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où il trouva l'inspiration de ses œuvres. Et voici que du même coup nous touchons à sa suprême originalité, en le différenciant de la classe des artistes qui dissimulent sous d'abstraites théories leur mépris pour tout ce qui n'est pas l'art pur, et souvent ainsi découvrent une indigence foncière d'Idées générales. Sans nous arrêter aux plus intransigeantes d'entre ces doctrines, il semble bien qu'elles aient vécu maintenant ; que, pareilles à toutes les réactions violentes, et par cette seule raison qu'elles manifestaient une réaction de cet ordre, elles aient atteint le terme de leur durée, en même temps que l'expression la plus outrée de leur esthétique, après avoir, sous leur influence salutaire et momentanée, rappelé l'art littéraire au culte de la beauté pure (1). De leurs efforts une trace subsiste, et des œuvres sont nées qui marqueront un moment glorieux de l'Histoire des lettres; mais l'évolution n'en a pas moins repris sa route au point où elle l'avait quittée, et les grandes créations de l'avenir, pareilles à celles du passé, s'élèveront, selon toute vraisemblance, sur la forte assise philosophique qui en paraît l'obligatoire soutien. L'œuvre du grand écrivain au

(1) Les doctrines esthétiques de Th. Gautier et Th. de Banville ont bien mis en lumière ce culte de la beauté pure.

quel nous nous sommes attaché peut servir de démonstration, ou mieux, d'illustration à cette idée. Chez Balzac, en effet, il existait un fonds inépuisable de pensées, fruit d'une méditation intense, d'un perpétuel repliement sur soi-même, qui faisait que, lorsqu'il avait à exprimer une part de son âme, la création intellectuelle avait sa place nécessaire, marquée d'avance, à côté de la création esthétique. Avoir un cerveau que le spectacle de l'Univers fait fonctionner par pure avidité de connaître, non pas seulement à l'occasion d'une œuvre, n'est-ce pas le trait commun à tous les génies de race, à tous les génies de tradition, tels que Balzac les aimait, étant un d'entre eux? Et n'aurait-il pas déclaré lui-même que celui-là n'écrira jamais une œuvre, qui n'est pas né philosophe? Dans un de ses premiers livres, Renan notait qu'à notre époque il existait peu de philosophes proprement dits, que les esprits à tendances philosophiques se faisaient historiens, naturalistes, érudits, bref cherchaient toujours une application pratique et positive à leur besoin de généralisation. On peut dire dans le même sens, à propos de Balzac, qu'il fut un philosophe artiste, un philosophe romancier, et que dans ses œuvres imaginées, outre l'intense plaisir de présenter des forces en action, il goûta

celui d'exposer, comme en des traités spéciaux, ses vues sur la science sociale et la métaphysique, c'est-à-dire sur la vie présente et sur l'au dela!

Ici encore, c'est donc une occasion nouvelle qui s'offre à nous, de constater, comme déjà nous l'avons fait au cours de ces études, que la supériorité de Balzac ne tient pas seulement à la puissance et à la fougue de son génie créateur, mais encore et surtout au caractère intégral et complet de ce génie. A côté de l'artiste, amoureux des drames de passion et des infinies complexités du sentiment auxquelles ils donnent naissance, il faut placer le penseur, impérieusement conduit à rechercher les lois supérieures qui dominent la vie. Du fonctionnement incessant de ce puissant esprit, de l'enquête ininterrompue qu'il dirigea à travers le champ d'innombrables expériences, est résulté un ensemble coordonné de vues qu'il importe de résumer en les étudiant à la fin de ces Essais, parce qu'elles représentent les foyers lumineux dont les reflets, plus ou moins rayonnants, plus ou moins affaiblis, éclairèrent chacune des œuvres où ils se réfractent ainsi qu'en des miroirs. Cette partie de notre effort démontrera l'exactitude de ce que nous avancions aux premières pages, non comme

une phrase banale, mais comme l'expression rigoureuse d'une vérité sentie, à savoir, que ce ne serait pas trop de toute une série d'ouvrages pour pénétrer à fond le génie de Balzac. Le seul examen des idées philosophiques pourrait être la matière d'un volume. C'est qu'il n'était pas dans sa nature de se contenter, sur les sujets qui l'occupaient, de notions vagues et imprécises. Pareil à un alambic bien construit, son cerveau brûlait jusqu'au dernier résidu les matières qui s'y trouvaient condensées par la vie. Il en distillait une essence très subtile, et les seules idées de Balzac sur le fonctionnement des organismes sociaux par exemple, éparses à travers ses différents livres, auraient suffi, s'il n'eût préféré les entremêler de créations artistiques, à le classer comme sociologiste non loin de Joseph de Maistre et de Bonald. On trouve, dans ces idées philosophiques, à côté de la largeur et de la force, cette part de beauté qui montre mieux que tout la fusion complète en lui du penseur et de l'esthète, ou, pour mieux dire, l'identité foncière de ce tempérament d'un seul jet qui, soutenu par la violence d'une fougue animale sans précédent, s'est élevé à des hauteurs que peu d'artistes et de philosophes ont approchées.

§ 1er. -LES IDÉES MYSTIQUES.

Préoccupations métaphysiques. — Métaphysique et Mysticisme : termes égaux et convertibles aux yeux de l'artiste. Les abstractions métaphysiques transformées en créations mystiques. Exemple de Séraphita. Première cause de cette

transposition, toute philosophique.

Seconde cause, tout esthétique : impérieux besoin d'idéalisme. Le naturalisme impuissant à satisfaire un esprit complet. Doctrine positiviste, mauvais soutien pour l'art.

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Balzac éprouva d'impérieuses tendances mystiques: Séraphita les condense toutes. Double satisfaction que lui apporta le mysticisme, dans sa tendance aux concepts généraux et à la sentimentalité sublimée. Le mysticisme milieu moral et rare. Exemple caractéristique: monologue de Séraphita. Immatérialité du désir; transfiguration du sentiment ; éternité de l'amour.

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Réaction du mysticisme sur les œuvres réelles: Séraphita, l'héroïne du rève, sœur d'Eugénie Grandet et d'Henriette de Mortsauf. ― Le mysticisme, souveraine expression d'une âme vierge. Rapports entre l'éclosion passionnelle et les ardeurs de la piété. Dernière cause du mysticisme de Balzac sa croyance à l'occultisme. Problèmes d'au delà leur modernité. Rapports entre le magnétisme et l'amour. Le magnétisme, base du roman d'Ursule Mirouet. Phénomènes de double vue et d'action à distance. Réaction sur la volonté et la conception de l'âme.

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Il y a contradiction, pour tout esprit supérieur, à s'interdire les vastes horizons et à se parquer dans l'enceinte bornée des sciences positives. S'il est né artiste, il se trouve nécessairement conduit à faire incursion dans le domaine de la métaphysique; et qu'est-ce que la

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