Images de page
PDF
ePub

Contemplant avec un égal dégoût la vérité et l'erreur, il affecte de croire qu'on ne les sauroit discerner, afin de les confondre dans un commun mépris, dernier excès de dépravation intellectuelle où il lui soit donné d'arriver: cùm in profundum venerit, contemnit.

Or, quand on vient à considérer ce prodigieux égarement, on éprouve je ne sais quelle indicible pitié pour la nature humaine. Car se peut-il concevoir de condition plus misérable que celle d'un être également ignorant de ses devoirs et de ses destinées; et un plus étrange renversement de la raison, que de mettre son bonheur et son orgueil dans cette ignorance même, qui devroit être bien plutôt le sujet d'un inconsolable gémissement?

La cause première d'une si honteuse dégradation, est moins la foiblesse de notre esprit que son asservissement au corps. Subjugué par les sens, sens, l'homme insensiblement s'habitue à ne juger que

par eux, ou sur leur rapport. Il ne voit de réalité que dans ce qui les frappe; tout le reste lui paroît de vagues abstractions, des chimères. Il n'existe que dans le monde physique : le monde intellectuel est nul pour lui. Il nieroit sa pensée même, si elle lui étoit moins présente et moins intime; mais ne pouvant, si j'ose le dire ainsi, se séparer d'elle, et refusant néanmoins de la reconnoître pour ce qu'elle est, il en fait le résultat de l'organisation; il la matérialise, afin de n'être pas obligé d'admettre des substances inaccessibles

aux sens.

Et, chose remarquable, la culture des sciences physiques, qui avertissent l'homme à chaque instant de sa supériorité sur la brute, n'a servi qu'à fortifier en lui cet abject penchant à se rabaisser au niveau des êtres les plus vils, en l'occupant perpétuellement d'objets qu'il pouvoit toucher et manier, et le ramenant sans cesse dans la boue et la fange de la terre. Alors son âme s'est dégoûtée d'elle

même; elle a rougi de sa céleste origine, et s'est efforcée d'en éteindre jusqu'au dernier souvenir. Cet amour immense, qui fait le fond de son être, et qui, de même qu'une flamme pure, tend à s'élever incessamment vers les hautes régions où réside le sublime principe dont il émane, elle l'a détourné de son cours, pour l'appliquer uniquement aux corps; elle les a aimés comme sa fin; elle a voulu s'identifier à eux, être périssable comme eux; elle s'est dit : Tu mourras ! et a tressailli d'espérance.

Si, trompant sa destinée, elle pouvoit en effet conquérir la mort, le moyen qu'elle a pris seroit infaillible, et, en anéantissant, à son égard, la vérité, elle s'est, autant qu'il étoit en son pouvoir, anéantie elle-même; car, en quelque sens qu'on veuille l'entendre, la vérité est la vie, l'unique cause d'existence de l'homme et de la société. Aussi, dans l'ordre moral, comme dans l'ordre politique, tout tend à la destruction, et marche vers ce

but, plus ou moins rapidement, selon que la guerre contre la vérité est plus ou moins heureuse, plus ou moins active. Une récente et trop mémorable expérience ne laisse sur ce point aucun doute; et, pour qui ne s'aveugle pas volontairement, il est visible que la révolution françoise, si éminemment destructive, n'a dû cet épouvantable caractère de mort, qu'au délire impie de ses promoteurs, qui attaquèrent, avec une rage inouie jusque-là, toutes les vérités ensemble.

Ce n'est pas qu'il n'ait toujours existé au fond du cœur humain, une opposition secrète à la vérité, qui gêne ses penchans et humilie son orgueil. Il l'aime et la redoute; il la désire, la recherche, par une inclination naturelle, comme le principe de son bien-être, et souvent ensuite, las de son joug, il s'irrite de l'avoir trouvée; contradiction singulière, que la philosophie seule n'expliquera jamais. Après avoir inutilement fatigué notre esprit, il faut que

la Religion, suppléant à son impuissance, vienne délier le noeud dont les replis, profondément cachés, échappent également à nos regards et à nos conjectures; il faut, en un mot, qu'éclairés sur notre condition réelle, par une lumière plus vive que celle de notre vacillante raison, l'auteur même de notre nature nous révèle la cause des contrariétés qui nous étonnent. Alors seulement le voile tombe, et nous apercevons l'homme tel qu'il est: nous découvrons en lui comme deux êtres différens qui se combattent sans cesse, et triomphent tourà-tour, l'un épris de tout ce qui est bon, noble et vrai, l'autre enclin à tout ce qui est mal, vil etfaux; l'uns'élançant avec amour vers la vérité et la vertu, l'autre se plongeant avec rage dans le crime et dans l'erreur; et la foi développant à nos yeux ce mystère de grandeur et de bassesse, nous montre, dans le premier de ces êtres, l'homme primitif, tel qu'il sortit des mains de Dieu, et dans le second, l'homme dégradé, corrompu par une première

« PrécédentContinuer »