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lui d'Occident fut surtout déplorable: il n'avait point de forces de mer; elles étaient toutes en

fréquentes; ils subsistaient en partie par un commerce avec les Romains, qui leur portaient des vivres des provinces voisines du Danube1. Les bar-Orient, en Égypte, Chypre, Phénicie, Ionie, Grèce, bares donnaient en retour les choses qu'ils avaient pillées, les prisonniers qu'ils avaient faits, l'or et l'argent qu'ils recevaient pour la paix. Mais lorsqu'on ne put plus leur payer des tributs assez forts pour les faire subsister, ils furent forcés de s'établir".

L'empire d'Occident fut le premier abattu : en voici les raisons :

Les barbares, ayant passé le Danube, trouvaient à leur gauche le Bosphore, Constantinople, et toutes les forces de l'empire d'Orient, qui les arrêtaient cela faisait qu'ils se tournaient à main droite, du côté de l'Illyrie, et se poussaient vers l'Occident. Il se fit un reflux de nations et un transport de peuples de ce côté-là. Les passages de l'Asie étant mieux gardés, tout refoulait vers l'Europe; au lieu que dans la première invasion, sous Gallus, les forces des barbares se partagèrent.

L'empire ayant été réellement divisé, les empereurs d'Orient, qui avaient des alliances avec les barbares, ne voulurent pas les rompre pour secourir ceux d'Occident. Cette division dans l'administration, dit Priscus 3, fut très-préjudiciable aux affaires d'Occident. Ainsi, les Romains d'Orient 4 refusèrent à ceux d'Occident une armée navale, à cause de leur alliance avec les Vandales. Les Wisigoths, ayant fait alliance avec Arcadius, entrèrent en Occident, et Honorius fut obligé de s'enfuir à Ravenne. Enfin, Zénon, pour se défaire de Théo doric, le persuada d'aller attaquer l'Italie, qu'Alaric avait déjà ravagée.

Il y avait une alliance très-étroite entre Attila et Genseric, roi des Vandales 6. Ce dernier craignait les Goths 7; il avait marié son fils avec la fille du roi des Goths, et lui ayant ensuite fait couper le nez, il l'avait renvoyée : il s'unit done avec Attila. Les deux empires, comme enchaînés par ces deux princes, n'osaient se secourir. La situation de ce

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seuls pays où il y eût alors quelque commerce. Les Vandales et d'autres peuples attaquaient partout les côtes d'Occident. Il vint une ambassade des Italiens à Constantinople, dit Priscus 2, pour faire savoir qu'il était impossible que les affaires se soutinssent sans une réconciliation avec les Vandales.

Ceux qui gouvernaient en Occident ne manquèrent pas de politique: ils jugèrent qu'il fallait sauver l'Italie, qui était en quelque façon la tête, et en quelque façon le cœur de l'empire. On fit passer les barbares aux extrémités, et on les y plaça. Le dessein était bien conçu, il fut bien exécuté Ces nations ne demandaient que la subsistance : on leur donnait les plaines; on se réservait les pays montagneux, les passages des rivières, les défilés, les places sur les grands fleuves; on gardait la souveraineté. Il y a apparence que ces peuples auraient été forcés de devenir Romains; et la facilité avec laquelle ces destructeurs furent eux-mêmes détruits par les Francs, par les Grecs, par les Maures, justifie assez cette pensée. Tout ce système fut renversé par une révolution plus fatale que toutes les autres : l'armée d'Italie, composée d'étrangers, exigea ce qu'on avait accordé à des nations plus étrangères encore; elle forma sous Odoacer une aristocratie qui se donna le tiers des terres de l'Italie; et ce fut le coup mortel porté à cet empire.

Parmi tant de malheurs on cherche avec une curiosité triste le destin de la ville de Rome. Elle était pour ainsi dire sans défense; elle pouvait être aisément affamée; l'étendue de ses murailles faisait qu'il était très-difficile de les garder. Comme elle était située dans une plaine, on pouvait aisément la forcer; il n'y avait point de ressource dans le peuple, qui en était extrêmement diminué. Les empereurs furent obligés de se retirer à Ravenne, ville autrefois défendue par la mer, comme Venise l'est aujourd'hui.

Le peuple romain, presque toujours abandonné de ses souverains, commença à le devenir et à faire des traités pour sa conservation 3: ce qui est le moyen le plus légitime d'acquérir la souveraine

Cela parut surtout dans la guerre de Constantin et de Licinius.

2 PRISCUS, liv. II.

3 Du temps d'Honorius, Alaric, qui assiégeait Rome, obligea cette ville à prendre son alliance même contre l'empereur, qu ne put s'y opposer. (PROCOPE, Guerre des Goths, liv. I.) Voyez Zosime, liv. VI.

tagne commencèrent à vivre sous leurs propres lois 1.

puissance. C'est ainsi que l'Armorique et la Bre- | de les défendre, en laissèrent tomber les murailles en ruine. Procope nous apprend que Bélisaire trouva celles d'Italie en cet état. Celles d'Afrique avaient été démantelées par Genséric, comme celles d'Espagne le furent dans la suite par Vitisa 2, dans l'idée de s'assurer de ses habitants.

Telle fut la fin de l'empire d'Occident. Rome s'était agrandie parce qu'elle n'avait eu que des guerres successives, chaque nation, par un bonheur inconcevable, ne l'attaquant que quand l'autre avait été ruinée. Rome fut détruite parce que toutes les nations l'attaquèrent à la fois et pénétrèrent par

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Comme tous ces peuples entraient pêle-mêle dans l'empire, ils s'incommodaient réciproquement; et toute la politique de ces temps-là fut de les armer les uns contre les autres: ce qui était aisé, à cause de leur férocité et de leur avarice. Ils s'entredétruisirent pour la plupart avant d'avoir pu s'établir; et cela fit que l'empire d'Orient subsista encore du temps.

D'ailleurs, le Nord s'épuisa lui-même, et l'on n'en vit plus sortir ces armées innombrables qui parurent d'abord; car, après les premières invasions des Goths et des Huns, surtout depuis la mort d'Attila, ceux-ci et les peuples qui les suivirent attaquèrent avec moins de forces.

Lorsque ces nations, qui s'étaient assemblées en corps d'armée, se furent dispersées en peuples, elles s'affaiblirent beaucoup; répandues dans les divers lieux de leurs conquêtes, elles furent ellesmêmes exposées aux invasions.

Ce fut dans ces circonstances que Justinien entreprit de reconquérir l'Afrique et l'Italie, et fit ce que nos Français exécutèrent aussi heureusement contre les Wisigoths, les Bourguignons, les Lombards et les Sarrasins.

Lorsque la religion chrétienne fut apportée aux barbares, la secte arienne était en quelque façon dominante dans l'empire. Valens leur envoya des prêtres ariens, qui furent leurs premiers apôtres. Or, dans l'intervalle qu'il y eut entre leur conversion et leur établissement, cette secte fut en quelque façon détruite chez les Romains les barbares ariens ayant trouvé tout le pays orthodoxe, n'en purent jamais gagner l'affection; et il fut facile aux empereurs de les troubler.

D'ailleurs, ces barbares, dont l'art et le génie n'étaient guère d'attaquer les villes et encore moins 1 Zosime, liv. VI.

La plupart de ces peuples du nord, établis dans les pays du midi, en prirent d'abord la mollesse, et devinrent incapables des fatigues de la guerre 3. Les 3. Vandales languissaient dans la volupté; une table délicate, des habits efféminés, des bains, la musique, La danse, les jardins, les théâtres, leur étaient devenus nécessaires.

Ils ne donnaient plus d'inquiétude aux Romains 4, dit Malchus, depuis qu'ils avaient cessé d'entretenir les armées que Genséric tenait toujours prêtes, avec lesquelles il prévenait ses ennemis, et étonnait tout le monde par la facilité de ses entreprises.

La cavalerie des Romains était très-exercée à tirer de l'arc; mais celle des Goths et des Vandales ne se servait que de l'épée et de la lance, et ne pouvait combattre de loin: c'est à cette différence que Bélisaire attribuait une partie de ses succès.

Les Romains, surtout sous Justinien, tirèrent de grands services des Huns, peuples dont étaient sortis les Parthes, et qui combattaient comme eux. Depuis qu'ils eurent perdu leur puissance par la défaite d'Attila et les divisions que le grand nombre de ses enfants fit naître, il servirent les Romains en qualité d'auxiliaires, et ils formèrent leur meilleure cavalerie.

Toutes ces nations barbares se distinguaient chacune par leur manière particulière de combattre et de s'armer 7. Les Goths et les Vandales étaient redoutables l'épée à la main; les Huns étaient des archers admirables, les Suèves, de bons hommes d'infanterie; les Alains étaient pesamment armés; et les Hérules étaient une troupe légère. Les Romains prenaient dans toutes ces nations les divers corps de troupes qui convenaient à leurs desseins, et combattaient contre une seule avec les avantages de toutes les autres.

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On peut trouver dans les qualités de ce grand homme les principales causes de ses succès. Avec un général qui avait toutes les maximes des premiers

nes armées romaines.

Les grandes vertus se cachent ou se perdent ordinairement dans la servitude; mais le gouvernement tyrannique de Justinien ne put opprimer la grandeur de cette âme, ni la supériorité de ce génie.

Il est singulier que les nations les plus faibles aient été celles qui firent de plus grands établissements. On se tromperait beaucoup, si l'on jugeait de leurs forces par leurs conquêtes. Dans cette lon-Romains, il se forma une armée telle que les anciengue suite d'incursions, les peuples barbares, ou plutôt les essaims sortis d'eux, détruisaient ou étaient détruits tout dépendait des circonstances; et pendant qu'une grande nation était combattue ou arrêtée, une troupe d'aventuriers qui trouvaient un pays ouvert y faisaient des ravages effroyables. Les Goths, que le désavantage de leurs armes fit fuir devant tant de nations, s'établirent en Italie, en Gaule et en Espagne; les Vandales, quittant l'Espagne par faiblesse, passèrent en Afrique, où ils fondèrent un grand empire.

Justinien ne put équiper contre les Vandales que cinquante vaisseaux; et quand Bélisaire débarqua, il n'avait que cinq mille soldats 1. C'était une entreprise bien hardie; et Léon, qui avait autrefois envoyé contre eux une flotte composée de tous les vaisseaux de l'Orient, sur laquelle il avait cent mille hommes, n'avait pas conquis l'Afrique, et avait pensé perdre l'empire.

Ces grandes flottes, non plus que les grandes armées de terre, n'ont guère jamais réussi. Comme elles épuisent un État, si l'expédition est longue ou que quelque malheur leur arrive, elles ne peuvent être secourues ni réparées; si une partie se perd, ce qui reste n'est rien, parce que les vaisseaux de guerre, ceux de transport, la cavalerie, l'infanterie, les munitions, enfin les diverses parties, dépendent du tout ensemble. La lenteur de l'entreprise fait qu'on trouve toujours des ennemis préparés; outre qu'il est rare que l'expédition se fasse jamais dans une saison commode, on tombe dans le temps des orages : tant de choses n'étant presque jamais prêtes que quelques mois plus tard qu'on ne se l'était promis.

Bélisaire envahit l'Afrique; et ce qui lui servit beaucoup, c'est qu'il tira de Sicile une grande quantité de provisions, en conséquence d'un traité fait avec Amalasonte, reine des Goths. Lorsqu'il fut envoyé pour attaquer l'Italie, voyant que les Goths tiraient leur subsistance de la Sicile, il commença par la conquérir; il affama ses ennemis, et se trouva dans l'abondance de toutes choses.

Bélisaire prit Carthage, Rome et Ravenne, et envoya les rois des Goths et les Vandales captifs à Constantinople, où l'on vit, après tant de temps, les anciens triomphes renouvelés 2.

PROCOPE, Guerre des Goths, liv. II.

* Justinien ne lui accorda que le triomphe de l'Afrique. MONTESQUIEU.

L'eunuque Narsès fut encore donné à ce règne pour le rendre illustre. Élevé dans le palais, il avait plus la confiance de l'empereur; car les princes regardent toujours leurs courtisans comme leurs plus fidèles sujets.

Mais la mauvaise conduite de Justinien, ses profusions, ses vexations, ses rapines, sa fureur de bâtir, de changer, de réformer, son inconstance dans ses desseins, un règne dur et faible, devenu plus incommode par une longue vieillesse, furent des

malheurs réels mêlés à des succès inutiles, et une gloire vaine.

Ces conquêtes, qui avaient pour cause non la particulières, perdirent tout: pendant qu'on y ocforce de l'empire, mais de certaines circonstances cupait les armées, de nouveaux peuples passèrent le Danube, désolèrent l'Illyrie, la Macédoine et la Grèce; et les Perses, dans quatre invasions, à l'Orient des plaies incurables 2. firent

Plus ces conquêtes furent rapides, moins elles eurent un établissement solide : l'Italie et l'Afrique furent à peine conquises, qu'il fallut les reconquérir.

Justinien avait pris sur le théâtre une femme qui s'y était longtemps prostituée 3 : elle le gouverna avec un empire qui n'a point d'exemple dans les histoires; et mettant sans cesse dans les affaires les passions et les fantaisies de son sexe, elle corrompit les victoires et les succès les plus heureux.

En Orient, on a de tout temps multiplié l'usage des femmes pour leur ôter l'ascendant prodigieux qu'elles ont sur nous dans ces climats; mais à Constantinople la loi d'une seule femme donna à ce sexe l'empire: ce qui mit quelquefois de la faiblesse dans le gouvernement.

Le peuple de Constantinople était de tout temps divisé en deux factions, celle des bleus et celle des verts elles tiraient leur origine de l'affection que

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l'on prend dans les théâtres pour de certains acteurs plutôt que pour d'autres. Dans les jeux du cirque, les chariots dont les cochers étaient habillés de vert disputaient le prix à ceux qui étaient habillés de bleu; et chacun y prenait intérêt jusqu'à la fu

reur.

Ces deux factions, répandues dans toutes les villes de l'empire, étaient plus ou moins furieuses, à proportion de la grandeur des villes, c'est-à-dire de l'oisiveté d'une grande partie du peuple.

Mais les divisions, toujours nécessaires dans un gouvernement républicain pour le maintenir, ne pouvaient être que fatales à celui des empereurs, parce qu'elles ne produisaient que le changement du souverain, et non le rétablissement des lois et la cessation des abus.

Justinien, qui favorisa les bleus, et refusa toute justice aux verts1, aigrit les deux factions, et par conséquent les fortifia.

Elles allèrent jusqu'à anéantir l'autorité des magistrats. Les bleus ne craignaient point les lois, parce que l'empereur les protégeait contre elles; les verts cessèrent de les respecter, parce qu'elles ne pouvaient plus les défendre 2.

Tous les liens d'amitié, de parenté, de devoir, de reconnaissance, furent ôtés ; les familles s'entredétruisirent; tout scélérat qui voulut faire un crime fut de la faction des bleus; tout homme qui fut volé ou assassiné fut de celle des verts.

Un gouvernement si peu sensé était encore plus cruel l'empereur, non content de faire à ses sujets une injustice générale en les accablant d'impôts excessifs, les désolait par toutes sortes de tyrannies dans leurs affaires particulières.

Je ne serais point naturellement porté à croire tout ce que Procope nous dit là-dessus dans son histoire secrète, parce que les éloges magnifiques qu'il a faits de ce prince dans ses autres ouvrages affaiblissent son témoignage dans celui-ci, où il nous le dépeint comme le plus stupide et le plus cruel des

tyrans.

Mais j'avoue que deux choses font que je suis pour l'histoire secrète : la première, c'est qu'elle est mieux liée avec l'étonnante faiblesse où se trouva cet empire à la fin de ce règne et dans les suivants. L'autre est un monument qui existe encore parmi

Cette maladie était ancienne. Suétone dit que Caligula, attaché à la faction des verts, haissait le peuple parce qu'il applaudissait à l'autre.

2 Pour prendre une idée de l'esprit de ces temps-là, il faut voir Théophanes, qui rapporte une longue conversation qu'il y eut au théâtre entre les verts et l'empereur.

nous ce sont les lois de cet empereur, où l'on voit dans le cours de quelques années la jurisprudence varier davantage qu'elle n'a fait dans les trois cents dernières années de notre monarchie.

Ces variations sont la plupart sur des choses de qui eût dû porter un législateur à les faire, à moins si petite importance 1 qu'on ne voit aucune raison qu'on n'explique ceci par l'histoire secrète, et qu'on ne dise que ce prince vendait également ses jugements et ses lois.

Mais ce qui fit le plus de tort à l'état politique du gouvernement fut le projet qu'il conçut de réduire tous les hommes à une même opinion sur les matières de religion, dans des circonstances qui rendaient son zèle entièrement indiscret.

Comme les anciens Romains fortifièrent leur empire en y laissant toute sorte de culte, dans la suite on le réduisit à rien, en coupant l'une après l'autre les sectes qui ne dominaient pas.

après qu'elles avaient été conquises par les Romains, Ces sectes étaient des nations entières. Les unes, avaient conservé leur ancienne religion: comme les samaritains et les juifs. Les autres s'étaient répandues dans un pays: comme les sectateurs de Monles ariens, dans d'autres provinces; outre qu'une tan dans la Phrygie; les manichéens, les sabatiens, grande partie des gens de la campagne étaient encore idolâtres et entêtés d'une religion grossière comme eux-mêmes.

par ses lois, et qui, les obligeant à se révolter, s'oJustinien, qui détruisit ces sectes par l'épée ou bligea à les exterminer, rendit incultes plusieurs provinces. Il crut avoir augmenté le nombre des fidèles : il n'avait fait que diminuer celui des hom

mes.

Procope nous apprend que par la destruction des samaritains la Palestine devint déserte, et ce qui rend ce fait singulier, c'est qu'on affaiblit l'empire, par zèle pour la religion, du côté par où, quelques règnes après, les Arabes pénétrèrent pour la détruire.

Ce qu'il y avait de désespérant, c'est que, pendant que l'empereur portait si loin l'intolérance, il ne convenait pas lui-même avec l'impératrice sur les points les plus essentiels : il suivait le concile. de Chalcédoine; et l'impératrice favorisait ceux qui y étaient opposés, soit qu'ils fussent de bonne foi, dit Évagre, soit qu'ils le fissent à dessein ».

1 Voyez les Novelles de Justinien.

2 Liv. IV, chap. x.

1

Lorsqu'on lit Procope sur les édifices de Justinien, et qu'on voit les places et les forts que ce -prince fit élever partout, il vient toujours dans l'esprit une idée, mais bien fausse, d'un État florissant. D'abord les Romains n'avaient point de places: ils mettaient toute leur confiance dans leurs armées, qu'ils plaçaient le long des fleuves, où ils élevaient des tours de distance en distance pour loger les soldats.

Mais losqu'on n'eut plus que de mauvaises armées, que souvent même on n'en eut point du tout, la frontière ne défendant plus l'intérieur, il fallut le fortifier; et alors on eut plus de places et moins de forces, plus de retraites et moins de sûreté '. La campagne n'étant plus habitable qu'autour des places fortes, on en bâtit de toutes parts. Il en était comme de la France du temps des Normands, qui n'a jamais été si faible que lorsque tous ses villages étaient entourés de murs.

Ainsi toutes ces listes de noms des forts que Justinien fit bâtir, dont Procope couvre des pages entières, ne sont que des monuments de la faiblesse de l'empire.

CHAPITRE XXI.

Désordres de l'empire d'Orient.

Dans ce temps-là, les Perses étaient dans une situation plus heureuse que les Romains: ils craignaient peu les peuples du nord 3, parce qu'une partie du mont Taurus, entre la mer Caspienne et le Pont-Euxin, les en séparait, et qu'ils gardaient un passage fort étroit, fermé par une porte 4, qui était le seul endroit par où la cavalerie pouvait passer : partout ailleurs ces barbares étaient obligés de descendre par des précipices, et de quitter leurs chevaux, qui faisaient toute leur force, mais ils étaient encore arrêtés par l'Araxe, rivière profonde, qui coule de l'ouest à l'est, et dont on défendait aisément les passages 3.

De plus, les Perses étaient tranquilles du côté

• Auguste avait établi neuf frontières ou marches: sous les empereurs suivants le nombre en augmenta. Les barbares se montraient là où ils n'avaient point encore paru. Et Dion, fiv. LV, rapporte que de son temps, sous l'empire d'Alexandre, il y en avait treize. On voit par la notice de l'empire, écrite depuis Arcadius et Honorius, que dans le seul empire d'Orient il y en avait quinze. Le nombre en augmenta toujours. La Pamphylie, la Lycaonie, la Pisidie, devinrent des marches; et tout l'empire fut couvert de fortifications. Aurélien avait été obligé de fortifier Rome.

* Et des Anglais.

3 Les Huns.

4 Les portes Caspiennes.

5 PROCOPE, Guerre des Perses, liv. I.

de l'orient; au midi, ils étaient bornés par la mer. Il leur était facile d'entretenir la division parmi les princes arabes, qui ne songeaient qu'à se piller les uns les autres. Il n'avaient donc proprement d'ennemis que les Romains. « Nous savons, disait un << ambassadeur de Hormisdas', que les Romains « sont occupés à plusieurs guerres, et ont à com<< battre contre presque toutes les nations; ils sa<< vent au contraire que nous n'avons de guerre que «< contre eux. »

« Autant que les Romains avaient négligé l'art militaire, autant les Perses l'avaient-ils cultivé. « Les Perses, disait Bélisaire à ses soldats, ne « vous surpassent point en courage, ils n'ont sur << vous que l'avantage de la discipline. »

Ils prirent dans les négociations la même supériorité que dans la guerre. Sous prétexte qu'ils tenaient une garnison aux portes Caspiennes, ils demandaient un tribut aux Romains, comme si chaque peuple n'avait pas ses frontières à garder; ils se faisaient payer pour la paix, pour les trèves, pour les suspensions d'armes, pour le temps qu'on employait à négocier, pour celui qu'on avait passé à faire la guerre.

Les Avares ayant traversé le Danube, les Romains, qui la plupart du temps n'avaient point de troupes à leur opposer, occupés contre les Perses lorsqu'il aurait fallu combattre les Avares, et contre les Avares quand il aurait fallu arrêter les Perses, furent encore forcés de se soumettre à un tribut; et la majesté de l'empire fut flétrie chez toutes les nations.

Justin, Tibère et Maurice, travaillèrent avec soin à défendre l'empire. Ce dernier avait des vertus; mais elles étaient ternies par une avarice presque inconcevable dans un grand prince.

Le roi des Avares offrit à Maurice de lui rendre

les prisonniers qu'il avait faits, moyennant une demi-pièce d'argent par tête; sur son refus, il les fit égorger. L'armée romaine, indignée, se ré

volta; et les verts s'étant soulevés en même temps, un centenier, nommé Phocas, fut élevé à l'empire, et fit tuer Maurice et ses enfants.

L'histoire de l'empire grec, c'est ainsi que nous nommerons dorénavant l'empire romain, n'est plus qu'un tissu de révoltes, de séditions et de perfidies. Les sujets n'avaient pas seulement l'idée de la fidélité que l'on doit aux princes; et la succession des empereurs fut si interrompue, que le titre de porphyrogénète, c'est-à-dire né dans l'appartement

1 Ambassades de Ménandre.

2 Ce mot, dérivé du grec, signifie né dans la pourpre. (P.)

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