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pervertis, qu'en eux chaque pensée presque étoit un crime.

Dans tous les temps, on a sentì que la Religion étoit l'unique fondement des devoirs, comme, à leur tour, les devoirs sont l'unique lien de la société. Rien ne peut suppléer la conscience, qui elle-même supplée tout. On aura beau parler aux hommes de bien public, d'intérêt général, l'intérêt particulier sera constamment leur mobile; et la puissance même de la Religion consiste, en ce qu'elle montre à chacun un intérêt immense à concourir au bien général. Il ne faut que du bon sens pour voir cela. Les législateurs de l'antiquité ne s'y méprirent point; au lieu de raisonner follement contre la Religion, ils s'en servirent pour consolider l'édifice social; il la placèrent partout, dans la famille, près des foyers domestiques, et dans l'Etat, comme partie de la constitution et du gouvernement. Ils firent descendre les lois du ciel, et attachèrent, par l'opinion, quelque chose de divin à tous les événemens de la vie humaine, à toutes les institutions civiles, aux objets inanimés même, aux bois, aux fleuves, aux pierres destinées à séparer les héritages: et si l'on y regarde de près, on se convaincra que le paganisme ne multiplia les dieux à l'infini, qu'à cause du besoin infini que l'homme a de la Divinité.

Quand les mœurs se corrompirent, quand la

raison commença d'examiner ses croyances avec une naissante aversion, il lui fut aisé sans doute de reconnoître la fausseté du polythéisme mais ce n'étoit pas ce qu'il y avoit de faux dans la Religion, qui contrarioit les penchans du cœur, et par conséquent excitoit sa haine aussi la philosophie, laissant l'idolâtrie en paix, dirigea principalement ses attaques contre les vérités importunes aux passions, contre les principes de la morale, contre les peines et les récompenses futures, contre l'immortalité de l'âme et l'existence de Dieu. La licence qu'elle protégeoit lui fournit de nombreux disciples: mais, loin de révoquer en doute la nécessité politique de la Religion, ils en furent tellement frappés, qu'ils la confondirent avec les institutions purement politiques, et la crurent une invention du législateur. A ce titre, elle demeura extérieurement sacrée comme les lois, et le magistrat, imbu des maximes athées d'Epicure, auroit puni, avec une inflexible sévérité, toute atteinte portée au culte établi.

!

Avant d'examiner ce systême philosophique, il est à propos de le voir, pour ainsi dire, en action, chez les anciens et chez les modernes. C'est le plus court et le plus sûr moyen pour s'en former une juste idée.

Il s'introduisit chez les Romains vers le déclin de la république, et son origine concourt avec la dé

cadence des vertus publiques et privées. Cependant, il pénétra d'abord parmi les grands et les riches, toujours aisément séduits par ce qui flatte l'amourpropre, tranquillise les passions, et soulage le tourment de l'ennui; le peuple, assez long-temps, fut étranger à la nouvelle philosophie, et l'on doit rapporter à cette époque le tableau qu'a tracé Gibbon de l'état religieux de l'empire.

« Les différens genres de culte qui régnoient >> dans le monde romain, étoient tous considérés >> par le peuple comme également vrais, par le phi>>losophe comme également faux, par le magistrat >> comme également utiles : et cette tolérance pro>> duisoit non-seulement une indulgence mutuelle, >> mais un véritable accord entre les religions.

» La superstition du peuple n'étoit mêlée d'au» cune haine, d'aucune aigreur théologique, ni >> enchaînée dans le cercle d'un systême exclusif. » Le dévot polythéiste, tout attaché qu'il étoit à » son culte et au rit national, admettoit, avec une >> foi implicite, toutes les religions de la terre...

>> Les philosophes conservoient, dans leurs écrits >> et dans leur conversation, l'indépendance et la » dignité de leur raison; mais pour leurs actions, >> ils se soumettoient aux régles établies par les lois >> et par l'usage. Regardant avec un sourire de pitié » et d'indulgence les erreurs du vulgaire, ils pra» tiquoient avec exactitude les cérémonies reli

»gieuses de leurs ancêtres; ils fréquentoient dévo»tement les temples des Dieux; tel même d'en» tr'eux, jouant un rôle sur le théâtre de la super>> stition, cachoit les sentimens d'un athée sous la >> robe d'un pontife. Il eût été difficile de détermi>>ner des hommes qui raisonnoient ainsi, à s'entre» disputer sur les différens modes de croyance ou » de culte. Il leur étoit fort indifférent que les folies » de la multitude prissent telle forme plutôt que » telle autre; et ils approchoient, avec le même » mépris intérieur et le même respect apparent, >> des autels du Jupiter de Lybie, de celui de l'O>>lympe, ou de celui du Capitole 1».

On seroit moins surpris de la complaisance avec laquelle M. Gibbon peint l'incrédulité romaine, s'il en avoit ignoré les épouvantables effets. Mais il savoit mieux que personne que le mépris intérieur des philosophes, non pas seulement pour le Jupiter de Lybie et celui de l'Olympe, mais pour toute divinité quelconque, ne tarda pas à se propager parmi les dévots polytheistes, et qu'à l'exemple des grands, devenue indifférente à tout, hors au plaisir, la multitude se désabusa tellement des folies et des superstitions antiques, que l'empire, privé de l'appui qu'il empruntoit de la religion, chancela

Histoire de la Décadence et de la Chute de l'Empire romain, T. I.er, ch. 2.

tout-à-coup comme un homme ivre, et disparut enfin dans la fange où le traînèrent avec ignominie des peuples forts de leurs croyances et de leurs mœurs. Montesquieu ne craint pas d'attribuer sa chute à la philosophie d'Epicure, dont M. Gibbon admire si naïvement le résultat *. Il ne s'est pas aperçu que le tableau qu'il a voulu rendre attrayant, n'est qu'une effrayante description du vice intérieur, qui devoit irrémédiablement conduire Rome à sa perte.

Si l'on considère attentivement le genre humain à l'époque où commence cette grande révolution, on n'aura pas de peine à démêler, à travers l'éclat des événemens, les causes qui la rendoient nécessaire. Le corps social étoit épuisé, et l'apparence de vigueur qu'il continua de montrer quelque temps presque uniquement à la conservation de la discipline militaire, qui s'altéra bientôt comme tout le reste. La puissance absolue des empereurs suppléa momentanément aux lois mœurs, à la Religion. Il y eut je ne sais quelle triste imitation de l'ordre, parce qu'on obéit, et l'on obéit parce qu'on trembla. L'épée du légion

encore,

*

tenoit

aux

Bolingbroke pense sur ce point absolument comme Montesquieu : « L'oubli et le mépris de la Religion » furent, dit-il, la cause principale des maux que Rome » éprouva dans la suite : la Religion. et l'Etat déchurent » dans la même proportion ». T. IV, p. 428.

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