ressemblent à un vieillard qui a perdu tous ses souvenirs: il n'y a plus à détruire en lui que quelques organes usés, dont les causes naturelles achèvent chaque jour la décomposition rebutante. Objet de pitié et de dégoût, même pour les petits enfans, qu'un noble instinct empêche de reconnoître l'homme, là où ils n'aperçoivent plus la pensée, on le voit traîner stupidement un reste de vie matérielle, et, sans désirs comme sans regrets, s'enfoncer peu à peu dans la mort, comme une masse inerte s'enfonce dans une mer immobile. Sans doute il dépendroit des gouvernemens de prévenir cette dissolution terrible, en protégeant contre les passions, les doctrines vitales, source de la vigueur et de l'énergie qu'on remarque dans certaines sociétés. L'autorité peut tout, soit pour le bien, soit pour le mal; car, en mal comme en bien, on n'agit sur les peuples que par l'autorité; et l'autorité générale, lorsqu'elle demeure ce qu'elle doit être, prévaut toujours et nécessairement sur les autorités particulières, qui tendroient à renverser l'ordre, ou par la violence ouverte, ou, plus dangereusement, par des opinions: et t'est même la raison de la durée perpétuelle de la société religieuse, dont l'autorité générale, en vertu d'un privilége divin, est à l'abri des erreurs et des foiblesses auxquelles l'autorité est sujète dans la société politique. Mais communément, loin de mettre un frein à la licence des pensées, lorsqu'il seroit temps encore d'en arrêter le progrès, les gouvernemens la favorisent, au moins par leur exemple. Ce sont eux qui, les premiers, cessent de croire, et l'irréligion part du pouvoir, ou d'autour du pouvoir, pour se répandre de proche en proche jusque dans les derniers rangs de la nation. Plus attaché à ses croyances, parce qu'il a moins de motifs de souhaiter qu'elles soient fausses, le peuple résiste long-temps à l'influence des classes supérieures. Il défend avec sa conscience, sa foiqu'on attaque avec de l'esprit, et entoure au fond de son cœur, d'une barrière sacrée, ses consolations et ses espérances. Mais quand une fois il a succombé, quand, à force de le corrompre, on a changé ses' intérêts, quand les vices les plus hideux sont devenus ses mœurs habituelles, sans que le remords' trouble son sommeil, quand les peines et les récompenses d'une autre vie ne lui paroissent plus que des préjugés puérils, que la Religion a perdu pour lui ses terreurs, et qu'il en ignore également les dogmes et les préceptes, trop indifférens à ses yeux pour qu'il daigne s'en instruire, quand il sourit de pitié au seul nom de Dieu : alors je me demande en tremblant, s'il reste quelque moyen humain de ramener un tel peuple à la croyance de la vérité, et à la pratique de la vertu; je me demande si, de ces êtres dégradés, on peut encore faire des hommes, et je n'ose prononcer. Au reste, il est à propos de faire observer qu'on doit exclure du nombre des indifférens réels, beaucoup de ceux qui affectent cette triste prétention; car, pour quiconque n'est ni stupide, ni grossièrement ignorant, il n'est pas si facile qu'on pourroit le penser d'être indifférent sur la Religion, que nous retrouvons partout, à chaque instant, en nous et hors de nous, et qui partout fait notre tourment ou notre consolation. Ainsi, la Religion n'est point indifférente aux écrivains qui l'attaquent, à ces ardens zélateurs des doctrines désolantes, toujours empressés de saisir l'occasion de la calom→ nier, de la rendre odieuse et méprisable, en la représentant comme un assemblage de sottises nuisibles, et comme un fléau du genre humain. La Religion n'est point indifférente à cette secte de philosophes, qui, s'efforçant naguère d'en abolir jusqu'au nom, démolirent ses temples, persécu tèrent ses disciples, égorgèrent ses ministres, et dressèrent des autels à la mort sur les ruines des autels du Dieu vivant. La haine, une implacable haine, voilà le sentiment qui anime ces apôtres d'impiété, ces docteurs d'anarchie, dont le fanatisme aveugle sacrifieroit, et ils l'ont prouvé, la société entière au triomphe de leurs principes désastreux. Certes, il faut plaindre ces insensés, il faut flétrir avec horreur leurs maximes funestes et appeler sur leurs incroyables folies la vindicte du ridicule; mais il ne faut pas tenter de les guérir par le raisonnement. Il y a un excès de délire qui interdit toute discussion on ne raisonne point avec le misérable que l'ivresse a rendu furieux. Ce n'est donc pas à ces hommes emportés et irremédiablement prévenus que s'adressent les réflexions. qu'on va lire. La vérité, pour être sentie, demande un esprit plus calme, et surtout un cœur susceptible encore de s'ouvrir à ses impressions. Il existe une sorte d'indifférens que je n'ai pas non plus dessein de combattre. Je veux parler de ces foibles chrétiens qui, séduits par les plaisirs, distraits par les affaires, ou subjugués peut-être par le vil respect humain, s'abandonnent au torrent du siècle, éloignent de leurs pensées des vérités importunes, sans les révoquer en doute, et, dans leur funeste inconséquence, ne tiennent à la Religion que par une foi stérile et de languissans remords. Que dire à ces infortunés? Ils se condamnent eux-mêmes. Leur raison ne se refuse à aucun aveu. Ce n'est pas là qu'est le siége du mal. Ils n'ont pas besoin d'être convaincus, mais remués, mais justement effrayés sur le sort qui les attend. Il faudroit porter la terreur dans leur conscience assoupie, et la réveiller au bruit formidable des vengeances du Dieu dont ils fatiguent la patience, et tourmentent la miséricorde. Cette tâche n'est pas la mienne. Je n'ai en vue, dans cet Essai, que les indifférens systématiques, ou ces philosophes insoucians, qui, à force d'avoir entendu répéter que toutes les religions sont indifférentes, les méprisent toutes sans les connoître, refusent d'examiner s'il en est une véritable, rougiroient même d'y penser; et, sur l'aveugle foi d'un préjugé absurde, s'imaginant que la suprême sagesse consiste à ne se point inquiéter de l'avenir, végétent dans un profond oubli du premier devoir d'une créature raisonnable, qui est de s'instruire de sa fin, de son origine et de ses destinées. Parmi ceux qui s'enorgueillissent de confier ainsi leur sort au hasard, tous pourtant ne sont pas indifférens au même degré. Ce que l'un regarde comme indifférent, paroît quelquefois à un autre d'un très-baut intérêt, selon la mesure de connoissances et de |