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Inviter quand il ne faut pas contraindre, conduire quand il ne faut pas commander, c'est l'habileté suprême. La raison a un empire naturel; elle a même un empire tyrannique: on lui résiste, mais cette résistance est son triomphe; encore un peu de temps, et l'on sera forcé de revenir à elle.

Je dis, en troisième lieu, qu'il y a grande ap- | der plus naturelle, plus raisonnable, plus conforme parence que le code que nous avons est une chose à la morale, à la religion, à la tranquillité publique, différente des Établissements de saint Louis sur à la sûreté de la personne et des biens on aban l'ordre judiciaire. Ce code cite les Établissements: donna l'autre. il est donc un ouvrage sur les Établissements, et non pas les Établissements. De plus, Beaumanoir, qui parle souvent des Établissements de saint Louis, ne cite que des établissements particuliers de ce prince, et non pas cette compilation des Établissements. Défontaines, qui écrivait sous ce prince', nous parle des deux premières fois que l'on exécuta ses Établissements sur l'ordre judiciaire, comme d'une chose reculée. Les Établissements de saint Louis étaient donc antérieurs à la compilation dont je parle, qui, à la rigueur, et en adoptant les prologues erronés mis par quelques ignorants à la tête de cet ouvrage, n'aurait paru que la dernière année de la vie de saint Louis, ou même après la mort de ce prince.

CHAPITRE XXXVIII.

Continuation du même sujet.

Qu'est-ce donc que cette compilation que nous avons sous le nom d'Établissements de saint Louis? Qu'est-ce que ce code obscur, confus et ambigu, où l'on mêle sans cesse la jurisprudence française avec la loi romaine; où l'on parle comme un législateur, et où l'on voit un jurisconsulte; où l'on trouve un corps entier de jurisprudence sur tous les cas, sur tous les points du droit civil? Il faut se transporter dans ces temps-là.

Saint Louis, voyant les abus de la jurisprudence de son temps, chercha à en dégoûter les peuples; il fit plusieurs règlements pour les tribunaux de ses domaines, et pour ceux de ses barons; et il eut un tel succès, que Beaumanoir, qui écrivait très-peu de temps après la mort de ce prince2, nous dit que la manière de juger, établie par saint Louis, était pratiquée dans un grand nombre de cours des seigneurs.

Ainsi ce prince remplit son objet, quoique ses règlements pour les tribunaux des seigneurs n'eussent pas été faits pour être une loi générale du royaume, mais comme un exemple que chacun pourrait suivre, et que chacun même aurait intérêt de suivre. Il ôta le mal, en faisant sentir le meilleur. Quand on vit dans ses tribunaux, quand on vit dans ceux de quelques seigneurs une manière de procé

⚫ Voyez ci-dessus le chap. XXIX.

2 Chap. LXI, page 309.

MONTESQUIEU.

Saint Louis, pour dégoûter de la jurisprudence française, fit traduire les livres du droit romain, temps-là. Défontaines, qui est le premier auteur de afin qu'ils fussent connus des hommes de loi de ces pratique que nous ayons', fit un grand usage de ces

lois romaines: son ouvrage est, en quelque façon, un résultat de l'ancienne jurisprudence française. des lois ou Établissements de saint Louis et de la loi romaine. Beaumanoir fit peu d'usage de la loi romaine; mais il concilia l'ancienne jurisprudence française avec les règlements de saint Louis.

C'est dans l'esprit de ces deux ouvrages, et surtout de celui de Défontaines, que quelque bailli, je crois, fit l'ouvrage de jurisprudence que nous. appelons les Établissements. Il est dit, dans le titre de cet ouvrage, qu'il est fait selon l'usage de Paris et d'Orléans, et de cour de baronnie; et dans le prologue, qu'il y est traité des usages de tout le royaume, et d'Anjou et de cour de baronnie. Il est visible que cet ouvrage fut fait pour Paris, Orléans et Anjou, comme les ouvrages de Beaumanoir et de Défontaines furent faits pour les comtés de Clermont et de Vermandois; et comme il paraît par Beaumanoir que plusieurs lois de saint Louis avaient pénétré dans les cours de baronnie, le compilateur a eu quelque raison de dire que son ouvrage regardait aussi les cours de baronnie'.

les coutumes du pays avec les lois et les ÉtablisseIl est clair que celui qui fit cet ouvrage compila ments de saint Louis. Cet ouvrage est très-précieux, parce qu'il contient les anciennes coutumes d'Anjou et les Établissements de saint Louis, tels qu'ils étaient alors pratiqués, et enfin ce qu'on y pratiquait de l'ancienne jurisprudence française.

1 Il dit lui-même dans son prologue : « Nus luy enprit onques «mais cette chose dont j'ay. »>

2 Il n'y a rien de si vague que le titre et le prologue. D'abord ce sont les usages de Paris et d'Orléans, et de cour de baronnie; ensuite ce sont les usages de toutes les cours laies du royaume et de la prévôté de France; ensuite ce sont les usages de tout le royaume, et d'Anjou, et de cour de baronnie.

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La différence de cet ouvrage d'avec ceux de Défontaines et de Beaumanoir, c'est qu'on y parle en termes de commandement, comme les législateurs; et cela pouvait être ainsi, parce qu'il était une compilation de coutumes écrites et des lois.

Il y avait un vice intérieur dans cette compilation: elle formait un code amphibie, où l'on avait mêlé la jurisprudence française avec la loi romaine; on rapprochait des choses qui n'avaient jamais de rapport, et qui souvent étaient contradictoires.

Je sais bien que les tribunaux français des hommes ou des pairs, les jugements sans appel à un autre tribunal, la manière de prononcer par ces mots : Je condamne ou j'absous, avaient de la conformité avec les jugements populaires des Romains. Mais on fit peu d'usage de cette ancienne jurisprudence; on se servit plutôt de celle qui fut introduite depuis par les empereurs, qu'on employa partout dans cette compilation pour régler, limiter, corriger, étendre la jurisprudence française.

CHAPITRE XXXIX.

Continuation du même sujet.

Les formes judiciaires introduites par saint Louis cessèrent d'être en usage. Ce prince avait eu moins en vue la chose même, c'est-à-dire la meilleure manière de juger, que la meilleure manière de suppléer à l'ancienne pratique de juger. Le premier objet était de dégoûter de l'ancienne jurisprudence; et le second, d'en former une nouvelle. Mais les inconvénients de celle-ci ayant paru, on en vit bientôt

succéder une autre.

Ainsi les lois de saint Louis changèrent moins la jurisprudence française qu'elles ne donnèrent des moyens pour la changer; elles ouvrirent de nouveaux tribunaux, ou plutôt des voies pour y arriver; et quand on peut parvenir aisément à celui qui avait une autorité générale, les jugements, qui auparavant ne faisaient que les usages d'une seigneurie particulière, formèrent une jurisprudence universelle. On était parvenu, par la force des Établissements, à avoir des décisions générales qui manquaient entièrement dans le royaume : quand le bâtiment fut construit, on laissa tomber l'échafaud.

Ainsi les lois que fit saint Louis eurent des effets qu'on n'aurait pas dû attendre du chef-d'œuvre de

Établissements, liv. II, chap. xv.

la législation. Il faut quelquefois bien des siècles pour préparer les changements; les événements les mûrissent, et voilà les révolutions.

Le parlement jugea en dernier ressort de presque toutes les affaires du royaume. Auparavant il ne jugeait que de celles qui étaient entre les ducs, comtes, barons, évêques, abbés1, ou entre le roi et ses vassaux2, plutôt dans le rapport qu'elles avaient avec l'ordre politique qu'avec l'ordre civil. Dans la suite on fut obligé de le rendre sédentaire, et de le tenir toujours assemblé; et enfin on en créa plusieurs pour qu'ils pussent suffire à toutes les affaires.

A peine le parlement fut-il un corps fixe, qu'on commença à compiler ses arrêts. Jean de Monluc, sous le règne de Philippe le Bel, fit le recueil qu'on appelle aujourd'hui les registres Olim3.

CHAPITRE XL.

Comment on prit les formes judiciaires des décrétales.

Mais d'où vient qu'en abandonnant les formes judiciaires établies, on prit celles du droit canonique plutôt que celles du droit romain? C'est qu'on avait toujours devant les yeux les tribunaux clercs, qui suivaient les formes du droit canonique, et que l'on ne connaissait aucun tribunal qui suivît celles du droit romain. De plus, les bornes de la juridiction ecclésiastique et de la séculière étaient dans ces temps-là très-peu connues : il y avait des gens qui plaidaient indifféremment dans les deux cours; il y avait des matières pour lesquelles on plaidait de même. Il semble que la juridiction laie ne se fût gardé, privativement à l'autre, que le jugement des matières féodales, et des crimes commis

par les laïques dans les cas qui ne choquaient pas la religion 7. Car si, pour raison des conventions et des contrats, il fallait aller à la justice laie, les parties pouvaient volontairement procéder devant les tribunaux clercs qui, n'étant pas en droit d'obliger la

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justice laie à faire exécuter la sentence, contraignaient, d'y obéir par la voie d'excommunication. Dans ces circonstances, lorsque, dans les tribunaux laïques, on voulut changer de pratique, on prit celle des clercs, parce qu'on la savait; et on ne prit pas celle du droit romain, parce qu'on ne la savait point: car, en fait de pratique, on ne sait que ce que l'on pratique.

CHAPITRE XLI.

Flux et reflux de la juridiction ecclésiastique et de la juridiction laie.

ni même les deux suivantes, sans en avoir acheté la permission: c'était bien ces trois nuits-là qu'il fallait choisir; car, pour les autres, on n'aurait pas donné beaucoup d'argent. Le parlement corrigea tout cela. On trouve, dans le Glossaire du droit français de Ragueau, l'arrêt qu'il rendit contre l'évêque d'Amiens'.

Je reviens au commencement de mon chapitre. Lorsque, dans un siècle ou dans un gouvernement, on voit les divers corps de l'État chercher à augmenter leur autorité, et à prendre les uns sur les autres de certains avantages, on se tromperait souvent si l'on regardait leurs entreprises comme une marque certaine de leur corruption. Par un malheur attaché à la condition humaine, les grands

plus facile de trouver des gens extrêmement vertueux que des hommes extrêmement sages.

L'âme goûte tant de délices à dominer les autres âmes; ceux mêmes qui aiment le bien s'aiment si fort eux-mêmes, qu'il n'y a personne qui ne soit assez malheureux pour avoir encore à se défier de ses bonnes intentions et, en vérité, nos actions tiennent à tant de choses, qu'il est mille fois plus aisé de faire le bien que de le bien

faire.

CHAPITRE XLII.

La puissance civile étant entre les mains d'une infinité de seigneurs, il avait été aisé à la juridic-hommes modérés sont rares; et, comme il est toution ecclésiastique de se donner tous les jours plus jours plus aisé de suivre sa force que de l'arrêter, d'étendue : mais, comme la juridiction ecclésias-peut-être, dans la classe des gens supérieurs, est-il tique énerva la juridiction des seigneurs, et contribua par là à donner des forces à la juridiction royale, la juridiction royale restreignit peu à peu la juridiction ecclésiastique, et celle-ci recula devant la première. Le parlement, qui avait pris, dans sa forme de procéder, tout ce qu'il y avait de bon et d'utile dans celle des tribunaux des clercs, ne vit bientôt plus que ses abus; et la juridiction royale se fortifiant tous les jours, elle fut toujours plus en état de corriger ces mêmes abus. En effet, ils étaient intolérables; et, sans en faire l'énumération, je renverrai à Beaumanoir, à Boutillier, aux ordonnances de nos rois. Je ne parlerai que de ceux qui intéressaient plus directement la fortune publique. Nous connaissons ces abus par les arrêts qui les réformèrent. L'épaisse ignorance les avait introduits; une espèce de clarté parut, et ils ne furent plus. On peut juger, par le silence du clergé, qu'il alla lui-même au-devant de la correction: ce qui, vu la nature de l'esprit humain, mérite des louanges. Tout homme qui mourait sans donner une partie de ses biens à l'église, ce qui s'appelait mourir déconfés, était privé de la communion et de la sépulture. Si l'on mourait sans faire de testament, il fallait que les parents obtinssent de l'évêque qu'il nommât, concurremment avec eux, des arbitres pour fixer ce que le défunt aurait dû donner en cas qu'il eût fait un testament. On ne pouvait pas coucher ensemble la première nuit des noces,

1 BEAUMANOIR, chap. XI, page 60.

a Voyez Boutillier, Somme rurale, titre 1x, quelles personnes ne peuvent faire demande en cour laie; et Beaumanoir, chap. XI, pag. 56; et les règlements de Philippe-Auguste à ce sujet; et l'établissement de Philippe-Auguste fait entre les clercs, le roi et les barons.

Renaissance du droit romain, et ce qui en résulta.
Changement dans les tribunaux.

Le digeste de Justinien ayant été retrouvé vers

l'an 1137, le droit romain sembla prendre une se

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conde naissance. On établit des écoles en Italie,
on l'enseignait on avait déjà le code Justinien et
les Novelles. J'ai déjà dit que ce droit y prit une
telle faveur qu'il fit éclipser la loi des Lombards.

Des docteurs italiens portèrent le droit de Justinien en France, où l'on n'avait connu que le code Théodosien3, parce que ce ne fut qu'après l'établissement des barbares dans les Gaules que les lois de Justinien furent faites 4. Ce droit reçut quelques oppositions; mais il se maintint, malgré les excom

Au mot Éxécuteurs testamentaires.

2 Du 19 mars 1409.

3 On suivait en Italie le code de Justinien. C'est pour cela que le pape Jean VIII, dans sa constitution donnée après le synode de Troyes, parle de ce code, non pas parce qu'il était connu en France, mais parce qu'il le connaissait lui-même; et sa constitution était générale.

Le code de cet empereur fut publié vers l'an 530.

munications des papes, qui protégeaient leurs | par baillis s'étendit. Les baillis ne jugeaient pas ; ils

canons. Saint Louis chercha à l'accréditer, par les traductions qu'il fit faire des ouvrages de Justinien, que nous avons encore manuscrites dans nos bibliothèques; et j'ai déjà dit qu'on en fit un grand usage dans les Établissements. Philippe le Bel fit enseigner les lois de Justinien, seulement comme raison écrite, dans les pays de France qui se gouvernaient par les coutumes ; et elles furent adoptées comme loi dans les pays où le droit romain était la loi.

faisaient l'instruction, et prononçaient le jugement des prud'hommes; mais les prud'hommes n'étant plus en état de juger, les baillis se jugèrent euxmêmes.

Cela se fit d'autant plus aisément qu'on avait devant les yeux la pratique des juges d'église : le droit canonique et le nouveau droit civil concoururent également à abolir les pairs.

Ainsi se perdit l'usage constamment observé dans la monarchie, qu'un juge ne jugeait jamais seul, comme on le voit par les lois saliques, les capitulaires, et par les premiers écrivains de pratique de la troisième race 2. L'abus contraire, qui n'a lieu que dans les justices locales, a été modéré, et en quelque façon corrigé, par l'introduction en plusieurs lieux d'un lieutenant du juge, que celui-ci consulte, et qui représente les anciens prud'hommes, par l'obligation où est le juge de prendre deux gradués dans les cas qui peuvent mériter une peine afflictive; et enfin il est devenu nul par l'extrême facilité des appels.

CHAPITRE XLIII.

Continuation du même sujet.

J'ai dit ci-dessus que la manière de procéder par le combat judiciaire demandait, dans ceux qui jugeaient, très-peu de suffisance; on décidait les affaires dans chaque lieu, selon l'usage de chaque lieu, et suivant quelques coutumes simples, qui se recevaient par tradition. Il y avait, du temps de Beaumanoir, deux différentes manières de rendre la justice3: dans des lieux, on jugeait par pairs; dans d'autres, on jugeait par baillis 4. Quand on suivait la première forme, les pairs jugeaient selon l'usage de leur juridiction; dans la seconde, c'étaient des prud'hommes ou vieillards qui indiquaient au bailli le même usage 5. Tout ceci ne demandait aucunes lettres, aucune capacité, aucune étude. Mais, lorsque le code obscur des Établissements et d'autres ouvrages de jurisprudence parurent; lorsque le droit romain fut traduit, lorsqu'il commença à être enseigné dans les écoles; lorsqu'un certain art de la procédure et qu'un certain art de la jurisprudence commencèrent à se former; lorsqu'on vit naître des praticiens et des jurisconsultes, les pairs et les prud'hommes ne furent plus en état de juger; les pairs commencèrent à se retirer des tribunaux du seigneur, les seigneurs furent peu portés à les assembler: d'autant mieux que les jugements, au lieu d'être une action éclatante, agréa-point capables. ble à la noblesse, intéressante pour les gens de guerre, n'étaient plus qu'une pratique qu'ils ne savaient ni ne voulaient savoir. La pratique de juger par pairs devint moins en usage6; celle de juger

Décrétales, liv. V, tit. de Privilegiis, cap. super specula. Par une chartre de l'an 1312, en faveur de l'université d'Orléans, rapportée par du Tillet.

3 Coutume de Beauvoisis, chap. I, de l'office des baillis. 'Dans la commune, les bourgeois étaient jugés par d'autres bourgeois, comme les hommes de fief se jugeaient entre eux. Voyez la Thaumassière, chap. XIX.

5 Aussi toutes les requêtes commençaient-elles par ces mots : Sire juge, il est d'usage qu'en vostre jurisdiction, etc. comme il paraît par la formule rapportée dans Boutillier, Somme rurale, liv. I, tit. XXI.

6 Le changement fut insensible. On trouve encore les pairs employés du temps de Boutillier, qui vivait en 1402, date de

seigneurs de tenir eux-mêmes leur cour; ce ne fut Ainsi ce ne fut point une loi qui défendit aux point une loi qui abolit les fonctions que leurs pairs y avaient; il n'y eut point de loi qui ordonnât de créer des baillis; ce ne fut point par une loi qu'ils eurent le droit de juger. Tout cela se fit peu à peu, et par la force de la chose. La connaissance du droit romain, des arrêts des cours, des corps de coutudont les nobles et le peuple sans lettres n'étaient mes nouvellement écrites, demandait une étude,

La seule ordonnance que nous ayons sur cette

son testament, qui rapporte cette formule au livre I, titre XXI: « Sire juge, en ma justice haute, moyenne et basse, « que j'ai en tel lieu, cour, plaids, baillis, hommes féodaux et sergents.... » Mais il n'y avait plus que les matières féodales qui se jugeassent par pairs. (Ibid. liv. I, tit. I, page 16.)

Comme il parait par la formule des lettres que le seigneur leur donnait, rapportée, par Boutillier Somme rurale, liv. I, tit. xiv. Ce qui se prouve encore par Beaumanoir, Coutume de Beauvoisis, chap. I, des baillis. Ils ne faisaient que la procédure. « Le bailly est tenu en le présence des hommes à << penre les parolles des chaux qui plaident, et doit demender << as parties se il vuelent oir droit selonc les raisons que il << ont dites; et se il dient, Sire, oil, le bailli doit contraindre «<les hommes que ils facent le jugement. » Voyez aussi les Établissements de saint Louis, livre I, chap. CV; et livre II, chap. xv. Li juge, si ne doit pas faire le jugement.

2 BEAUMANOIR, chap. LXVII, page 336; et chap. LXI, pages 315 et 316; les Établissements, liv. II, chap. xv.

matière est celle qui obligea les seigneurs de choisir leurs baillis dans l'ordre des laïques. C'est mal à propos qu'on l'a regardée comme la loi de leur création; mais elle ne dit que ce qu'elle dit. De plus, elle fixe ce qu'elle prescrit par les raisons qu'elle en donne. « C'est afin, est-il dit, que les baillis puissent <«< être punis de leurs prévarications, qu'il faut qu'ils soient pris dans l'ordre des laïques 2. On sait les priviléges des ecclésiastiques dans ces temps-là.

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Il ne faut pas croire que les droits dont les seigneurs jouissaient autrefois, et dont ils ne jouissent plus aujourd'hui, leur aient été ôtés comme des usurpations: plusieurs de ces droits ont été perdus par négligence; et d'autres ont été abandonnés, parce que, divers changements s'étant introduits dans le cours de plusieurs siècles, ils ne pouvaient subsister avec ces changements.

CHAPITRE XLIV.

De la preuve par témoins.

Les juges, qui n'avaient d'autres règles que les usages, s'en enquéraient ordinairement par témoins dans chaque question qui se présentait.

Le combat judiciaire devenant moins en usage, on fit les enquêtes par écrit. Mais une preuve vocale mise par écrit n'est jamais qu'une preuve vocale; cela ne faisait qu'augmenter les frais de la procédure. On fit des règlements qui rendirent la plupart de ces enquêtes inutiles 3; on établit des registres publics, dans lesquels la plupart des faits se trouvaient prouvés, la noblesse, l'âge, la légitimité, le mariage. L'écriture est un témoin qui est difficilement corrompu. On fit rédiger par écrit les coutumes. Tout cela était bien raisonnable : il est plus aisé d'aller chercher dans les registres de baptême si Pierre est fils de Paul, que d'aller prouver ce fait par une longue enquête. Quand dans un pays il y a un très-grand nombre d'usages, il est plus aisé de les écrire tous dans un code que d'obliger les particuliers à prouver chaque usage. Enfin on fit la fameuse ordonnance qui défendit de recevoir la preuve par témoins pour une dette au-dessus de cent livres, à moins qu'il n'y eût un commencement de preuve par écrit.

1 Elle est de l'an 1287.

» Ut, si ibi delinquant, superiores sui possint animadvertere in eosdem.

3 Voyez comment on prouvait l'âge et la parenté. Établissements, liv. I, chap. LXXI et LXXII.

CHAPITRE XLV. .

Des coutumes de France.

La France était régie, comme j'ai dit, par des coutumes non écrites; et les usages particuliers de chaque seigneurie formaient le droit civil. Chaque seigneurie avait son droit civil, comme le dit Beaumanoir1, et un droit si particulier, que cet auteur, qu'on doit regarder comme la lumière de ce temps-là, et une grande lumière, dit qu'il ne croit pas que dans tout le royaume il y eût deux seigneuries qui fussent gouvernées de tous points par la même loi.

Cette prodigieuse diversité avait une première origine, et elle en avait une seconde. Pour la première, on peut se souvenir de ce que j'ai dit ci-dessus, au chapitre des coutumes locales; et, quant à la seconde, on la trouve dans les divers événements des combats judiciaires : des cas continuellement fortuits devant introduire naturellement de nouveaux usages.

Ces coutumes-là étaient conservées dans la mémoire des vieillards; mais il se forma peu à peu des lois ou des coutumes écrites.

1o Dans le commencement de la troisième race 3, les rois donnèrent des chartres particulières, et en donnèrent même de générales, de la manière dont je l'ai expliqué ci-dessus : tels sont les Établissements de Philippe-Auguste, et ceux que fit saint. Louis. De même, les grands vassaux, de concert avec les seigneurs qui tenaient d'eux, donnèrent, dans les assises de leurs duchés ou comtés, de certaines chartres ou établissements, selon les circonstances telles furent l'assise de Geoffroi, comte. de Bretagne, sur le partage des nobles; les coutumes de Normandie, accordées par le duc Raoul; les coutumes de Champagne, données par le roi Thibaut; les lois de Simon, comte de Montfort, et autres. Cela produisit quelques lois écrites, et même plus générales que celles que l'on avait.

2o Dans le commencement de la troisième race, presque tout le bas peuple était serf 4. Plusieurs

Prologue sur la Coutume de Beauvoisis. 2 Chap. XII.

3 Voyez le recueil des ordonnances de Laurière.

4 Le nombre des serfs de la glèbe et des esclaves domestiques. était prodigieux en Europe. Au commencement de la troisième race en France, la servitude était encore la condition de presque toute la classe du peuple; en Angleterre, c'était le mème malheur. On sait à quel point cette servitude générale était incompatible avec l'esprit du commerce, qui ne vit et ne s'accroit qu'avec la liberté; joignez à cela l'incertitude de toutes les propriétés, les ravages causés par les guerres privées, plus nombreux et plus funestes mille fois que ceux des guerres générales qui n'occupent qu'un lieu, tandis que les guerres privées les envahissaient tous à la fois, et vous vous formerez

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