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une personnalité plus ou moins tranchée. C'est en ce sens qu'elle semble d'une rigoureuse exactitude, la définition fameuse que Buffon donna du style, si souvent déformée, mais à laquelle on a pu justement attribuer une portée profonde. L'énergie vitale de l'homme, ses habitudes d'existence, tout ce qui constitue son être intime, se reflète dans les productions de son cerveau. Le véritable artiste produit avec tout son étre. Dans la théorie des Types on trouve une application directe de cette vérité. On connaît cette classification des individus en auditifs, visuels ou moteurs, suivant la prédominance des images qui ressuscitent dans leur cerveau : c'est ainsi que la caractéristique du type visuel est la réviviscence des images qui primitivement ont affecté sa vue; celle du type moteur, la réviviscence des images de mouvement. Chaque fois que je me représente la marche, disait Stricker, le savant Allemand qui a le mieux approfondi la question, je sens des phénomènes analogues à ceux que j'éprouve quand je marche réellement.

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Au lieu de voir les mots ou de les entendre, les représentants du type moteur les prononcent (1).

(1) Charcot a puissamment contribué à élucider cette théorie des types.

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Application au cas de Balzac.

Renaissance des états internes. Don de vision intérieure. Faculté d'évocation et d'imagination sympathique. Sa maitrise souveraine : l'expression des mouvements d'âme.

L'apport scientifique dans le style de Balzac; il se combine avec l'élément poétique; il se transmue en poésie.

La Science dans le Roman. Différence entre Balzac et ses successeurs. L'observation brutale et l'invention.

L'exposé un peu aride de ces théories spéciales n'apparaitra pas, nous l'espérons, comme une pure digression; car dans notre pensée il se relie intimement au cas particulier de Balzac et à l'examen raisonné de son style. Jusqu'ici, déjà nous l'avons marqué, il s'est rencontré des écrivains pour exalter ce style; d'autres, beaucoup plus nombreux, pour l'attaquer; quant à en tenter une explication, nous ne pensons pas qu'on l'ait fait, et pourtant n'est-ce pas là seulement ce qui importe? Son œuvre peut se diviser en deux, si on l'examine au point de vue spécial de la forme d'une part la Comédie Humaine, qui représente l'effort de son invention moderne; de l'autre les Contes Drolatiques, où il s'est donné le plaisir de faire œuvre archaïque et de subordonner ses conceptions littéraires à un parti pris d'art. Il faut les envisager séparément,

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tout en leur appliquant une méthode identique.

Si nous partons des théories précédentes pour nous efforcer d'en dégager une loi, nous pouvons dire que chaque écrivain manifeste dans son style la catégorie du type auquel il se rattache, et que le style d'un auteur, c'est la classe des images qui d'habitude ressuscitent en son cerveau. A l'analyse on découvre aisément la prédominance de certaines images, des métaphores visuelles, par exemple, ou des réminiscences sentimentales. De là naîtra son talent particulier. S'il est préoccupé du monde extérieur, son style sera rempli de métaphores colorées. S'il est de tempérament nerveux, on sentira perpétuellement l'effort quand il s'agira de rendre une image visuelle, tandis que les réminiscences sentimentales lui viendront tout spontanément.

Posons-nous la question pour Balzac, et maintenant examinons son cas. Sa nature est assurément fort complexe, pas à ce point pourtant que l'on ne puisse, dans l'apport sans cesse renouvelé du tempérament, de l'éducation, des circonstances multiples qui contribuèrent à former son génie, discerner les tendances maîtresses. De même que Flaubert, qui est un type admira

blement tranché de visuel, emprunté ses métaphores à des phénomènes visuels, de même que Stendhal, qui est un sentimental, les emprunte à des phénomènes affectifs tout internes, de même Balzac, qui est à la fois un sentimental et un intellectuel, emploie des expressions et toute une structure de phrase décelant la prédominance de l'apport sensible et intellectuel. Les images qui le plus fréquemment ressuscitaient dans son cerveau, étaient les images de pensées et les réminiscences de sentiments: à ces deux foyers principaux s'alimentaient les foyers accessoires. Ce qui ne veut pas dire que ces foyers accessoires soient dans son œuvre chose négligeable: il est clair, par exemple, que dans mainte description physique Balzac a fait preuve d'une puissance de vision, d'un sens des reliefs et des couleurs, d'un don d'évocation si intense, qu'on pourrait être à certaines heures tenté de le ranger dans la classe des visuels. Et pourtant ce serait méconnaitre sa véritable maitrise, celle dans le domaine de laquelle il n'offre jamais la plus petite défaillance, car si Balzac s'est trouvé quelquefois impuissant à rendre une image externe, un relief, il est un point où il a toujours excellé : la renaissance des états d'âme.

A cette admirable faculté de vision intérieure

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il doit, nous l'avons vu, ses plus belles créations de poète, comme au don correspondant d'expression, d'analyse des états d'âme, il est redevable de ses pages les plus émouvantes. Il nous suffit de rappeler ici les types de femmes qui nous ont servi à étudier sa conception de l'éternel féminin, pour évoquer aux yeux de l'âme le souvenir d'études dans lesquelles la perfection de la forme ne le cède en rien à la délicatesse des sentiments exprimés. La « Femme abandonnée », la « Femme de trente ans », la «< Cousine Bette », le « Curé de village », surtout le « Lys dans la vallée >> autant d'œuvres qui marquent sa souveraine maîtrise! La plupart des épisodes du « Lys », depuis la première rencontre de Félix de Vandenesse avec Mme de Mortsauf jusqu'à la mort et au testament d'amour d'Henriette, sont d'admirables et progressives études d'âme que l'on ne saurait d'ailleurs détacher, car elles sont intimement unies, et qui donnent à la lecture l'impression d'une vision purement intérieure. Dans Balzac, les descriptions physiques des personnages sont toujours subordonnées à leur peinture morale, et les traits physionomiques saillants ont leur pendant dans un trait d'âme corrélatif. L'analyse des émotions, sur laquelle nous insisterons en étudiant le sens

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