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Balzac entretint une correspondance suivie avec une personne qu'il ne vit jamais et ne connut que sous le nom de Louise. « Aucune de ces lettres ne portant de date précise, écrivent les éditeurs, et leur série composant une sorte de petit roman sentimental, nous n'avons cru pouvoir mieux faire que de les présenter au lecteur dans leur ensemble, tout en leur assignant un ordre chronologique qui se rapporte à l'époque où elles furent écrites. »

Un roman sentimental, si l'on veut, mais un roman dans lequel, si l'on juge des lettres écrites par celles que Balzac adressait en réponse, la correspondante s'occupait avant tout de raffiner sur le sentiment, et se souciait plus de l'impression qu'elle allait produire sur un romancier célèbre que d'un échange d'idées sincères et personnelles; somme toute, un commerce épistolaire qui dut finir par ennuyer Balzac d'autant mieux qu'il ne put obtenir qu'elle se départît de l'anonyme qu'elle prétendait garder jusqu'à la fin.

Certaines de ces réponses sont intéressantes à consulter, notamment celle où il parle de l'amitié, affirmant sa supériorité sur l'amour : :- « L'amitié va plus loin que l'amour, car à mes yeux elle est le dernier degré de l'amour et la sécu

rité dans le Bonheur. » Et ce fragment surtout dans lequel il se dépeint lui-même et dévoile le fond de sa nature : « Sachez que ce que vous présumez chez moi de bon est meilleur encore; que la poésie exprimée est au-dessous de la poésie pensée, que mon dévouement est sans bornes, que ma sensibilité est féminine et que je n'ai de l'homme que l'énergie. »>

« Aimez-moi comme on aime Dieu », lui répondait-elle!... Hélas! qui pourra jamais sonder la vanité et la sottise du Bas-bleu! Voilà bien la femme caricature de l'homme. Coquetterie non plus du cœur, mais de l'esprit, la plus vaine et la plus méprisable de toutes, puisqu'elle se manifeste à l'encontre de sa nature habituelle et n'a même pas pour excuse d'apparaître un prolongement normal de son être intime. Ce sont de telles phrases qui, venant sous la plume des trop nombreuses Louise dont la littérature fut encombrée, démasquèrent le ridicule de la femme pédante et suscitèrent les représailles de l'homme. Cette inimitié put donner naissance à des œuvres de pamphlet plutôt que de critique; mais elle avait, somme toute, une origine noble et pure, puisqu'elle flétrissait cette chose horrible : la grimace du sentiment, et s'efforçait de restituer à la femme son véritable caractère. Pour en reve

nir à Louise et à Balzac, la correspondance cessa brusquement; on s'étonne à juste titre qu'elle ait pu durer si longtemps!

A l'homme qui, parlant de l'amitié, trouvait de telles expressions pour la caractériser, à l'artiste qui, connaissant le fond réel de sa nature pour en avoir souffert, l'analysait si délicatement, ces liaisons, on le conçoit, ne pouvaient suffire et demeuraient impuissantes à combler le vide de son cœur. Que lui fallait-il donc? Une affection de femme qui, sans être exigeante, surtout sans absorber le temps qu'il employait à son grand œuvre, fùt toujours présente à sa pensée et le soutint dans ses angoisses; une tendresse délicate qui, n'étant pas précisément l'amour, non plus que la simple amitié, mais une sorte de compromis entre eux, fût comme une caresse constante pour son esprit, un apaisement à ses misères; un sentiment qui, tout en lui laissant la paix du cœur, maintînt pourtant ce cœur dans un perpétuel état de vibration douce, favorable à l'épanouissement de son talent : une chose rare et précieuse entre toutes, telle en un mot qu'on ne la rencontre pas deux fois dans une existence! Pas de coquetterie et pourtant de la tendresse; pas de pédanterie et néanmoins une vraie culture d'esprit; bref une femme qui eût

les qualités de ce qu'on appelait au grand siècle « un honnête homme » et qui néanmoins demeurât femme par toutes les nuances du senti

ment.

Telle était Mme de Berny, que Balzac connut à l'époque de ses débuts littéraires et qui lui conserva jusqu'à sa mort la plus tendre affection. Les analogies sont saisissantes entre elles et l'héroïne du Lys : c'est la même douceur résignée, le même sentiment d'irrémédiable mélancolie; cette conviction enracinée d'une disproportion nécessaire entre le rêve et la vie réelle. Mme de Berny avait épousé un mari beaucoup plus âgé qu'elle, d'humeur morose et chagrine, qui fut évidemment le prototype de M. de Mortsauf. Elle n'eut toute sa vie d'autre consolation que sa tendresse de mère et ses relations d'amie. Jusqu'où ces relations allèrent-elles entre eux deux? Sans prétendre que Balzac ait joué le rôle de Vandenesse avant de l'écrire, et bien convaincu d'ailleurs que Mme de Berny, comme Henriette de Mortsauf, ne faillit jamais à ses devoirs, il est probable que, tout au moins dans le début de cette liaison, la sympathie profonde du romancier fit naître un sentiment que la jeune femme n'osa peut-être jamais s'avouer à ellemême, mais qui ne pouvait être que de l'amour.

Toujours est-il que jusqu'à sa mort elle ne cessa de correspondre avec Balzac, et de soutenir ses défaillances. Cette intimité dura douze ans ; l'amie des premiers jours mourut en 1836, emportée par une maladie de langueur.

Voilà ce que Balzac trouva en Mme de Berny, si l'on en croit certains fragments de sa correspondance, certaines confidences adressées à sa sœur et à d'autres amies, qui éclairent d'une douce et mystérieuse lumière cette figure également mystérieuse et douce de l'amie disparue, ravie à son affection par l'implacable destin! Quand il se reporte à ces instants heureux par la toutepuissance du souvenir, il semble que ce soit avec le ravissement d'un être humain à qui il a été donné de contempler une figure qui à peine était de ce monde et qui ne semblait pas faite pour y demeurer longtemps. Lorsqu'il parle d'elle, c'est avec des termes d'adoration presque supraterrestre, et le jour où elle disparaît, voici ce qu'il écrit : « La personne que j'ai perdue était plus qu'une mère, plus qu'une amie, plus que toute créature peut être pour une autre. Elle ne s'explique que par la divinité. Elle m'avait soutenu de parole, d'action, de dévouement pendant les grands orages. Si je vis, c'est par elle; elle était tout pour moi... Elle réagissait sur

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