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raisons obligèrent les rois et les seigneurs de les affranchir '.

Les seigneurs, en affranchissant leurs serfs, leur donnèrent des biens; il fallut leur donner des lois civiles pour régler la disposition de ces biens. Les seigneurs, en affranchissant leurs serfs, se privèrent de leurs biens; il fallut donc régler les droits | que les seigneurs se réservaient pour l'équivalent de leur bien 2. L'une et l'autre de ces choses furent réglées par les chartres d'affranchissement; ces chartres formèrent une partie de nos coutumes, et cette partie se trouva rédigée par écrit.

3o Sous le règne de saint Louis et les suivants, des praticiens habiles, tels que Défontaines, Beaumanoir, et autres, rédigèrent par écrit les coutumes de leurs bailliages. Leur objet était plutôt de donner une pratique judiciaire, que les usages de leur temps sur la disposition des biens. Mais tout s'y trouve; et, quoique ces auteurs particuliers n'eussent d'autorité que par la vérité et la publicité des

choses qu'ils disaient, on ne peut douter qu'elles n'aient beaucoup servi à la renaissance de notre droit français. Tel était, dans ces temps-là, notre droit coutumier écrit.

Voici la grande époque : Charles VII et ses successeurs firent rédiger par écrit, dans tout le royaume, les diverses coutumes locales, et prescrivirent des formalités qui devaient être observées à leur rédaction. Or, comme cette rédaction se fit par provinces, et que, de chaque seigneurie, on venait déposer dans l'assemblée générale de la province les usages écrits ou non écrits de chaque lieu, on chercha à rendre les coutumes plus générales, autant que cela se put faire sans blesser les intérêts des particuliers, qui furent réservés 1. Ainsi nos coutumes prirent trois caractères : elles furent écrites, elles furent plus générales, elles reçurent le sceau de l'autorité royale.

Plusieurs de ces coutumes ayant été de nouveau rédigées, on y fit plusieurs changements, soit en ôtant tout ce qui ne pouvait compatir avec la juris

à peine une idée de la face cadavereuse qu'offrait l'Europe prudence actuelle, soit en ajoutant plusieurs choses

entière. Rien n'égalait le malheur de l'espèce humaine dans ces temps désastreux, si ce n'est son ignorance et sa stupidité, qui peut-être adoucissait en elle le sentiment même du malheur, toujours trop proportionné à l'étendue des lumières et au nombre des besoins. (SERV.)

Le délire des croisades fut la principale et la première cause de l'affaiblissement du système féodal; et l'on peut dire, à la honte de la prudence humaine, que jamais la plus profonde sagesse ne fit autant de bien que ces tentatives de la plus insigne démence. Cette entreprise, qui s'était changée en passion générale, donna aux princes, aux seigneurs qui se croisaient, de très-grands besoins d'argent, et leur inspira la première idée de vendre aux villes, aux communes, leur affranchissement : jamais opération de commerce ne fut plus juste et plus utile. (SERV.)

2 En 1311, Charles de Valois, qui confirma les lettres de Philippe-Auguste, fit plus : il adoucit les lois de tout son comté. Sa chartre renferme un sentiment profond de la dignité de l'homme; elle est remarquable pour le temps où elle parut, et

pourrait honorer tous les siècles. Je vais en rapporter au moins le préambule: «< Challes, etc. comme creature humaine, qui est formée à l'image de Nostre Seigneur, doie generalement estre franche par droict naturel, et en aulcuns pays de cette naturelle liberté ou franchise, par le jou de servitude qui tant est haineuse, soit si effacice et obscurcie, que les homes et les fames qui habitent ez-lieux et pays dessusdits, en leur vivant sont reputez ains comme morts, et à la fin de leur douloureuse❘ et chetive vie, si estroitement liez et demenez, que des biens que Diex leur a presté en cest siecle, et que ils ont acquis par leur propre labours, et accrus et gardez par leur pourveance, ils ne peuvent en leur derniere volonté disposer, ne ordener, ne accroistre en leurs propres filz, filles, et leurs autres prochains; nous meus de pitié, pour le remede et salut de nostre ame, et pour consideration de l'humanité et de commun proufit, donnons... très pleniere franchise et liberté perpetuelle à toutes personnes... de nostre comté de Valois... demourront franchement et en paix, sans mainmorte ou formariage, ou autre espece de servitude quelle qu'elle soit... en lad. comté et ressort, et ou royaume de France et ses appartenances, et hors du royaume, etc. » Tout le reste est empreint du même caractère, et la concession est purement gratuite. (CHABRIT.)

tirées de cette jurisprudence.

Quoique le droit coutumier soit regardé parmi nous comme contenant une espèce d'opposition avec le droit romain, de sorte que ces deux droits divisent les territoires, il est pourtant vrai que plusieurs dispositions du droit romain sont entrées dans nos coutumes, surtout lorsqu'on en fit de nouvelles rédactions dans des temps qui ne sont pas fort éloignés des nôtres, où ce droit était l'objet des connaissances de tous ceux qui se destinaient aux emplois civils; dans des temps où l'on ne faisait pas gloire d'ignorer ce que l'on doit savoir, et de savoir ce que l'on doit ignorer; où la facilité de l'esprit servait plus à apprendre sa profession qu'à la faire; et où les amusements continuels n'étaient pas même l'attribut des femmes.

Il aurait fallu que je m'étendisse davantage à la fin de ce livre; et qu'entrant dans de plus grands détails j'eusse suivi tous les changements insensibles qui, depuis l'ouverture des appels, ont formé le grand corps de notre jurisprudence française. Mais j'aurais mis un grand ouvrage dans un grand ouvrage. Je suis comme cet antiquaire qui partit de son pays, arriva en Égypte, jeta un coup d'œil sur les pyramides, et s'en retourna ».

1 Cela se fit ainsi lors de la rédaction des coutumes de Berry et de Paris. Voyez la Thaumassière, chap. m. 2 Dans le Spectateur Anglais.

LIVRE VINGT-NEUVIÈME.

DE LA MANIÈRE

DE COMPOSER LES LOIS.

CHAPITRE I.

De l'esprit du législateur.

Je le dis, et il me semble que je n'ai fait cet ouvrage que pour le prouver : l'esprit de modération doit être celui du législateur1; le bien politique, comme le bien moral, se trouve toujours entre deux limites. En voici l'exemple:

Les formalités de la justice sont nécessaires à la liberté 3. Mais le nombre en pourrait être si grand qu'il choquerait le but des lois mêmes qui les auraient établies les affaires n'auraient point de fin; la propriété des biens resterait incertaine; on donnerait à l'une des parties le bien de l'autre sans examen, ou on les ruinerait toutes les deux à force d'examiner.

Les citoyens perdraient leur liberté et leur sûreté; les accusateurs n'auraient plus les moyens de convaincre, ni les accusés le moyen de se justifier.

CHAPITRE II.

Continuation du même sujet.

des Douze Tables, qui permettait au créancier de couper en morceaux le débiteur insolvable, la justifie par son atrocité même, qui empêchait qu'on n'empruntât au delà de ses facultés. Les lois les plus cruelles seront donc les meilleures? Le bien sera l'excès, et tous les rapports des choses seront détruits?

CHAPITRE III.

Que les lois qui paraissent s'éloigner des vues du législateur y sont souvent conformes.

La loi de Solon, qui déclarait infâmes tous ceux qui, dans une sédition, ne prendraient aucun parti, a paru bien extraordinaire; mais il faut faire attention aux circonstances dans lesquelles la Grèce se trouvait pour lors. Elle était partagée en de trèspetits États: il était à craindre que, dans une république travaillée par des dissensions civiles, gens les plus prudents ne se missent à couvert; et que par là les choses ne fussent portées à l'extrémité.

les

Dans les séditions qui arrivaient dans ces petits États, le gros de la cité entrait dans la querelle, ou la faisait. Dans nos grandes monarchies, les partis sont formés par peu de gens, et le peuple voudrait vivre dans l'inaction. Dans ce cas, il est naturel de rappeler les séditieux au gros des citoyens, non pas le gros des citoyens aux séditieux; dans

Cécilius, dans Aulu-Gelle 4, discourant sur la loi l'autre, il faut faire rentrer le petit nombre de gens

En effet, la loi n'est que le supplément de la modération qui manque aux hommes. La loi a tellement besoin d'être impartiale, que le législateur lui-même doit l'être, pour ne pas laisser dans son ouvrage l'empreinte de ses passions. (M. VILLEMAIN, Éloge de Montesquieu.)

2 Plus un gouvernement s'éloignera des partis et se rapprochera du moyen terme, plus il aura de stabilité. Plusieurs législateurs ont méconnu ce principe dans leurs constitutions de gouvernements aristocratiques. Ils ont trop donné aux riches, et trop ôté aux pauvres. Un faux bien finit par devenir un vrai mal. La prépondérance des riches a renversé plus de gouvernements que celle de la multitude. (ARIST. Polit. liv. I.)

3 Bien loin que les longueurs, les dépenses, les dangers de notre justice soient le prix de notre liberté, je soutiens qu'elles sont un salaire énorme payé pour la diminuer sans cesse, et que presque toutes les lenteurs de notre justice viennent de quelque vice de nos institutions. Demandez à un plaideur d'où vient la durée de son procès : il accusera l'ignorance d'un notaire qui a fait quelque acte nul ou équivoque, l'infidélité d'un huissier qui a celé quelque acte de justice, l'avidité d'un procureur qui ne s'enrichit qu'à lui vendre les parcelles du temps, la dissipation d'un juge qui ne veut pas s'ennuyer à les lui donner, le vice de nos lois qui le renvoient, comme un ballon léger, d'un tribunal à l'autre; et si vous lui dites alors, avec l'auteur de l'Esprit des Lois : « Voilà, au juste, le prix que vous devez pour votre liberté, et les lois ne pouvaient vous la donner à moins, » ce plaideur rira ou s'indignera. (SERV.) Liv. XX, chap. 1

sages et tranquilles parmi les séditieux : c'est ainsi que la fermentation d'une liqueur peut être arrêtée par une seule goutte d'une autre.

CHAPITRE IV.

Des lois qui choquent les vues du législateur.

Il y a des lois que le législateur a si peu connues, qu'elles sont contraires au but même qu'il s'est proposé. Ceux qui ont établi chez les Français que, lorsqu'un des deux prétendants à un bénéfice meurt, le bénéfice reste à celui qui survit, ont cherché sans doute à éteindre les affaires. Mais il en résulte un effet contraire: on voit les ecclésiastiques s'attaquer et se battre, comme des dogues anglais, jusqu'à la mort.

Cecilius dit qu'il n'a jamais vu ni lu que cette peine eut été infligée; mais il y a apparence qu'elle n'a jamais été établie. L'opinion de quelques jurisconsultes que la loi des Douze Tables ne parlait que de la division du prix du débiteur vendu ̧. est très-vraisemblable.

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CHAPITRE V.

Continuation du même sujet.

La loi dont je vais parler se trouve dans ce serment qui nous a été conservé par Eschine : « Je jure que je ne détruirai jamais une ville des Amphictyons, et que je ne détournerai point ses << eaux courantes : si quelque peuple ose faire quel« que chose de pareil, je lui déclarerai la guerre, « et je détruirai ses villes. » Le dernier article de cette loi, qui paraît confirmer le premier, lui est réellement contraire. Amphictyon veut qu'on ne détruise jamais les villes grecques, et sa loi ouvre la porte à la destruction de ces villes. Pour établir un bon droit des gens parmi les Grecs, il fallait les accoutumer à penser que c'était une chose atroce de détruire une ville grecque ; il ne devait pas même détruire les destructeurs. La loi d'Amphictyon était | juste, mais elle n'était pas prudente. Cela se prouve par l'abus même que l'on en fit. Philippe ne se fitil pas donner le pouvoir de détruire les villes, sous prétexte qu'elles avaient violé les lois des Grecs? Amphictyon aurait pu infliger d'autres peines : ordonner, par exemple, qu'un certain nombre de magistrats de la ville destructrice, ou de chefs de l'armée violatrice, seraient punis de mort; que le peuple destructeur cesserait, pour un temps, de jouir des priviléges des Grecs; qu'il payerait une amende jusqu'au rétablissement de la ville. La loi devait surtout porter sur la réparation du dommage.

CHAPITRE VI.

Que les lois qui paraissent les mêmes n'ont pas toujours le même effet.

pour que l'argent fût mis dans une seule main. Le premier donna pour de l'argent des fonds de terre, ou des hypothèques sur des particuliers; le second proposa pour de l'argent des effets qui n'avaient point de valeur, et qui n'en pouvaient avoir par leur nature, par la raison que sa loi obligeait de les prendre.

CHAPITRE VII.

Continuation du même sujet. Nécessité de bien composer les lois.

2

La loi de l'ostracisme fut établie à Athènes, à Argos et à Syracuse 1. A Syracuse elle fit mille maux, parce qu'elle fut faite sans prudence. Les principaux citoyens se bannissaient les uns les autres en se mettant une feuille de figuier à la main 3; de sorte que ceux qui avaient quelque mérite quittèrent les affaires. A Athènes, où le législateur avait senti l'extension et les bornes qu'il devait donner à sa loi, l'ostracisme fut une chose admirable: on n'y soumettait jamais qu'une seule personne; il fallait un si grand nombre de suffrages, qu'il était difficile qu'on exilât quelqu'un dont l'absence ne fut pas nécessaire.

On ne pouvait bannir que tous les cinq ans : en effet, dès que l'ostracisme ne devait s'exercer que contre un grand personnage qui donnerait de la crainte à ses concitoyens, ce ne devait pas être une affaire de tous les jours.

CHAPITRE VIII.

Que les lois qui paraissent les mêmes n'ont pas toujours eu le même motif.

On reçoit en France la plupart des lois des Romains sur les substitutions; mais les substitutions y ont tout un autre motif que chez les Romains. Chez ceux-ci, l'hérédité était jointe à de certains sacrifices qui devaient être faits par l'héritier, et qui étaient réglés par le droit des pontifes 4. Cela fit qu'ils tinrent à déshonneur de mourir sans hé

César défendit de garder chez soi plus de soixante sesterces. Cette loi fut regardée à Rome comme très-propre à concilier les débiteurs avec les créanciers, parce qu'en obligeant les riches à prêter aux pauvres, elle mettait ceux-ci en état de satisfaire les riches. Une même loi faite en France, duritier; qu'ils prirent pour héritiers leurs esclaves, temps du système', fut très-funeste; c'est que la circonstance dans laquelle on la fit était affreuse. Après avoir ôté tous les moyens de placer son argent, on ôta même la ressource de le garder chez soi ce qui était égal à un enlèvement fait par vio-livier, érzλov éλaíz. Voyez dans Diodore, liv. XI, la cause

lence. César fit sa loi pour que l'argent circulât parmi le peuple; le ministre de France fit la sienne

1 De falsa legatione.

DION, liv. XLI.

et qu'ils inventèrent les substitutions. La substitution vulgaire, qui fut la première inventée, et

ARISTOTE, République, liv. V, chap. II

2 Plutarque et Diodore de Sicile disent « une feuille d'o

de l'établissement de cette loi, qu'on appelait à Syracuse le Pétalisme, la manière dont elle s'exécutait, et les raisons qui la firent abolir.

3 PLUTARQUE, Vie de Denys.

Lorsque l'hérédité était trop chargée, on éludait le droit des pontifes par de certaines ventes; d'où vint le mot sinc sacris hæreditas.

qui n'avait lieu que dans le cas où l'héritier institué | n'accepterait pas l'hérédité, en est une grande preuve: elle n'avait point pour objet de perpétuer l'héritage dans une famille du même nom, mais de trouver quelqu'un qui acceptât l'héritage.

CHAPITRE IX.

Que les lois grecques et romaines ont puni l'homicide de soi-même, sans avoir le même motif.

Un homme, dit Platon, qui a tué celui qui lui est étroitement lié, c'est-à-dire lui-même, non par ordre du magistrat, ni pour éviter l'ignominie, mais par faiblesse, sera puni. La loi romaine punissait cette action lorsqu'elle n'avait pas été faite par faiblesse d'âme, par ennui de la vie, par impuissance de souffrir la douleur, mais par le désespoir de quelque crime. La loi romaine absolvait dans le cas où la grecque condamnait, et condamnait dans le cas où l'autre absolvait.

La loi de Platon était formée sur les institutions lacédémoniennes, où les ordres du magistrat étaient totalement absolus, où l'ignominie était le plus grand des malheurs, et la faiblesse le plus grand

des crimes. La loi romaine abandonnait toutes ces belles idées : elle n'était qu'une loi fiscale.

Du temps de la république, il n'y avait point de loi à Rome qui punît ceux qui se tuaient eux-mêmes: cette action, chez les historiens, est toujours prise en bonne part, et l'on n'y voit jamais de punition contre ceux qui l'ont faite ❜.

Du temps des premiers empereurs, les grandes familles de Rome furent sans cesse exterminées par des jugements. La coutume s'introduisit de prévenir la condamnation par une mort volontaire. On y trouvait un grand avantage : on obtenait l'honneur de la sépulture, et les testaments étaient exécutés 3; cela venait de ce qu'il n'y avait point de loi civile à Rome contre ceux qui se tuaient eux-mêmes. Mais, lorsque les empereurs devinrent aussi avares qu'ils avaient été cruels, ils ne laissèrent plus à ceux dont ils voulaient se défaire le moyen de conserver leurs

Livre IX, des Lois.

* Le mépris de la vie est un principe que la société civile ne doit point encourager, et qu'elle doit au contraire repousser de toute la force des lois : non-seulement le scélérat peut s'en emparer contre l'homme vertueux, mais il est bien plus propre à donner à celui-là cette audace qui commet les grands crimes, qu'à donner à celui-ci ce courage qui fait les actions sublimes. En un mot, pour procurer les plus grands biens aux hommes, il faut souvent chérir sa propre vie, tandis que pour leur causer des maux affreux il ne faut que la mépriser. (SERVAN.)

3 Eorum qui de se statuebant, humabantur corpora, manebant testamenta, pretium festinandi. Tacite.

biens, et ils déclarèrent que ce serait un crime de s'ôter la vie par les remords d'un autre crime.

Ce que je dis du motif des empereurs est si vrai, qu'ils consentirent que les biens de ceux qui se seraient tués eux-mêmes ne fussent pas confisqués, lorsque le crime pour lequel ils s'étaient tués n'assujettissait point à la confiscation.

CHAPITRE X.

Que les lois qui paraissent contraires dérivent
quelquefois du même esprit.

On va aujourd'hui dans la maison d'un homme pour l'appeler en jugement; cela ne pouvait se faire chez les Romains

L'appel en jugement était une action violente 3, et comme une espèce de contrainte par corps 4; et on ne pouvait pas plus aller dans la maison d'un homme pour l'appeler en jugement, qu'on ne peut aujourd'hui aller contraindre par corps, dans sa maison, un homme qui n'est condamné que pour des dettes civiles.

Les lois romaines 5 et les nôtres admettent également ce principe, que chaque citoyen a sa maison pour asile, et qu'il n'y doit recevoir aucune violence.

CHAPITRE XI.

De quelle manière deux lois diverses peuvent être comparées.

En France, la peine contre les faux témoins est capitale; en Angleterre, elle ne l'est point. Pour juger laquelle de ces deux lois est la meilleure, il faut ajouter : En France, la question contre les criminels est pratiquée; En Angleterre, elle ne l'est point; et dire encore: En France, l'accusé ne produit point ses témoins, et il est très-rare qu'on y admette ce que l'on appelle les faits justificatifs; en Angleterre, l'on reçoit les témoignages de part et d'autre. Les trois lois françaises forment un système très-lié et très-suivi; les trois lois anglaises en forment un qui ne l'est pas moins. La loi d'Angleterre, qui ne connaît point la question contre les criminels, n'a que peu d'espérance de tirer de l'accusé la con

Rescrit de l'empereur Pie, dans la loi 3, § I et 2, ff. de bonis eorum qui ante sententiam mortem sibi consciverunt. Leg. 18, ff. de in jus vocando.

3 Voyez la loi des Douze Tables.

4 Rapit in jus. Horace, liv. I, sat. Ix. C'est pour cela qu'on ne pouvait appeler en jugement ceux à qui on devait un certain respect.

5 Voyez la loi 18, ff. de in jus vocando.

fession de son crime; elle appelle donc de tous cô-, tés les témoignages étrangers, et elle n'ose les décourager par la crainte d'une peine capitale. La loi française qui a une ressource de plus, ne craint pas tant d'intimider les témoins; au contraire, la raison demande qu'elle les intimide: elle n'écoute que les témoins d'une part1; ce sont ceux que produit la partie publique; et le destin de l'accusé dépend de leur seul témoignage. Mais, en Angleterre, on reçoit les témoins des deux parts, et l'affaire est, pour ainsi dire, discutée entre eux. Le faux témoignage y peut donc être moins dangereux; l'accusé y a une ressource contre le faux témoignage, au lieu que la loi française n'en donne point. Ainsi, pour juger lesquelles de ces lois sont les plus conformes à la raison, il ne faut pas comparer chacune de ces lois à chacune il faut les prendre toutes ensemble, et les comparer toutes ensemble.

CHAPITRE XII.

Que les lois qui paraissent les mêmes sont quelquefois réellement différentes.

Les lois grecques et romaines punissaient le recéleur du vol comme le voleur 2; la loi francaise fait de même. Celles-là étaient raisonnables, celle-ci ne l'est pas. Chez les Grecs et chez les Romains, le voleur étant condamné à une peine pécuniaire, il fallait punir le recéleur de la même peine : car tout homme qui contribue de quelque façon que ce soit à un dommage doit le réparer. Mais, parmi nous, la peine du vol étant capitale, on n'a pas pu, sans outrer les choses, punir le recéleur comme le voleur.

Celui qui reçoit le vol peut, en mille occasions, le recevoir innocemment; celui qui vole est toujours coupable; l'un empêche la conviction d'un crime déjà commis, l'autre commet ce crime; tout est passif dans l'un, il y a une action dans l'autre : il faut que le voleur surmonte plus d'obstacles, et que son âme se roidisse plus longtemps contre les lois.

Les jurisconsultes ont été plus loin : ils ont regardé le recéleur comme plus odieux que le voleur 3; car, sans eux, disent-ils, le vol ne pourrait être caché longtemps. Cela, encore une fois, pouvait être bon quand la peine était pécuniaire: il s'a

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gissait d'un dommage, et le recéleur était ordinairement plus en état de le réparer, mais, la peine devenue capitale, il aurait fallu se régler sur d'autres principes.

CHAPITRE XIII.

Qu'il ne faut point séparer les lois de l'objet pour lequel elles sont faites. Des lois romaines sur le vol.

lée, avant qu'il l'eût portée dans le lieu où il avait Lorsque le voleur était surpris avec la chose vorésolu de la cacher, cela était appelé chez les Romains un vol manifeste; quand le voleur n'était découvert qu'après, c'était un vol non manifeste.

La loi des Douze Tables ordonnait que le voleur manifeste fût battu de verges et reduit en servitude, s'il était pubère; ou seulement battu de verges, s'il était impubère: elle ne condamnait le voleur non manifeste qu'au payement du double de la chose volée.

Lorsque la loi Porcia eut aboli l'usage de battre de verges les citoyens et de les réduire en servitude, le voleur manifeste fut condamné au quadruple 1; et on continua à punir du double le voleur non manifesté.

Il paraît bizarre que ces lois missent une telle différence dans la qualité de ces deux crimes, et dans la peine qu'elles infligeaient en effet, que le voleur fut surpris avant ou après avoir porté le vol dans le lieu de sa destination, c'était une circonstance qui ne changeait point la nature du crime. Je ne saurais douter que toute la théorie des lois romaines sur le vol ne fût tirée des institutions lacédécitoyens de l'adresse, de la ruse, et de l'activité, moniennes. Lycurgue, dans la vue de donner à ses voulut qu'on exerçât les enfants au larcin, et qu'on fouettât rudement ceux qui s'y laisseraient surprendre cela établit chez les Grecs, et ensuite chez les Romains, une grande différence entre le vol manifeste et le vol non manifeste 2.

:

Chez les Romains, l'esclave qui avait volé était précipité de la roche Tarpéienne. Là il n'était point question des institutions lacédémoniennes; les lois de Lycurgue sur le vol n'avaient point été faites pour les esclaves : c'était les suivre que de s'en écarter en ce point.

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