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parcourant les pages où Balzac expose le phénomène de double vue, parcourir telle revue (1) très moderne, aux allures exclusivement scientifiques, dont l'unique but est de relever les manifestations de double vue qui se produisent.

L'existence de manifestations magnétiques une fois constatée par Balzac a produit sur son esprit une double conséquence d'abord la nécessité d'une conception générale d'ordre mystique, autrement dit l'impossibilité d'une conception négatrice du surnaturel, entendant par là ce qui fait exception aux faits tangibles; ensuite une conception très spéciale de l'âme humaine et de la volonté humaine. Pour un romancier tel que lui, en effet, les facultés de l'âme devaient se ramener à la volonté, cause directrice et maîtresse. Il envisageait les êtres comme des Forces (2), il concevait l'âme aussi comme une force. Et c'est pourquoi nous aurons noté, non pas tout l'ensemble des conceptions de Balzac, mais du moins nous aurons examiné les deux pôles de sa pensée philosophique, lorsque, après avoir étudié ses idées mystiques, nous aurons exposé sa théorie de la volonté.

(1) Nous voulons parler des Annales psychiques du D' Dariex. Voir le développement de cette idée dans le premier volume des Essais: chapitre des Personnages excessifs.

$ 2. - LA THÉORIE DE LA VOLONTÉ

Con

Rôle prépondérant de la volonté dans le magnétisme. tradiction entre ce rôle et l'analyse moderne du pouvoir volontaire. Rôle de la répétition, de l'habitude. Balzac base sa théorie de la volonté sur la force magnétique. Louis Lambert la résume entièrement.

Cette conception théorique réagit sur les conceptions vivantes : Rastignac et Vautrin. Parallélisme de ces deux créations au point de vue de la volonté. Dans Vautrin, Balzac fait de la volonté avec de l'intelligence.

Lien entre cette théorie de Balzac et sa conception matérialiste de l'origine des sentiments. Balzac disciple de Cabanis et du dix-huitième siècle.

Balzac, mystique décidé d'une part, physiologiste de l'autre.

Pôles extrêmes de sa philosophie. Ses essais de Physiognomonie. Sa théorie des passions. Filiation bâtarde du Naturalisme avec lui.

Dans l'ordre des facultés humaines, il est incontestable que le magnétisme attribue la première place à la puissance volontaire. Dans l'action magnétique, en effet, c'est la Volonté consciente qui devient productrice d'effet. L'homme en possession d'une telle volonté, résolu en outre à la faire exécuter par un autre, atteint par cette voie au but poursuivi, et n'y peut atteindre que par cette voie. Pourtant, chose remarquable et déconcertante au premier abord, un tel processus semble en contradiction avec les enseignements que nous apportent les plus récentes théories sur l'essence du pouvoir volontaire. Tout l'effort des

psychologues modernes, depuis Stuart Mill jusqu'à M. Ribot, en passant par la doctrine de Taine, aboutit à cette conclusion, se résume en ceci : La volonté est un simple produit: elle est impuissante à créer quoi que ce soit. « Le Je veux, dit M. Ribot, n'a pas de pouvoir par luimême », — entendant par là que la manifestation intérieure de la volonté, ou son affirmation au centre de la sensibilité, n'ajoute rien à ses effets pratiques.

Telle paraît bien aussi l'idée de Schopenhauer, qui étend la signification du mot volonté et y comprend toute espèce de forces. Nous nous trouvons donc en face d'une antinomie entre les plus modernes doctrines philosophiques sur la volonté, et son incontestable mécanisme dans les phénomènes magnétiques. Pourtant cette contradiction n'est qu'apparente : la théorie du magnétisme est basée sur ce fait, l'automatisme des images. Toute image, une fois née dans le cerveau, tend à se compléter, à passer à l'acte. Il s'agit en conséquence d'évoquer une image assez intense pour qu'elle prenne une valeur maîtresse; tout ce qui la renforcera deviendra en même temps créateur d'images. C'est ainsi par exemple que, dans le domaine purement psychologique de la passion, et si nous nous arrêtons à la plus vio

lente de toutes, celle qui se réfère à l'instinct sexuel, la jalousie renforce l'image obsédante et devient elle-même créatrice d'images. Il est donc faux de dire, en raisonnant par analogie, que l'affirmation de l'acte volontaire, sa manifestation au fond de la conscience par le je veux prononcé, puis répété, n'ajoute rien à l'état cérébral cette simple constatation de la volonté renforce le fait volontaire. Ainsi doit se compléter et se complète en effet, à la faveur du magnétisme, l'analyse psychologique de la volonté. Dans ces limites et dans cet ordre de faits, on doit reconnaître qu'elle possède une action propre.

Il faut admettre en outre qu'il existe dans la nature une communication ou état de matière tellement indéniable que la science a été amenée à noter dans l'hypnotisme une influence morale, cause que suivant les cas il devient plus ou moins facile cette influence, c'est la répétition, l'Habitude. Nous la retrouvons ici, comme dans tous les autres phénomènes de l'âme, jouant son rôle de puissant auxiliaire, communiquant aux rouages intérieurs cette souplesse et cette agilité qui permet à la plus légère pression de les mettre en mouvement. Ainsi en va-t-il pour les phénomènes d'hypnotisme : lorsqu'un sujet a été entraîné, il tombe plus aisément sous le pouvoir de

l'hypnotiseur. Alors apparaît l'Action à distance, telle que Balzac la constate dans « Séraphita», dans « Ursule Mirouet >> telle " que nous l'avons précisée à propos des phénomènes de double vue exposés dans ce dernier roman. Si, pour résumer, on combine les observations les plus récentes du magnétisme avec les plus modernes analyses du pouvoir volontaire, on arrive à cette conclusion que, non seulement la manifestation de la volonté a une influence directe sur l'homme isolé qui veut, mais encore qu'elle peut apparaître comme cause modificatrice, agissant sur l'âme des autres hommes. Telle est la loi du magnétisme, qui s'est trouvée mise en lumière par les dernières constatations faites à son sujet.

Balzac, qui avait posé en principe l'existence de la force magnétique, base par analogie sur cette force l'ensemble de sa théorie de la volonté. Et à ses yeux ce n'est pas exceptionnellement, mais d'une façon régulière, perpétuelle et normale, que la volonté se manifeste douée d'un pouvoir créateur. Hostile à cette doctrine que nous considérons aujourd'hui comme rigoureusement exacte, à savoir, que les faits de sensibilité précèdent les faits intellectuels, il pensa, semble-t-il, tout le contraire, et il résuma, dans le roman de « Louis Lambert ses idées théo

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