vérité quelle qu'elle soit, on s'enorgueillit de garder la neutralité de l'ignorance entre la doctrine qui a produit Vincent de Paul, et celle qui a produit Marat. : Si Dieu existe ou non, si à cette courte vie succède une vie durable, si le seul devoir est d'obéir à ses penchans, ou si l'on doit les régler sur une loi fixe et divine, on veut tout savoir bormis cela. Des hommes se sont rencontrés que tout intéresse, hors leur sort éternel. Ils n'ont pas, disent-ils, le temps d'y songer mais ils en ont abondamment dès qu'il s'agit de satisfaire la plus frivole fantaisie. Ils ont du temps pour les affaires, du temps pour les plaisirs, et ils n'en ont pas pour examiner s'il y a un ciel, un enfer. Ils ont du temps pour s'instruire des plus vaines futilités de ce monde où ils ne passeront qu'un jour, et ils n'en ont pas pour s'assurer s'il existe un autre monde qu'ils doivent, heureux ou malheureux, babiter éternellement. Ils ont du temps pour soigner un corps qui va se dissoudre, et ils n'en ont pas pour s'informer s'il renferme une âme immortelle. Ils ont du temps pour aller au loin convaincre leurs yeux de l'existence d'un animal rare, d'une plante curieuse, et ils n'en ont pas pour convaincre leur raison de l'existence de Dieu. Supeur incompréhensible! Et qui ne s'écrieroit avec Bossuet: « Quoi! le charme des sens est-il si fort, » que nous ne puissions rien prévoir »? En effet ce défaut absolu de prévoyance, cette tranquillité stupide avec tant de motifs de s'inquiéter, cet aveugle élan dont on se précipite dans un avenir inconnu et sans bornes, ne sont-ils pas évidemment la marque d'un esprit aliéné, que la fièvre transporte, ou que domine un brutal instinct? Le genre humain tout entier atteste l'existence d'une loi qu'on ne sauroit violer impunément; et sans en croire son témoignage, sans le démentir, sur un misérable peut-être, on accepte toutes les suites d'une opposition formelle à cette loi, et l'on se crée à soi-même, par insouciance, la double fatalité du crime et du malheur. On a vu des patiens rire, danser sur l'échafaud; mais la mort qu'ils bravoient étoit inévitable, rien ne pouvoit les y arracher. Dans l'invincible nécessité de mourir, ils se roidissoient contre la nature, et trouvoient une sorte de consolation farouche à étonner les regards du peuple, par le spectacle d'une gaieté plus effrayante que les angoisses de la crainte et les agonies du désespoir. Mais qu'incertain si sa tête ne va point tomber, en peu d'heures, sous la hache du bourreau, et sûr de se sauver s'il veut seulement se convaincre de la réalité du péril qui le menace, un homme demeure en repos dans ce doute épouvantable, et préfère à la vie quelques momens de plaisir, ou même d'ennui, ou même d'ennui, que va ter miner un supplice affreux et déshonorant, c'est ce qu'on n'a jamais vu, ce qu'on ne verra jamais. Quel que mépris qu'on affecte pour une existence fugitive et chargée de tant de douleurs, on ne s'en détache pas de la sorte; il n'est point d'apathie si profonde que ne réveille l'annonce, la seule idée d'une mort prochaine. Que dis-je? tout ce qui nous touche, soit dans notre santé, soit dans nos biens, dans nos jouissances, dans nos opinions, dans nos habitudes, nous émeut, nous alarme, nous transporte hors de nous-mêmes, nous inspire une activité infatigable; et l'on n'est indifférent sur rien, excepté sur le ciel, l'enfer, l'éternité. Que ceux qui se tranquillisent dans cette indifférence monstrueuse, ou qui même en tirent vanité, apprennent du moins ce qu'en pensoit un de ces hommes qui, par la prodigieuse supériorité de leur génie, semblent être nés pour reculer les bornes de l'intelligence humaine. « L'immortalité de l'âme est une chose qui nous » importe si fort, et qui nous touche si profon» dément, qu'il faut avoir perdu tout sentiment » pour être dans l'indifférence de savoir ce qui en >> est. Toutes nos actions et toutes nos pensées doi>> vent prendre des routes si différentes, selon qu'il y >> aura des biens éternels à espérer, ou non, qu'il » est impossible de faire une démarche avec sens et >> jugement, qu'en la réglant par la vue de ce point >> qui doit être notre dernier objet. >> Ainsi notre premier intérêt et notre premier >> devoir est de nous éclaircir sur ce sujet d'où dé>>pend toute notre conduite. Et c'est pourquoi >> parmi ceux qui n'en sont pas persuadés, je fais >> une extrême différence entre ceux qui travaillent >> de toutes leurs forces à s'en instruire, et ceux qui >> vivent sans s'en mettre en peine et sans y penser. » >> Je ne puis avoir que de la compassion pour >> ceux qui gémissent sincèrement dans ce doute, >> qui le regardent comme le dernier des malheurs, >> et qui n'épargnant rien pour en sortir, font de >> cette recherche leur principale et leur plus sé>> rieuse occupation. Mais pour ceux qui passent la » vie sans songer à cette dernière fin de la vie, et » qui par cette seule raison qu'ils ne trouvent pas >> en eux-mêmes des lumières qui les persuadent, » négligent d'en chercher ailleurs, et d'examiner à >> fond si cette opinion est de celles que le peuple re»çoit par une simplicité crédule, ou de celles qui, >> quoiqu'obscures d'elles-mêmes, ont néanmoins >> un fondement très-solide; je les considère d'une >> manière toute différente. Cette négligence en une >> affaire où il s'agit d'eux-mêmes, de leur éternité, » de leur tout, m'irrite plus qu'elle ne m'attendrit; >> elle m'étonne et m'épouvante; c'est un monstre » pour moi. Je ne dis pas ceci par le zèle pieux » d'une dévotion spirituelle. Je prétends au con>> traire que l'amour-propre, que l'intérêt humain, >> que la plus simple lumière de la raison nous doit >> donner ces sentimens. Il ne faut voir pour cela que >> ce que voient les personnes les moins éclairées. >> Il ne faut pas avoir l'âme fort élevée, pour >> comprendre qu'il n'y a point ici de satisfaction » véritable et solide; que tous nos plaisirs ne sont » que vanité, que nos maux sont infinis; et qu'en>> fin la mort qui nous menace à chaque instant nous doit mettre dans peu d'années, et peut-être >> en peu de jours, dans un état éternel de bonheur, >> ou de malheur, ou d'anéantissement. Entre nous >> et le ciel, l'enfer, ou le néant, il n'y a donc que » la vie, qui est la chose du monde la plus fragile; >> et le ciel n'étant pas certainement pour ceux qui >> doutent si leur âme est immortelle, ils n'ont à >> attendre que l'enfer ou le néant. » Il n'y a rien de plus réel que cela, ni de plus >> terrible. Faisons tant que nous voudrons les >> braves, voilà la fin qui attend la plus belle vie du >> monde. » C'est en vain qu'ils détournent leur pensée de >> cette éternité qui les attend, comme s'ils la pou>> voient anéantir en n'y pensant point. Elle sub>> siste malgré eux, elle s'avance, et la mort qui la >> doit ouvrir, les mettra infailliblement, dans peu » de temps, dans l'horrible nécessité d'être éter>> nellement ou anéantis, ou malheureux. >> Voilà un doute d'une terrible conséquence; et |