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aux frais de ceux qui tiraient quelque avantage du chemin. On se déterminait pour lors par la loi civile; on s'est déterminé de nos jours par la loi politique.

CHAPITRE XVI.

Qu'il ne faut point décider par les règles du droit civil, quand il s'agit de décider par celles du droit politique.

On verra le fond de toutes les questions, si l'on ne confond point les règles qui dérivent de la propriété de la cité avec celles qui naissent de la liberté de la cité.

Le domaine d'un État est-il aliénable, ou ne l'estil pas? Cette question doit être décidée par la loi politique, et non pas par la loi civile. Elle ne doit pas être décidée par la loi civile, parce qu'il est aussi nécessaire qu'il y ait un domaine pour faire subsister l'État, qu'il est nécessaire qu'il y ait dans l'État des lois civiles qui règlent la disposition des biens.

Si donc on aliène le domaine, l'État sera forcé de faire un nouveau fonds pour un autre domaine. Mais cet expédient renverse encore le gouvernement politique, parce que, par la nature de la chose, à chaque domaine qu'on établira, le sujet payera toujours plus, et le souverain retirera toujours moins; en un mot, le domaine est nécessaire, et l'aliénation ne l'est pas.

L'ordre de succession est fondé, dans les monarchies, sur le bien de l'État, qui demande que cet ordre soit fixé, pour éviter les malheurs que j'ai dit devoir arriver dans le despotisme, où tout est incertain, parce que tout y est arbitraire.

Ce n'est pas pour la famille régnante que l'ordre de succession est établi, mais parce qu'il est de l'intérêt de l'État qu'il y ait une famille régnante. La loi qui règle la succession des particuliers est une loi civile, qui a pour objet l'intérêt des particuliers; celle qui règle la succession à la monarchie est une loi politique, qui a pour objet le bien et la conservation de l'État.

Il suit de là que, lorsque la loi politique a établi dans un État un ordre de succession, et que cet ordre vient à finir, il est absurde de réclamer la succession, en vertu de la loi civile de quelque peuple que ce soit. Une société particulière ne fait point de lois pour une autre société. Les lois civiles des Ro

Le seigneur nommait des prud'hommes pour faire la levée sur les paysans; les gentilshommes étaient contraints à la contribution par le comte; l'homme d'église, par l'évêque. (BEAUMANOIR, chap. XXII.)

mains ne sont pas plus applicables que toutes autres lois civiles: ils ne les ont point employées eux-mêmes, lorsqu'ils ont jugé les rois ; et les maximes par lesquelles ils ont jugé les rois sont si abominables qu'il ne faut point les faire revivre.

Il suit encore de là que, lorsque la loi politique a fait renoncer quelque famille à la succession, il est absurde de vouloir employer les restitutions tirées de la loi civile. Les restitutions sont dans la loi, et peuvent être bonnes contre ceux qui vivent dans la loi; mais elles ne sont pas bonnes pour ceux qui ont été établis pour la loi, et qui vivent pour la loi.

Il est ridicule de prétendre décider des droits des royaumes, des nations et de l'univers, par les mêmes maximes sur lesquelles on décide entre particuliers d'un droit pour une gouttière, pour me servir de l'expression de Cicéron'.

CHAPITRE XVII.

Continuation du même sujet.

L'ostracisme doit être examiné par les règles de la loi politique, et non par les règles de la loi civile; et, bien loin que cet usage puisse flétrir le gouvernement populaire, il est au contraire très-propre à en prouver la douceur; et nous aurions senti cela, si l'exil parmi nous étant toujours une peine, nous avions pu séparer l'idée de l'ostracisme d'avec celle de la punition.

Aristote nous dit qu'il est convenu de tout le monde que cette pratique a quelque chose d'humain et de populaire. Si, dans les temps et dans les lieux où l'on exerçait ce jugement, on ne le trouvait point odieux, est-ce à nous, qui voyons les choses de si loin', de penser autrement que les accusateurs, juges, et l'accusé même?

les

Et', si l'on fait attention que ce jugement du peuple comblait de gloire celui contre qui il était rendu; que, lorsqu'on en eut abusé à Athènes contre un homme sans mérite 3, on cessa dans ce moment de l'employer 4, on verra bien qu'on en a pris une fausse idée, et que c'était une loi admirable que celle qui prévenait les mauvais effets que pouvait produire la gloire d'un citoyen, en le comblant d'une nouvelle gloire.

'Livre I des Lois.

2 République, liv. III, chap. xIII.

3 Hyperbolus. Voyez Plutarque, Vie d'Aristide. Il se trouva opposé à l'esprit du législateur.

CHAPITRE XVIII.

Qu'il faut examiner si les lois qui paraissent se contredire sont du même ordre.

A Rome, il fut permis au mari de prêter sa femme à un autre. Plutarque nous le dit formellement'. On sait que Caton prêta sa femme à Hortensius; et Caton n'était point homme à violer les lois de son pays.

D'un autre côté, un mari qui souffrait les débauches de sa femme, qui ne la mettait pas en jugement, ou qui la reprenait après la condamnation, était puni 3. Ces lois paraissent se contredire, et ne se contredisent point. La loi qui permettait à un Romain de prêter sa femme est visiblement une institution lacédémonienne, établie pour donner à la république des enfants d'une bonne espèce, si j'ose me servir de ce terme; l'autre avait pour objet de conserver les mœurs. La première était une loi politique, la seconde une loi civile.

CHAPITRE XIX.

Qu'il ne faut pas décider par les lois civiles les choses qui doivent l'être par les lois domestiques.

La loi des Wisigoths voulait que les esclaves fussent obligés de lier l'homme et la femme qu'ils surprenaient en adultère 4, et de les présenter au mari et au juge : loi terrible, qui mettait entre les mains de ces personnes viles le soin de la vengeance publique, domestique et particulière !

Cette loi ne serait bonne que dans les sérails d'Orient, où l'esclave qui est chargé de la clôture a prévariqué sitôt qu'on prévarique. Il arrête les criminels, moins pour les faire juger que pour se faire juger lui-même, et obtenir que l'on cherche dans les circonstances de l'action si l'on peut perdre le soupçon de sa négligence.

Mais dans les pays où les femmes ne sont point gardées, il est insensé que la loi civile les soumette,

PLUTARQUE, dans sa comparaison de Lycurgue et de Numa. 2 Ibid. Vie de Caton. Cela se passa de notre temps, dit Strabon, liv. XI. Il est vrai que Strabon dit formellement que Caton donna sa femme Martia à Hortensius, selon l'ancienne coutume des Romains; mais il parait par un passage de Plutarque, que cette coutume n'était plus en vigueur du temps de Caton car Hortensius lui ayant d'abord demandé sa fille Porcia, qui était mariée à Bibulus, Caton lui répondit qu'il faisait grand cas de son alliance, mais qu'il trouvait étrange qu'il lui demandåt en mariage sa fille, qui était mariée à un autre. Voyez Plutarque, Vie de Caton d'Utique, § 7. (P.) Leg. II, § ult. ff. ad leg. Jul. de adult. Loi des Wisigoths, liv. III, tit. IV, § 6.

elles qui gouvernent la maison, à l'inquisition de leurs esclaves.

Cette inquisition pourrait être, tout au plus dans de certains cas, une loi particulière domestique, et jamais une loi civile.

CHAPITRE XX.

Qu'il ne faut pas décider par les principes des lois civiles les choses qui appartiennent au droit des gens.

La liberté consiste principalement à ne pouvoir être forcé à faire une chose que la loi n'ordonne pas; et on n'est dans cet état que parce qu'on est gouverné par des lois civiles : nous sommes donc libres, parce que nous vivons sous des lois ci

viles.

Il suit de là que les princes, qui ne vivent point entre eux sous des lois civiles, ne sont point libres; ils sont gouvernés par la force: ils peuvent continuellement forcer ou être forcés. De là il suit que les traités qu'ils ont faits par force sont aussi obligatoires que ceux qu'ils auraient faits de bon gré. Quand nous, qui vivons sous des lois civiles, sommes contraints à faire quelque contrat que la loi n'exige pas, nous pouvons, à la faveur de la loi, revenir contre la violence; mais un prince, qui est toujours dans cet état dans lequel il force ou il est forcé, ne peut pas se plaindre d'un traité qu'on lui a fait faire par violence. C'est comme s'il se plaignait de son état naturel; c'est comme s'il voulait être prince à l'égard des autres princes, et que les autres princes fussent citoyens à son égard, c'est-àdire choquer la nature des choses.

CHAPITRE XXI.

Qu'il ne faut pas décider par les lois politiques les choses qui appartiennent au droit des gens.

Les lois politiques demandent que tout homme soit soumis aux tribunaux criminels et civils du pays où il est, et à l'animadversion du souverain. Le droit des gens a voulu que les princes s'envoyassent des ambassadeurs; et la raison, tirée de la nature de la chose, n'a pas permis que ces ambassadeurs dépendissent du souverain chez qui ils sont envoyés, ni de ses tribunaux. Ils sont la parole du prince qui les envoie, et cette parole doit être libre. Aucun obstacle ne doit les empêcher d'agir. Ils peuvent souvent déplaire, parce qu'ils parlent pour un homme indépendant. On pourrait

leur imputer des crimes, s'ils pouvaient être punis pour des crimes; on pourrait leur supposer des dettes, s'ils pouvaient être arrêtés pour des dettes. Un prince qui a une fierté naturelle parlerait par la bouche d'un homme qui aurait tout à craindre. Il faut donc suivre, à l'égard des ambassadeurs, les raisons tirées du droit des gens, et non pas celles qui dérivent du droit politique. Que s'ils abusent de leur être représentatif, on le fait cesser en les renvoyant chez eux; on peut même les accuser devant leur maître, qui devient par là leur juge ou leur complice.

CHAPITRE XXII.

Malheureux sort de l'inca Athualpa.

Les principes que nous venons d'établir furent cruellement violés par les Espagnols. L'inca Athualpa ne pouvait être jugé que par le droit des gens 1 : ils le jugèrent par des lois politiques et civiles. Ils l'accusèrent d'avoir fait mourir quelques-uns de ses sujets, d'avoir eu plusieurs femmes, etc. Et le comble de la stupidité fut qu'ils ne le condamnèrent pas par les lois politiques et civiles de son pays, mais par les lois politiques et civiles du leur.

CHAPITRE XXIII.

Que lorsque, par quelque circonstance, la loi politique détruit l'État, il faut décider par la loi politique qui le conserve, qui devient quelquefois un droit des gens.

Quand la loi politique qui a établi dans l'État un certain ordre de succession devient destructrice du corps politique pour lequel elle a été faite, il ne faut pas douter qu'une autre loi politique ne puisse changer cet ordre; et, bien loin que cette même loi soit opposée à la première, elle y sera dans le fond entièrement conforme, puisqu'elles dépendront toutes deux de ce principe: LE SALUT

DU PEUPLE EST LA SUPRÊME Loi.

J'ai dit qu'un grand État devenu accessoire d'un autre s'affaiblissait, et même affaiblissait le principal. On sait que l'État a intérêt d'avoir son chef chez lui, que les revenus publics soient bien administrés, que sa monnaie ne sorte point pour enrichir un autre pays. Il est important que celui qui doit gouverner ne soit point imbu de maximes

1 Voyez l'inca Garcilasso de la Vega, pag. 108.

Voyez ci-dessus, liv. V, chap. xiv; liv. VIII, chap. XVI, XVII, XVIII, xix et xx; liv. IX, chap. IV, V, vi et vi; et liv. X, chap. ix et x.

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étrangères : elles conviennent moins que celles qui sont déjà établies; d'ailleurs les hommes tiennent prodigieusement à leurs lois et à leurs coutumes; elles font la félicité de chaque nation; il est rare grande effusion de sang, comme les histoires de qu'on les change sans de grandes secousses et une tous les pays le font voir.

Il suit de là que, si un grand État a pour héritier le possesseur d'un grand État, le premier peut fort États que l'ordre de la succession soit changé. Ainsi bien l'exclure, parce qu'il est utile à tous les deux la loi de Russie, faite au commencement du règne d'Élisabeth, exclut-elle très-prudemment tout héritier qui posséderait une autre monarchie; ainsi la loi de Portugal rejette-t-elle tout étranger qui serait appelé à la couronne par le droit du sang. Que si une nation peut exclure, elle a, à plus forte raison, le droit de faire renoncer. Si elle craint qu'un certain mariage n'ait des suites qui puissent lui faire perdre son indépendance, ou la jeter dans un partage, elle pourra fort bien faire renoncer les contractants, et ceux qui naîtront d'eux, à tous les droits qu'ils auraient sur elle; et celui qui renonce, et ceux contre qui on renonce, pourront d'autant moins se plaindre, que l'État aurait pu faire une loi pour les exclure.

CHAPITRE XXIV.

Que les règlements de police sont d'un autre ordre que les autres lois civiles.

Il y a des criminels que le magistrat punit, il y en a d'autres qu'il corrige. Les premiers sont soumis à la puissance de la loi, les autres à son autorité; ceux-là sont retranchés de la société, on oblige ceux-ci de vivre selon les règles de la société.

gistrat qui punit que la loi; dans les jugements des Dans l'exercice de la police, c'est plutôt le macrimes, c'est plutôt la loi qui punit que le magistrat. instant, et où il ne s'agit ordinairement que de peu : Les matières de police sont des choses de chaque il n'y faut donc guère de formalités. Les actions de la police sont promptes, et elle s'exerce sur des choses qui reviennent tous les jours : les grandes punitions n'y sont donc pas propres. Elle s'occupe perpétuellement de détails : les grands exemples ne sont donc point faits pour elle. Elle a plutôt des règlements que des lois. Les gens qui relèvent d'elle sont sans cesse sous les yeux du magistrat : c'est donc la faute du magistrat s'ils tombent dans des

excès. Ainsi il ne faut pas confondre les grandes violations des lois avec la violation de la simple police ces choses sont d'un ordre différent.

De là il suit qu'on ne s'est point conformé à la nature des choses dans cette république d'Italie1 où le port des armes à feu est puni comme un crime capital, et où il n'est pas plus fatal d'en faire un mauvais usage que de les porter.

Il suit encore que l'action tant louée de cet empereur, qui fit empaler un boulanger qu'il avait surpris en fraude, est une action de sultan, qui ne sait être juste qu'en outrant la justice même.

CHAPITRE XXV.

Qu'il ne faut pas suivre les dispositions générales du droit civil, lorsqu'il s'agit de choses qui doivent être soumises à des règles particulières tirées de leur propre

nature.

Est-ce une bonne loi, que toutes les obligations civiles passées dans le cours d'un voyage entre les matelots dans un navire, soient nulles? François Pirard nous dit que, de son temps, elle n'était point observée par les Portugais, mais qu'elle l'était par les Français. Des gens qui ne sont ensemble que pour peu de temps, qui n'ont aucuns besoins, puisque le prince y pourvoit, qui ne peuvent avoir qu'un objet, qui est celui de leur voyage, qui ne sont plus dans la société, mais citoyens du navire, ne doivent point contracter de ces obligations qui n'ont été introduites que pour soutenir les charges de la société civile.

C'est dans ce même esprit que la loi des Rhodiens, faite pour un temps où l'on suivait toujours les côtes, voulait que ceux qui, pendant la tempête, restaient dans le vaisseau, eussent le navire et la charge; et que ceux qui l'avaient quitté n'eussent rien.

1 Venise.

* Chapitre XIV, partie XII.

MONTESQUIEU.

LIVRE VINGT-SEPTIÈME.

DE L'ORIGINE ET DES RÉVOLUTIONS DES LOIS DES ROMAINS SUR LES SUCCESSIONS.

CHAPITRE UNIQUE.

Des lois romaines sur les successions.

Cette matière tient à des établissements d'une

antiquité très-reculée ; et, pour la pénétrer à fond, qu'il me soit permis de chercher dans les premières lois des Romains ce que je ne sache pas que l'on y ait vu jusqu'ici.

On sait que Romulus partagea les terres de son petit État à ses citoyens : il me semble que c'est de là que dérivent les lois de Rome sur les successions.

La loi de la division des terres demanda que les biens d'une famille ne passassent pas dans une autre; de là il suivit qu'il n'y eut que deux ordres d'héritiers établis par la loi : les enfants et tous les descendants qui vivaient sous la puissance du père, qu'on appela héritiers-siens; et, à leur défaut, les plus proches parents par mâles, qu'on appela agnats.

Il suivit encore que les parents par femmes, qu'on appela cognats, ne devaient point succéder; ils auraient transporté les biens dans une autre famille; et cela fut ainsi établi.

Il suivit encore de là que les enfants ne devaient point succéder à leur mère, ni la mère à ses enfants cela aurait porté les biens d'une famille dans une autre. Aussi les voit-on exclus dans la loi des Douze Tables 3; elle n'appelait à la succession que les agnats, et le fils et la mère ne l'étaient pas

entre eux.

Mais il était indifférent que l'héritier sien, ou, à son défaut, le plus proche agnat, fût mâle luimême ou femelle, parce que les parents du côté maternel ne succédant point, quoiqu'une femme héritière se mariât, les biens rentraient toujours dans la famille dont ils étaient sortis. C'est pour cela que l'on ne distinguait point dans la loi des Douze Tables si la personne qui succédait était måle ou femelle 4.

I DENYS D'HALICARNASSE, liv. II, chap. ; PLUTARQUE, dans sa comparaison de Numa et de Lycurgue.

2 Ast si intestatus moritur, cui suus hæres nec extabit, agnatus proximus familiam habeto. (Fragment de la Loi des Douze Tables, dans Ulpien, titre dernier.)

3 Voyez les Fragments d'Ulpien, § 8, tit. xxv1; Instit. tit. III, in Proœmio ad sen. cons. Tertullianum.

PAUL, liv. IV, de Sent. tit. VIII, § 3.

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Cela fit que, quoique les petits-enfants par le fils succédassent au grand-père, les petits-enfants par la fille ne lui succédèrent point; car, pour que les biens ne passassent pas dans une autre famille, les agnats leur étaient préférés. Ainsi la fille succéda à son père, et non pas ses enfants 1.

Ainsi, chez les premiers Romains, les femmes succédaient, lorsque cela s'accordait avec la loi de la division des terres ; et elles ne succédaient point, lorsque cela pouvait la choquer.

Telles furent les lois des successions chez les premiers Romains; et, comme elles étaient une dépendance naturelle de la constitution, et qu'elles dérivaient du partage des terres, on voit bien qu'elles n'eurent pas une origine étrangère, et ne furent point du nombre de celles que rapportèrent les députés que l'on envoya dans les villes grecques. Denys d'Halicarnasse nous dit que Servius Tullius trouvant les lois de Romulus et de Numa sur le partage des terres abolies, il les rétablit, et en fit de nouvelles pour donner aux anciennes un nouveau poids. Ainsi on ne peut douter que les lois dont nous venons de parler, faites en conséquence de ce partage, ne soient l'ouvrage de ces trois législateurs de Rome.

Les anciennes lois d'Athènes ne permirent point au citoyen de faire de testament. Solon le permit, excepté à ceux qui avaient des enfants; et les législateurs de Rome, pénétrés de l'idée de la puissance paternelle, permirent de tester au préjudice même des enfants. Il faut avouer que les anciennes lois d'Athènes furent plus conséquentes que les lois de Rome. La permission indéfinie de tester, accordée chez les Romains, ruina peu à peu la disposition politique sur le partage des terres, elle introduisit, plus que toute autre chose, la funeste différence entre les richesses et la pauvreté; plusieurs partages furent assemblés sur une même tête; des citoyens eurent trop, une infinité d'autres n'eurent rien. Aussi le peuple, continuellement privé de son partage, demanda-t-il sans cesse une nouvelle distribution des terres. Il la demanda dans le temps où la frugalité, la parcimonie et la pauvreté faisaient le caractère distinctif des Romains, comme dans les temps où leur luxe fut porté à l'excès.

Les testaments étant proprement une loi faite dans l'assemblée du peuple, ceux qui étaient à l'armée se trouvaient privés de la faculté de tester. Le peuple donna aux soldats le pouvoir de faire devant quelques-uns de leurs compagnons les dispositions qu'ils auraient faites devant lui3.

Les grandes assemblées du peuple ne se faisaient que deux fois l'an; d'ailleurs le peuple s'était augmenté, et les affaires aussi on jugea qu'il convenait de permettre à tous les citoyens de faire leur testa ment devant quelques citoyens romains pubères 4, qui représentassent le corps du peuple; on

L'ordre de succession ayant été établi en conséquence d'une loi politique, un citoyen ne devait pas le troubler par une volonté particulière; c'està-dire que, dans les premiers temps de Rome, il ne devait pas être permis de faire un testament. Cependant il eût été dur qu'on eût été privé dans ses derniers moments du commerce des bienfaits. On trouva un moyen de concilier à cet égard lesprit cinq citoyens 5, devant lesquels l'héritier achelois avec la volonté des particuliers. Il fut permis de disposer de ses biens dans une assemblée du peuple; et chaque testament fut en quelque façon un acte de la puissance législative.

La loi des Douze Tables permit à celui qui faisait son testament de choisir pour son héritier le citoyen qu'il voulait. La raison qui fit que les lois romaines restreignirent si fort le nombre de ceux qui pouvaient succéder ab intestat, fut la loi du partage des terres; et la raison pourquoi elles étendirent si fort la faculté de tester fut que, le père pouvant vendre ses enfants 3, il pouvait, à plus forte raison, les priver de ses biens. C'étaient donc des effets différents, puisqu'ils coulaient de principes divers, et c'est l'esprit des lois romaines à cet égard.

Instit. liv. III, tit. 1, § 15. 2 Liv. IV, pag. 276. 3 Denys d'Halicarnasse prouve, par une loi de Numa, que la loi qui permettait au père de vendre son fils trois fois était une loi de Romulus, non pas des décemvirs, liv. II.

tait du testateur sa famille, c'est-à-dire son hérédité; un autre citoyen portait une balance pour en peser le prix, car les Romains n'avaient point encore de monnaie 7.

Il y a apparence que ces cinq citoyens représentaient les cinq classes du peuple, et qu'on ne comptait pas la sixième, composée de gens qui n'avaient rien.

1 Voyez Plutarque, Vie de Solon.

2 Ce testament, appelé in procinctu, était différent de celui que l'on appela militaire, qui ne fut établi que par les constitutions des empereurs, leg. 1, ff. de militari Testamento: ce fut une de leurs cajoleries envers les soldats.

3 Ce testament n'était point écrit, et était sans formalités, sine libra et tabulis, comme dit Cicéron, ¡liv. I, de l'Orateur. Instit. liv. II, tit. x, § 1; AULU-Gelle, liv. XV, ch. xxvu. On appela cette sorte de testament per æs et libram. ULPIEN, tit. x, § 2.

6 THÉOPHILE, Instit. liv. II, tit. X.

7 Ils n'en eurent qu'au temps de la guerrre de Pyrrhus. Tite-Live, parlant du siége de Véies, dit: Nondum argen tum signatum erat. (Liv. IV.)

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