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toujours mesuré de l'esprit de M. de Gérando. C'était, en 1804, une idée heureuse et nouvelle d'appeler l'histoire au secours de la science, d'interroger les deux grandes écoles rivales au profit de la vérité, et de dresser l'inventaire impartial de l'héritage qu'elles lèguent au dix-neuvième siècle. Le temps emportera peut-être quelques parties de ce bel ouvrage, mais la pensée première en demeurera, et conservera le nom de M. de Gérando.

N'oublions pas ici un autre livre d'un caractère différent, d'un mérite au moins égal, ce livre dụ Perfectionnement moral et de l'éducation de soi-même 1 ой parvenu au seuil de la vieillesse, M. de Gérando reporte ses regards sur la route qu'il a suivie, et nous enseigne avec une autorité pleine de charme le grand art de la vertu, car c'est un art aussi, qui a ses règles et ses pratiques, qui demande sans doute une nature heureuse, mais surtout de généreux efforts, un exercice modéré mais soutenu. Le dessein et toute la conduite de cet écrit est vraiment admirable. Resserrez un peu ces riches développements, donnez à ce style élégant et facile

quatre premiers volumes embrassent l'antiquité et le moyen âge; le cinquieme était consacré à la philosophie de la renaissance. On dit que M. de Gerando, entre autres manuscrits, laisse un traité inachevé de Existence de Dieu. 1

1 Paris, 1805, 2 vol. in-8°; traduit en allemand par Schelle, Halle, 1828-29.

un peu plus de sobriété et de force, et cet ouvrage, digne de Socrate ou de Franklin, sera l'un des meilleurs et des plus bienfaisants de notre siècle.

La bienfaisance, Messieurs la bienfaisance sous toutes ses formes, dans ses applications les plus hautes ou les plus humbles, tel était l'objet constant de M. de Gérando. Il le poursuivait avec une ardeur infatigable. C'était la seule passion que sa sagesse eût peine à contenir et à gouverner. Elle se répandait par toutes les voies, trouvant en elle, comme le véritable amour, des ressources infinies, se prodiguant sans jamais s'épuiser, et, à mesure qu'elle donnait, aspirant à donner davantage. Quel est l'auteur de ce touchant écrit1 où une expérience consommée enseigne aux maîtres des plus petites écoles la dignité et aussi les devoirs pénibles de leur utile profession? Est-ce un homme dont la vie ait été exclusivement vouée au saint ministère de l'éducation du peuple? Est-ce Pestalozzi? Est-ce le Père Girard? Quel est encore celui qui, servant de guide à la Charité, l'a conduite dans la demeure du pauvre, et l'a faite ingénieuse à surprendre toutes les misères pour la rendre habile à les soulager 2? Qui, parmi nous, avec

1 Cours normal des instituteurs primaires, ou Directions relatives d l'éducation physique, morale et intellectuelle dans les écoles primaires, 1832.

2 Le Visiteur du pauvre, 1820, troisième édition, 1826.

une énergie plus persuasive, a demandé à la charité publique et privée de mesurer les heures de travail des enfants, employés dans nos manufactures, sur leur âge et sur leurs forces, et d'accorder au moins à la culture de leur âme quelques instants d'une journée jusqu'alors dévorée par un labeur sans relâche?

Mais je m'arrête, dans l'impuissance d'indiquer même tous les côtés de la vie de M. de Gérando par lesquels il nous appartient. J'ai écarté en lui le secrétaire ou le président de tant de sociétés utiles, l'administrateur de plusieurs grands établissements, le professeur qui a fondé l'enseignement du droit administratif en France, l'ancien secrétaire général du ministère de l'intérieur, l'un des viceprésidents du conseil d'État, le pair de France; je n'ai dû considérer dans M. de Gérando que le membre de notre Académie, et il m'échappe encore de toutes parts par la multitude de ses écrits et de ses services. En voyant ces députations des plus grands corps, ce concours de tant de de toute condition, je me demande si les funérailles de plusieurs citoyens illustres se sont donné rendezvous dans cette enceinte. Non, ce sont les funérailles d'un seul homme, mais d'un homme à qui rien d'humain n'était étranger. O vous qui ne voulez voir dans la philosophie que le mal qu'elle peut faire en s'égarant, venez apprendre ici quel

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dévouement peut inspirer aussi cette religion de la raison et du cœur!

Adorateur de Dieu, ami des hommes, M. de Gérando a passé sur la terre en faisant du bien, et il s'est éteint doucement, satisfait de sa destinée, regardant avec une modeste assurance les souvenirs de sa longue vie, et rempli des meilleures espérances. La section de philosophie perd en lui le seul nom illustre qui lui restât de tant de noms illustres elle n'est plus composée que d'hommes nouveaux. Mais leur fidélité à ces mémoires vénérées les soutiendra, et ils penseront souvent à M. de Gérando pour maintenir et animer en eux le sentiment de la dignité de la philosophie, et s'efforcer sans cesse de représenter en leurs travaux les deux qualités du vrai philosophe, de l'homme éminent qu'ils ont perdu : l'indépendance et la modération.

FAIT

A LA CHAMBRE DES PAIRS

AU NOM D'UNE COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE DE L'EXAMEN DU PROJET DE LOI SUR L'INSTRUCTION PRIMAIRE.

le 21 mai 1833.

C'est surtout depuis la révolution de juillet que l'instruction primaire est le premier besoin du pays et du gouvernement.

Un pays qui veut être libre doit être éclairé, ou ses meilleurs sentiments lui deviennent un péril, et il est à craindre que, ses droits surpassant ses lumières, il ne s'égare dans leur exercice le plus légitime.

Un gouvernement qui, comme le nôtre, a loyalement accepté, à jamais et sans retour, le principe du gouvernement représentatif, c'est-à-dire la publicité et la discussion universelle, n'a d'autre force que celle que lui prête la conviction des citoyens, et il se trouve dans cette situation à la fois difficile et heureuse où la propagation des lumières est pour lui une condition d'existence. La raison publique paie avec usure tout ce qu'on

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