ladie terrible, qu'au moment où la raison, rebelle à l'autorité suprême qui l'avoit guidée jusqu'alors, s'efforça de recouvrer la servile indépendance dont le Christianisme l'avoit affranchie. La Réforme qui montra, de bonne heure, un penchant abject et une vénération impie pour les héros de la philosophie ancienne *, ne fut ellemême, dès son origine, qu'un systême de philosophie anarchique, et un monstrueux attentat contre le pouvoir général qui régit la société des intelligences. Elle fit reculer l'esprit humain jusqu'au paganisme, et des causes semblables à celles qui avoient agi chez les Romains, au temps de leur plus grande corruption, produisirent de semblables effets chez quelques nations modernes, vic times, à leur insu, des mêmes principes destruc teurs. Considérons un moment l'Angleterre en particulier. Sa position isolée permit à la Réforme de s'y développer avec moins d'obstacle, en sorté qu'on ne peut nulle part mieux observer, et sa marche progressive, et son influence sur la so ciété. Les anarchistes de 1793 cherchèrent à établir * Dans la profession de foi présentée par Zwingle a François I., ce chef de la Réforme helvétique plaçoit dans le ciel, à côté des apôtres, Socrate, Marc-Aurèle, et les autres sages de l'antiquité. P'ordre social sur la liberté et l'égalité, la liberté. absolue d'action, et l'égalité d'autorité ou de droits; ce qui n'étoit qu'une conséquence exacte, de la souveraineté du peuple, qui, d'un côté, excluant tout supérieur, laisse chacun entièrement libre ou maître de lui-même, et de l'autre, appartenant également à tous, doit être partagée par tous également. On sait quel fut bientôt le résultat de cette doctrine: mais ce que je veux faire observer ici, c'est sa parfaite conformité avec la doc-, trine théologique des protestans. Ayant posé en principe la souveraineté de la raison humaine en matière de foi, ils essayèrent de donner pour base à la Religion, la liberté et l'égalité, c'est-à-dire, la liberté de croyance, et l'égalité d'autorité; et cette doctrine, commune aux révolutionnaires politi→ ques et religieux, a dû avoir et a eu réellement un résultat semblable dans l'ordre politique et dans l'ordre religieux; dans l'un, elle a produit tous les crimes, et dans l'autre toutes les erreurs; et durant les fatales discordes qui conduisirent un de ses rois à l'échafaud, l'Angleterre en a éprouvé simultauément ce double effet. Cependant chaque secte, se sentant défaillir, tâchoit de s'attribuer sur ses membres une autorité régulatrice des croyances et des actions, ou de saisir quelques débris du principe, conservateur qu'on avoit imprudemment brisé. Inutile tentative: on lui montroit aussitôt qu'elle ne pouvoit réclamer une telle autorité, sans se condamner ellemême; et l'impuissance absolue de trouver un point de repos sur les sables mouvans de la Réforme, contraignit les esprits conséquens de traverser rapidement tout le christianisme, pour arriver au même terme que la philosophie antique, c'est-àdire, à l'athéisme d'abord, et ensuite à l'indifférence, qui renferme toutes les erreurs ensemble, parce qu'elle exclut à la fois toutes les vérités. Alors, il s'opéra dans les idées une révolution semblable à celle qui eut lieu à Rome, vers la fin de la république: on cessa de s'occuper de la Religion comme vraie, pour la considérer, sous un point de vue purement politique. On en fit une institution de l'Etat, complètement soumise au chef de l'Etat, même quant au dogme. On avoit refusé de croire au christianisme sur l'autorité de Dieu, et l'on en vint jusqu'à ne croire en Dieu que sur l'autorité du roi; « parce qu'il est immoral et impie, dit un cé>> lèbre philosophe anglois, lorsque le souverain >> a sanctionné un symbole, de nier ou dé révoquer >> en doute l'autorité divine d'une seule ligne ou » d'une seule syllabe de ce symbole », attendu que « le témoignage et l'autorité des lois sont l'u>>nique garantie que nous avons contre l'erreur' ༥ 'Lord Shaftsbury's Characteristics. Vol. I, p. 231. 360. Tel est aussi le sentiment de Hobbes; les chrétiens, selon lui, sont obligés d'obéir aux lois d'un prince infidèle, même en matière de religion : « La pensée >> est libre; mais, en ce qui tient à la confession de » la foi, la raison particulière doit se soumettre à » la raison générale, ou au souverain, qui est le >> lieutenant de Dieu ». On ne sauroit confondre plus entièrement l'ordre politique et l'ordre religieux, ni montrer une plus profonde indifférence pour la vérité. On sentoit le besoin d'un culte, et par conséquent d'une autorité qui le défendît contre l'inconstance des opinions; et comme on ne connoissoit plus d'autre autorité extérieure que l'autorité humaine ou la force, on' rendit le dépositaire de la force publique, l'arbitre indépendant de la foi. Les passions et les intérêts se donnèrent une religion comme ils s'étoient donnés une constitution, et la Religion ne fut même qu'un article de cette constitution, espèce de contrat entre le peuple et le souverain, où le peuple stipula sa servitude religieuse, en échange de ce qu'il prenoit pour la liberté politique. Et quand je dis sa servitude, je le dis avec réflexion; car la servitude consiste, non dans l'obéissance à l'autorité, ce qui est au contraire la seule liberté véritable; mais dans l'asservissement à une autorité dépourvue de droit. Dès que la Religion fut devenue une simple institution politique, et la foi une loi de l'Etat, quiconque professa publiquement une foi différente, dut être regardé comme rebelle aux lois et ennemi de l'Etat. De là les persécutions que subirent les dissidens en Angleterre, persécutions purement politiques de leur nature. Car, remarquez la différence: l'Eglise, société spirituelle, ne considérant les religions diverses que sous un rapport spirituel, c'est-à-dire, comme vraies ou fausses, est souverainement intolérante pour les erreurs, mais ne prononce contre les personnes que des peines spirituelles. Le pouvoir politique au contraire, ne considérant la Religion que sous un rapport indépendant de sa vérité, est souverainement tolérant pour les erreurs ; il réserve pour les personnes toute sa sévérité, parce qu'il ne peut connoître que des délits extérieurs ou des actions. Ainsi les lois, en Angleterre, ne déclarèrent point telles ou telles doctrines fausses; mais elles privèrent des droits civils les sectateurs de tel ou tel culte, et condamnèrent les personnes convaincues d'avoir exercé ces cultes proscrits, à l'emprisonnement, à l'exil, à la mort, toutes peines purement civiles. Cependant l'indifférence pour la vérité, qui faisoit le fonds même de ces lois, protégea chaque jour davantage contre leur rigueur, les sectes nées du protestantisme, qui toutes participoient plus ou |