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constitutifs de l'œuvre. Mais ce n'est point assez de noter la chose à propos de Balzac; il faut encore rechercher comment elle se produit. Et n'est-ce pas le cas de revenir à l'idée même que nous développions au début de cette étude, sur les relations entre l'esprit créateur et l'esprit critique? Précisément, croyons-nous, parce que certains dons de vision et d'observation psychologique qu'il possédait surabondamment prétent aussi volontiers au maniement des idées littéraires qu'à l'analyse des états d'àme, Balzac put exceller dans ce double rôle. Énoncer cette idée c'est marquer la réaction heureuse de l'analyse psychologique sur l'esprit critique, réaction qui se produira d'autant plus sûrement que le psychologue sera doué d'un esprit plus orné, plus accessible aux idées générales et aux vues d'ensemble. Qui ne voit que l'outil était identique, celui qu'employait Balzac pour analyser les étapes successives traversées par un artiste comme Lucien de Rubempré ou Wenceslas Steinbock, et celui dont il se servait dans sa belle étude théorique sur les artistes, pour exposer quelquesunes des lois qui régissent le développement de ces êtres exceptionnels? Le travail du critique n'est que l'aboutissement, la conclusion de l'effort du psychologue : ils se complètent l'un

l'autre, car celui-ci se trouve modelé par l'habitude de pénétrer et de différencier les états d'àme. L'esprit est un, en effet, et cette unité se révèle dans ses manifestations en apparence les plus diverses, souvent même dans les plus opposées.

CHAPITRE IV

BALZAC AUTEUR DRAMATIQUE

Pour quels motifs le théâtre devait tenter Balzac : son ambition sans limites. Fascination particulière qu'exerce l'art draAngoisses et jouissances attirantes. A van

matique.

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tages et dangers de l'interprétation.

Point commun à Balzac et aux romanciers venus après lui : ils ont tous ambitionné les succès de la scène. Aucun d'eux n'y a réussi. Leurs doléances et leurs objections après

coup.

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demeure un goût, n'est plus un art.

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Causes de leur insuccès. Réaction exercée sur la conception d'une œuvre par cette pensée qu'elle sera jouée et non lue. Vision intérieure du public, particulièrement glaçante pour l'écrivain. Insuffisance de ce public le théâtre Extrême légèreté des spectateurs horreur du nouveau. Routine et banalité. Balzac eut le même sort que les autres. Véritables causes de son insuccès. Qustion de la Psychologie au théâtre. Personne ne conteste plus qu'elle y soit possible, mais elle est différente de la psychologie dans le roman. Exemple tiré du personnage de Vautrin. Le Vautrin du roman et le Vautrin du théâtre.

Vision propre à Shakespeare par contraste avec celle de Balzac : vision en raccourci. Balzac a besoin de vastes espaces. Le personnage de Vautrin subit une vraie décapitation sur la

scène.

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Le théâtre de Balzac, partie négligeable de son œuvre.

A une époque quelconque de sa vie, la forme dramatique devait s'imposer à l'esprit de Balzac

comme une nécessité littéraire. A l'exemple de tous les grands créateurs d'âme, de tous ceux qui eurent une vision complexe et puissante de l'esprit humain, en même temps que l'impérieux besoin de traduire en œuvres d'art vivant cette obsession spirituelle, Balzac fut hanté par l'idée du théâtre. On n'oublie pas d'ailleurs que sa première tentative littéraire avait été une œuvre dramatique, un Cromwell, dont il reconnut luimême l'insuffisance. Mais plus tard, ayant atteint comme romancier à la plus haute réputation, il se souvint de ses débuts, et par un phénomène de retour assez fréquent, s'adressa à la forme de ses premiers essais. La gloire du romancier ne pouvait lui suffire, et il y avait à cela plusieurs raisons son ambition d'abord. Personne n'ignore qu'elle était sans limites: il considérait qu'un grand écrivain, un roi de la Pensée, comme il aimait à dire, pouvait hausser ses prétentions à une sorte de domination absolue. Les anecdotes abondent en ce sens, et certaines d'entre elles seraient de nature à faire sourire, si le ridicule pouvait en quelque manière avoir prise sur le génie.

Il est une autre cause encore, plus directe, plus immédiate et plus certaine, pour expliquer ses tentatives à la scène : c'est la fascination invin

cible qu'exerce sur un artiste amoureux de vie et de réalité l'art dramatique envisagé dans son essence et dans ses effets : cette communion directe de l'auteur avec le public, cette répercuscussion de l'un sur l'autre, source d'angoisses poignantes, mais aussi d'ineffables jouissances, dont la plupart des artistes se sont montrés avides. Le public du romancier présente un caractère trop anonyme; il ne le voit pas, il ne le touche pas; il ne perçoit pas l'effet produit sur lui par son œuvre, ou du moins ne le perçoit qu'indirectement, d'une manière tout à fait insuffisante, comme quelque chose de froid et de

mort. Entre eux rien n'existe de cette communication en quelque sorte électrique qui relie l'auteur dramatique à son public. Allons plus loin encore et disons qu'un personnage imaginé, si idéal qu'il soit dans sa conception, prend sur la scène une réalité concrète, un relief saisissant au regard de celui qui l'a créé : ce dernier le touche du doigt, lorsqu'il est incarné par l'acteur qui lui donne la vie véritable en lui prêtant l'appui de son talent d'interprète; là se trouvent à la fois le danger et l'avantage de l'art dramatique : le danger si l'interprète demeure au-dessous de sa mission, l'avantage s'il a bien pénétré son personnage, s'il a su se l'assimiler complète

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