Images de page
PDF
ePub

Là haut, tu as dû rencontrer cette Providence bienfaisante qui préside à la mort comme à la vie, et qui, sans aucun doute, ne manque pas plus à l'àme des héros qu'à ce brin de paille que tout transforme et rien ne détruit. Ici bas la patrie a recueilli ton nom; il est inscrit sur les murs du Panthéon, attaché à l'un des plus grands événements de l'histoire; longtemps il fera battre les cœurs généreux; longtemps les braves le répéteront et l'apprendront à leurs enfants. Qui sait si trente années de travaux pénibles l'eussent conduit à un aussi grand résultat? L'âge mûr ne tient pas toujours les promesses de la jeunesse; la vie a ses distractions qui souvent ont enlevé à la gloire les plus heureux génies. Aujourd'hui, rien ne peut te ravir l'immortalité que t'a donnée une heure d'une énergie divine. Que cette heure soit donc bénie! Encore une fois, Farcy, nous te pleurons, nous ne te plaignons pas.

Espérons que la France de 1830, après une crise nécessaire et féconde, poursuivra paisiblement ses nobles destinées, et retrouvera en Europe le rang qui lui appartient par l'énergie et la modération de l'esprit public, par l'expérience et la sagesse du prince que nous avons mis à notre tête, par la sympathie des peuples et la prudence des rois. Mais s'il en était autrement, si de mauvais jours revenaient pour la France, si les factions ou

si l'étranger, appuyé sur elles, venaient ternir ou arrêter notre belle révolution, c'est alors, Farcy, que tes amis se souviendront de toi, et que ton sang versé pour la patrie parlera à tous ceux qui sont dignes de l'entendre. Alors comme aujourd'hui en souffrant ou en tombant pour la France, nous répéterons avec amour : honneur à Farcy! Vive la France!

PRONONCÉ

AUX FUNÉRAILLES DE M. LAROMIGUIÈRE,

AU NOM DE LA SECTION DE PHILOSOPHIE,

Le 14 août 1837.

Pardonnez-moi, Messieurs, de vous retenir un moment encore sur les bords de ce tombeau; mais la section de philosophie, qu'une plus étroite confraternité d'études unissait à celui que nous pleurons tous, a souhaité que sa douleur fût particulièrement marquée dans le deuil commun de l'Académie; et c'est en son nom que je vous demande la permission d'ajouter quelques mots aux touchantes paroles que vous venez d'entendre.

Votre section de philosophie n'a pas été épargnée dans les pertes cruelles que vous avez faites en si peu de temps. Vous avez vu disparaître du milieu de vous presque à la fois les plus éclatantes lumières de l'Académie, et ces grands publicistes dont les noms demeureront à jamais dans l'histoire de la liberté et de la législation en France, et les hommes qui avaient su trouver une gloire différente, mais égale, dans l'austère étude de l'es

prit humain. Quand Sieyes allait rejoindre Mirabeau, quand Roederer allait retrouver et attendre ses immortels compagnons de l'Assemblée constituante et du Conseil d'Etat de l'Empire, M. de Tracy était enlevé à la philosophie, et voilà qu'aujourd'hui nous venons rendre les honneurs suprêmes à M. Laromiguière. Ainsi s'en vont peu à peu et tombent, pour ainsi dire, les uns sur les autres, les glorieux restes de la forte génération de 1789. O mes confrères! et vous tous, vous surtout, jeunes gens, qui assistez à cette triste cérémonie, conservons pieusemement ces nobles méinoires, et inclinons-nous avec respect devant les cercueils de ceux qui nous ont faits tout ce que

nous sommes.

M. de Tracy et M. Laromiguière se succèdent dans la science comme ils se suivent dans la mort et dans vos regrets. Tous deux appartiennent à la même famille philosophique, et chacun pourtant a ses traits particuliers. Ils se ressemblent beaucoup, ils diffèrent plus encore : l'un emporte avec lui la philosophie d'un grand siècle, l'autre commence celle de notre temps.

Le dix-huitième siècle avait établi et comme consacré la célèbre maxime :Il n'y a rien dans l'entendement qui n'y soit entré par les sens. Ne pouvant donc inventer cette maxime après Condillac, il ne restait à M. de Tracy que d'en tirer le système le

plus régulier et le plus complet qu'elle eût encore produit entre les mains d'aucun philosophe; et c'est aussi ce qu'il a fait, avec une sévérité de méthode qui n'a été ni surpassée ni égalée, De là ce corps de doctrine où la netteté et la précision des détails le disputent à l'étroit enchaînement des parties, et dont l'unité fait la grandeur,

Mais quand un esprit de cette trempe s'applique à un système, il l'épuise, et ne laisse guère à ceux qui viennent après lui que l'alternative de le répéter ou de s'en séparer.

M. Laromiguière sut trouver le secret d'être original sans abandonner la philosophie de son illustre devancier. Comme M. de Tracy, il reconnaît, il proclame que les matériaux primitifs de toutes nos idées sont en effet dans les impressions sensibles. Ce principe est le lien fidèle qui rattache M. Laromiguière à M. de Tracy et à toute la philosophie du dix-huitième siècle. Mais si les sensations sont les indispensables matériaux de nos connaissances, pour les mettre en œuvre, pour convertir les sensations en idées, il faut un instrument différent des matériaux auxquels il s'applique, il faut une puissance indépendante des sensations sur lesquelles elle travaille, il faut une intelligence, il faut une âme. Oui, c'est l'âme, Messieurs, c'est l'activité, c'est l'énergie dont elle est douée, qui tire des sensations, en y ajoutant

« PrécédentContinuer »