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térialisme dans la Religion! quelle aversion pour les doctrines qui tendent à élever l'homme et à spiritualiser sa pensée! La Grèce polie et savante envoie Socrate au supplice, parce qu'il annonçoit l'unité de Dieu, et cette même Grèce, couronnée de fleurs, égorge en chantant des victimes humaines, et couvre son territoire d'autels infâmes.

Toujours l'asservissement aux sens produit une vive opposition aux vérités morales et intellectuelles, et l'on ne doit point chercher ailleurs la cause de la profonde haine qu'ont montrée, dans tous les temps, pour le christianisme, certains individus et certains peuples. C'est le combat éternel, le combat à mort de la chair contre l'esprit, des sens que la Religion chrétienne s'efforce de réduire en servitude, contre la raison qu'elle affranchit, éclaire et divinise, parce que dans ses préceptes et dans ses dogmes, elle n'est que l'assemblage et la manifestation de toutes les vérités utiles à l'homme.

plus, pour

A l'époque où le christianisme apparut sur la terre, le genre humain ne vivoit , pour ainsi dire, que par les sens. Le culte, devenu un vain simulâcre, ne se lioit à aucune croyance. On le conservoit par habitude, à cause de ses pompes et de ses fêtes, et surtout parce qu'il tenoit aux institutions de l'État. Du reste, la religion en elle-même n'inspiroit ni foi, ni vénération. Les sages et les grands la renvoyoient avec mépris à la populace, qui, moins corrompue peut-être, vouloit que les vices qu'elle adoroit sous des noms empruntés, offrissent, au moins dans leurs emblêmes, quelque chose de divin. Toutefois, en réalité, il n'existoit pour le laboureur ignorant comme pour le philosophe présomptueux, pour le prince comme pour l'esclave, d'autre religion que la volupté; et les sectes les plus sévères à leur origine, dégénérant bien vite d'une austérité factice, en étoient venues, par un renversement d'idées qui passa dans le langage même, jusqu'à identifier la vertu avec le plaisir.

Sur ces simples observations, on peut juger de la bonne foi des écrivains qui ont prétendu que le christianisme s'étoit établi naturellement. En effet, il n'eut à surmonter que les intérêts, les passions et les opinions. Armé d'une croix de bois et de la dure doctrine des larmes et des souffrances, on le vit tout-à-coup s'avancer au milieu des joies enivrantes et des religions dissolues d'un monde vieilli dans la corruption. Aux fêtes enjouées du paganisme, aux riantes et gracieuses images d'une mythologie enchanteresse, à la commode licence de la morale philosophique, à toutes les séductions des arts et des plaisirs, il oppose les pompes de la douleur, de graves et lugubres cérémonies, les pleurs de la pénitence, des menaces terribles, de redoutables mystères, le faste effrayant de la pauvreté, le sac, la cendre, et tous les symboles d'un dépouillement absolu et d'une consternation profonde; car c'est là tout ce que l'univers payen aperçut d'abord dans le christia

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nisme. Aussitôt, tel qu'un ressort comprimé qui réagit soudain contre la force qui le presse, ou tel qu'un animal sauvage, à qui l'on arrache la proie qu'il dévoroit tranquillement dans son antre, les passions irritées s'élancent avec fureur sur l'ennemi qui se présente pour envahir leur domaine, et leur disputer l'empire. Les peuples à grands flots se précipitent sous leurs bannières; l'avarice y conduit. les prêtres des idoles, l'orgueil y amène les sages, et la politique les empereurs. Alors commence une guerre effroyable: ni l'âge, ni le sexe ne sont épargnés; les places publiques, les routes, les champs mêmes, et jusqu'aux lieux les plus déserts, se couvrent d'instrumens de torture, de chevalets, de bûchers, d'échafauds; les jeux se mêlent au carnage, et le carnage devient lui-même une horrible volupté; de toutes parts on s'empresse pour jouir de l'agonie et de la mort des innocens qu'on égorge; et ce cri barbare: les chrétiens aux lions, fait tressaillir de

joie une multitude ivre de sang. Mais, dans ces épouvantables holocaustes que l'on se hâte d'offrir à des divinités expirantes, il faut que chacune ait ses victimes choisies; et une cruauté ingénieuse invente de nouveaux supplices pour la pudeur. Enfin, les bourreaux fatigués s'arrêtent; la hache échappe de leurs mains: je ne sais quelle vertu céleste émanée de la croix commence à les toucher euxmêmes; quelque chose d'inconnu et de doux se remue au fond de leurs cœurs; à l'exemple de nations entières subjuguées avant eux, ils tombent aux pieds du Christianisme, qui, en échange du repentir, leur promet l'immortalité, et déjà leur prodigue l'espérance. Brillant des nobles cicatrices qui attestent ses combats et ses victoires, il règne maintenant sur le genre humain conquis par ses bienfaits. Signe sacré de paix et de salut, son radieux étendard flotte au loin sur les débris du paganisme écroulé. Les Césars jaloux avoient conjuré sa ruine, et le voilà assis

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