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par l'empereur Anastase; mais quel droit pou- | la rhétorique et la poésie, que l'emploi même de

vait lui donner une autorité simplement annale? Il y a apparence, dit M. l'abbé Dubos, que, dans le même diplôme, l'empereur Anastase fit Clovis proconsul. Et moi, je dirai qu'il y a apparence qu'il ne le fit pas. Sur un fait qui n'est fondé sur rien, l'autorité de celui qui le nie est égale à l'autorité de celui qui l'allègue. J'ai même une raison pour cela. Grégoire de Tours, qui parle du consulat, ne dit rien du proconsulat. Ce proconsulat n'aurait été même que d'environ six mois. Clovis mourut un an et demi après avoir été fait consul; il n'est pas possible de faire du proconsulat une charge héréditaire. Enfin, quand le consulat, et, si l'on veut, le proconsulat, lui furent donnés, il était déjà le maître de la monarchie, et tous ses droits étaient établis.

La seconde preuve que M. l'abbé Dubos allègue, c'est la cession faite par l'empereur Justinien, aux enfants et aux petits-enfants de Clovis, de tous les droits de l'empire sur les Gaules. J'aurais bien des choses à dire sur cette cession. On peut juger de l'importance que les rois des Francs y mirent, par la manière dont ils en exécutèrent les conditions. D'ailleurs, les rois des Francs étaient maîtres des Gaules; ils étaient souverains paisibles; Justinien n'y possédait pas un pouce de terre; l'empire d'Occident était détruit depuis longtemps, et l'empereur d'Orient n'avait de droit sur les Gaules que comme représentant l'empereur d'Occident: c'étaient des droits sur des droits. La monarchie des Francs était déjà fondée; le règlement de leur établissement était fait : les droits réciproques des personnes, et des diverses nations qui vivaient dans la monarchie, étaient convenus; les lois de chaque nation étaient données, et même rédigées par écrit. Que faisait cette cession étrangère à un établissement déjà formé?

Que veut dire M. l'abbé Dubos avec les déclamations de tous ces évêques qui, dans le désordre, la confusion, la chute totale de l'État, les ravages de la conquête, cherchent à flatter le vainqueur? Que suppose la flatterie, que la faiblesse de celui qui est obligé de flatter? Que prouvent

La saine politique exige qu'un vainqueur s'efforce de légitimer ses conquêtes par des traités et par des conventions. Ce fut par cette raison que Clovis dut rechercher et accepter les ornements et la dignité consulaire qui lui furent envoyés par Anastase, empereur d'Orient. Il suivait l'exemple et la politique des rois barbares établis dans les Gaules, qui avaient sollicité et obtenu des dignités romaines pour se rendre plus respectables à leurs nouveaux sujets : c'est par cette raison que les enfants de Clovis regardèrent comme un des événements les plus capables d'affermir l'empire français, la cession qui leur fut faite par Justinien des droits de l'empire romain sur les Gaules (D.)

ces arts? Qui ne serait étonné de voir Grégoire de Tours, qui, après avoir parlé des assassinats de Clovis, dit que cependant Dieu prosternait tous les jours ses ennemis, parce qu'il marchait dans ses voies? Qui peut douter que le clergé n'ait été bien aise de la conversion de Clovis, et qu'il n'en ait même tiré de grands avantages? Mais qui peut douter en même temps que les peuples n'aient essuyé tous les malheurs de la conquête, et que le gouvernement romain n'ait cédé au gouvernement germanique? Les Francs n'ont point voulu, et n'ont pas même pu tout changer; et même peu de vainqueurs ont eu cette manie. Mais, pour que toutes les conséquences de M. Dubos fussent vraies, il aurait fallu que, non-seulement ils n'eussent rien changé chez les Romains, mais encore qu'ils se fussent changés eux-mêmes.

Je m'engagerais bien, en suivant la méthode de M. l'abbé Dubos, à prouver de même que les Grecs ne conquirent pas la Perse: d'abord je parlerais des traités que quelques-unes de leurs villes firent avec les Perses; je parlerais des Grecs qui furent à la solde des Perses comme les Franes furent à la solde des Romains. Que si Alexandre entra dans le pays des Perses, assiégea, prit et détruisit la ville de Tyr, c'était une affaire particulière, comme celle de Syagrius. Mais voyez comment le pontife des Juifs vient au-devant de lui; écoutez l'oracle de Jupiter Ammon; ressouvenez-vous comment il avait été prédit à Gordium; voyez comment toutes les villes courent, pour ainsi dire, au-devant de lui; comment les satrapes et les grands arrivent en foule. Il s'habille à la manière des Perses; c'est la robe consulaire de Clovis. Darius ne lui offrit-il pas la moitié de son royaume? Darius n'est-il pas assassiné comme un tyran? La mère et la femme de Darius ne pleurent-elles pas la mort d'Alexandre? Quinte-Curce, Arrien, Plutarque, étaient-ils contemporains d'Alexandre? L'imprimerie ne nous a-t-elle pas donné des lumières qui manquaient à ces auteurs1? Voilà l'histoire de l'Établissement de la monarchie française dans les Gaules.

CHAPITRE XXV.

De la noblesse française.

M. l'abbé Dubos soutient que, dans les premiers temps de notre monarchie, il n'y avait qu'un seul

Voyez le discours préliminaire de M. l'abbé Dubos.

2

ordre de citoyens parmi les Francs. Cette prétention | roi, n'était que de trois cents. On y trouve que injurieuse au sang de nos premières familles, ne la composition pour la mort d'un simple Franc était le serait pas moins aux trois grandes maisons qui de deux cents sous 3, et que celle pour la mort d'un ont successivement régné sur nous. L'origine de Romain d'une condition ordinaire n'était que de leur grandeur n'irait donc point se perdre dans cent 4. On payait encore pour la mort d'un Romain l'oubli, la nuit et le temps l'histoire éclairerait tributaire, espèce de serf ou d'affranchi, une comdes siècles où elles auraient été des familles com- position de quarante-cinq sous 5; mais je n'en parmunes; et, pour que Childéric, Pepin et Hugues- lerai point, non plus que de celle pour la mort du Capet fussent gentilshommes, il faudrait aller cher- serf franc, ou de l'affranchi franc: il n'est point cher leur origine parmi les Romains ou les Saxons, ici question de ce troisième ordre de personnes. c'est-à-dire parmi les nations subjuguées.

M. l'abbé Dubos fonde son opinion sur la loi salique. Il est clair, dit-il, par cette loi, qu'il n'y avait point deux ordres de citoyens chez les Francs. Elle donnait deux cents sous de composition pour la mort de quelque Franc que ce fût 2; mais elle distinguait, chez les Romains, le convive du roi, pour la mort duquel elle donnait trois cents sous de composition, du Romain possesseur, à qui elle en donnait cent, et du Romain tributaire, à qui elle n'en donnait que quarante-cinq. Et, comme la différence des compositions faisait la distinction principale, il conclut que, chez les Francs, il n'y avait qu'un ordre de citoyens, et qu'il y en avait

trois chez les Romains.

Il est surprenant que son erreur même ne lui ait pas fait découvrir son erreur. En effet, il eût été bien extraordinaire que les nobles romains qui vivaient sous la domination des Francs y eussent eu une composition plus grande, et y eussent été des personnages plus importants que les plus illustres des Francs, et leurs plus grands capitaines. Quelle apparence que le peuple vainqueur eût eu si peu de respect pour lui-même, et qu'il en eût eu tant pour le peuple vaincu? De plus, M. l'abbé Dubos cite les lois des autres nations barbares, qui prouvent qu'il y avait parmi eux divers ordres de citoyens. Il serait bien extraordinaire que cette règle générale eût précisément manqué chez les Francs. Cela aurait dû lui faire penser qu'il entendait mal, ou qu'il appliquait mal les textes de la loi salique : ce qui lui est effectivement arrivé.

On trouve, en ouvrant cette loi, que la composition pour la mort d'un antrustion, c'est-à-dire d'un fidèle ou vassal du roi, était de six cents sous 3; et que celle pour la mort d'un Romain, convive du

* Voyez l'Établissement de la monarchie française, tom. III, liv. VI, chap. IV, pag. 304.

2 Il cite le titre XLIV de cette loi, et la loi des Ripuaires, titres VII et XXXVI.

3 Qui in truste dominica est, tit. XLIV, § 4; et cela se rapporte à la formule XIII de Marculfe. de regis antrustione

Que fait M. l'abbé Dubos? Il passe sous silence le premier ordre de personnes chez les Francs, c'est-à-dire l'article qui concerne les antrustions; et ensuite, comparant le Franc ordinaire, pour la mort duquel on payait deux cents sous de composition, avec ceux qu'il appelle des trois ordres chez les Romains, et pour la mort desquels on payait des compositions différentes, il trouve qu'il n'y avait qu'un seul ordre de citoyens chez les Francs, et qu'il y en avait trois chez les Romains.

Comme, selon lui, il n'y avait qu'un seul ordre de personnes chez les Francs, il eût été bon qu'il n'y en eût eu qu'un aussi chez les Bourguignons, parce que leur royaume forma une des principales pièces de notre monarchie. Mais il y a dans leurs codes trois sortes de compositions; l'une pour le noble bourguignon ou romain, l'autre pour le Bourguignon ou Romain d'une condition médiocre, la troisième pour ceux qui étaient d'une condition inférieure dans les deux nations 6. M. l'abbé Dubos n'a point cité cette loi.

Il est singulier de voir comment il échappe aux passages qui le pressent de toutes parts. Lui parlet-on des grands, des seigneurs, des nobles: ce sont, dit-il, de simples distinctions, et non pas des distinctions d'ordre; ce sont des choses de courtoisie, et non pas des prérogatives de la loi. Ou bien, dit-il, les gens dont on parle étaient du conseil du roi ils pouvaient même être des Romains; mais il n'y avait toujours qu'un seul ordre de citoyens chez les Francs. D'un autre côté, s'il est parlé de quelque Franc d'un rang inférieur,

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ce sont des serfs ; et c'est de cette manière qu'il | vaient être renvoyés devant le roi, et ceux où ils ne interprète le décret de Childebert. Il est néces- le pouvaient pas '. saire que je m'arrête sur ce décret. M. l'abbé Dubos l'a rendu fameux, parce qu'il s'en est servi pour prouver deux choses: l'une, que toutes les compositions que l'on trouve dans les lois des barbares n'étaient que des intérêts civils ajoutés aux peines corporelles, ce qui renverse de fond en comble tous les anciens monuments; l'autre, que tous les hommes libres étaient jugés directement et immédiatement par le roi 3, ce qui est contredit par une infinité de passages et d'autorités qui nous font connaître l'ordre judiciaire de ces tempslà 4.

On trouve dans la vie de Louis le Débonnaire, écrite par Tégan, que les évêques furent les principaux auteurs de l'humiliation de cet empereur, surtout ceux qui avaient été serfs, et ceux qui étaient nés parmi les barbares. Tégan apostrophe ainsi Hébon, que ce prince avait tiré de la servitude, et avait fait archevêque de Reims : « Quelle récompense l'empereur a-t-il reçue de tant de << bienfaits 3? I t'a fait libre, et non pas noble; << il ne pouvait pas te faire noble, après t'avoir << donné la liberté. »

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Ce discours, qui prouve si formellement deux ordres de citoyens, n'embarrasse point M. l'abbé Dubos. Il répond ainsi 4 : « Ce passage ne veut

point dire que Louis le Débonnaire n'eût pas pu « faire entrer Hébon dans l'ordre des nobles. Hé« bon, comme archevêque de Reims, eût été du << premier ordre, supérieur à celui de la noblesse. » Je laisse au lecteur à décider si ce passage ne le veut point dire; je lui laisse à juger s'il est ici question d'une préséance du clergé sur la noblesse. « Ce passage prouve seulement, continue « M. l'abbé Dubos 5, que les citoyens nés libres « étaient qualifiés de nobles-hommes : dans l'usage « du monde, noble-homme, et homme né libre, << ont signifié longtemps la même chose. » Quoi! sur ce que, dans nos temps modernes, quelques bourgeois ont pris la qualité de nobles-hommes, un passage de la vie de Louis le Débonnaire s'appliquera à ces sortes de gens! « Peut-être aussi,

Il est dit dans ce décret, fait dans une assemblée de la nation, que si le juge trouve un voleur fameux, il le fera lier pour être envoyé devant le roi, si c'est un Franc (Francus); mais si c'est une personne plus faible (debilior persona), il sera pendu sur le lieu 5. Selon M. l'abbé Dubos, Francus est un homme libre, debilior persona est un serf. J'ignorerai, pour un moment, ce que peut signifier ici le mot Francus; et je commencerai par examiner ce qu'on peut entendre par ces mots, une personne plus faible. Je dis que, dans quelque langue que ce soit, tout comparatif suppose nécessairement trois termes : le plus grand, le moindre, et le plus petit. S'il n'était ici question que des hommes libres et des serfs, on aurait dit un serf, et non pas un homme d'une moindre puissance. Ainsi, debilior persona ne signifie point là un serf, mais une personne au-dessous de laquelle doit être le serf. Cela supposé, Francus ne signifiera pas un homme libre, mais un homme puissant; et Francus est pris ici dans cette acception, parce que parmi les Francs étaient toujours ceux qui avaient dans l'État un plus grande puissance, et qu'il était plus difficile au juge ou au comte de corriger. Cette explication s'accorde avec un grand nombre de capitulaires qui donnent les cas dans lesquels les criminels pou-mal appliqué de peut-être. On vient de voir que

solidis componatur; de inferioribus personis, quinque solidis. Art. 1, 2 et 3 du tit. xxvi de la loi des Bourguignons. Établissement de la monarchie française, chap. v, pages 319 et 320.

2 Ibid. liv. VI, chap. IV, pages 307 et 308.

3 Ibid. tome III, liv. VI, chap. IV, pag. 309; et au chapitre suivant, pages 319 et 320.

4 Voyez le livre XXVIII de cet ouvrage, chap. xxvIII; et livre XXXI, chap. viii.

5 Itaque colonia convenit et ita bannivimus, ut unusquisque judex criminosum latronem ut audierit, ad casam suam ambulet, et ipsum ligare faciat : ita ut, si Francus fuerit, ad nostram præsentiam dirigatur; et, si debilior persona fuerit, in loco pendatur. (Capitulaire de l'édition de Baluze, tome I, pag 19.)

ajoute-t-il encore 6, qu'Hébon n'avait point été << esclave dans la nation des Francs, mais dans la << nation saxonne, ou dans une autre nation germanique, où les citoyens étaient divisés en plu«< sieurs ordres. » Donc, à cause du peut-être de M. l'abbé Dubos, il n'y aura point eu de noblesse dans la nation des Francs. Mais il n'a jamais plus

«

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sés à Louis le Débonnaire, dont les uns avaient été serfs, et les autres étaient d'une nation barbare. Hébon était des premiers, et non pas des seconds. D'ailleurs je ne sais comment on peut dire qu'un serf tel qu'Hébon aurait été Saxon ou Germain : un serf n'a point de famille, ni par conséquent de nation. Louis le Débonnaire affranchit Hébon; et, comme les serfs affranchis prenaient la loi de leur maître, Hébon devint Franc, et non pas Saxon ou Germain.

Je viens d'attaquer; il faut que je me défende. On me dira que le corps des antrustions formait bien dans l'État un ordre distingué de celui des hommes libres; mais que, comme les fiefs furent d'abord amovibles, et ensuite à vie, cela ne pouvait pas former une noblesse d'origine, puisque les prérogatives n'étaient point attachées à un fief héréditaire. C'est cette objection qui a sans doute fait penser à M. de Valois qu'il n'y avait qu'un seul ordre de citoyens chez les Francs : sentiment que M. l'abbé Dubos a pris de lui, et qu'il a absolument gâté à force de mauvaises preuves. Quoi qu'il en soit, ce n'est point M. l'abbé Dubos qui aurait pu faire cette objection: car, ayant donné trois ordres de noblesse romaine, et la qualité de convive du roi pour le premier, il n'aurait pas pu dire que ce titre marquât plus une noblesse d'origine que celui d'antrustion. Mais il faut une réponse directe. Les antrustions ou fidèles n'étaient pas tels, parce qu'ils avaient un fief; mais on leur donnais un fief, parce qu'ils étaient antrustions ou fidèles. On se ressouvient de ce que j'ai dit dans les premiers chapitres de ce livre ils n'avaient pas pour lors, comme ils eurent dans la suite, le même fief; mais s'ils n'avaient pas celui-là, ils en avaient un autre, et parce que les fiefs se donnaient à la naissance, et parce qu'ils se donnaient souvent dans les assemblées de la nation, et enfin parce que, comme il était de l'intérêt des nobles d'en avoir, il était aussi de l'intérêt du roi de leur en donner. Ces familles étaient

pas incapables de posséder des fiefs, il paraît par le passage de Tégan rapporté ci-dessus, que les serfs affranchis en étaient absolument exclus. M. l'abbé Dubos, qui va en Turquie pour nous donner une idée de ce qu'était l'ancienne noblesse française, nous dira-t-il qu'on se soit jamais plaint en Turquie de ce qu'on y élevait aux honneurs et aux dignités des gens de basse naissance, comme on s'en plaignait sous les règnes de Louis le Débonnaire et de Charles le Chauve? On ne s'en plaignait pas du temps de Charlemagne, parce que ce prince distingua toujours les anciennes familles d'avec les nouvelles : ce que Louis le Débonnaire et Charles le Chauve ne firent pas.

Le public ne doit pas oublier qu'il est redevable à M. l'abbé Dubos de plusieurs compositions excellentes. C'est sur ces beaux ouvrages qu'il doit le juger, et non pas sur celui-ci. M. l'abbé Dubos y est tombé dans de grandes fautes, parce qu'il a plus eu devant les yeux M. le comte de Boulainvilliers que son sujet. Je ne tirerai de toutes mes critiques que cette réflexion : Si ce grand homme a erré, que ne dois-je pas craindre!

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Changements dans les offices et les fiefs.

D'abord les comtes n'étaient envoyés dans leurs districts que pour un an; bientôt ils achetèrent la continuation de leurs offices. On en trouve un exem

distinguées par leur dignité de fidèles, et par la pré-ple dès le règne des petits-enfants de Clovis. Un

certain Peonius était comte dans la ville d'Auxerre 2, Gontran, pour être continué dans son emploi : le il envoya son fils Mummolus porter de l'argent à

rogative de pouvoir se recommander pour un fief. Je ferai voir dans le livre suivant comment, par les circonstances des temps, il y eut des hommes libres qui furent admis à jouir de cette grande pré-fils donna de l'argent pour lui-même, et obtint la rogative, et par conséquent à entrer dans l'ordre de place du père. Les rois avaient déjà commencé à la noblesse. Cela n'était point ainsi du temps de corrompre propres grâces. Gontran et de Childebert, son neveu; et cela était ainsi du temps de Charlemagne. Mais quoique, dès le temps de ce prince, les hommes libres ne fussent

⚫ Chapitre XXIII.

leurs

Quoique, par la loi du royaume, les fiefs fussent amovibles, ils ne se donnaient pourtant ni ne s'ô

'Histoire de l'Établissement de la monarchie française, t. III, liv. VI, chap. IV, page 302.

2 Grégoire de Tours, liv. IV, chap. XLII.

taient d'une manière capricieuse et arbitraire, et c'était ordinairement une des principales choses qui se traitaient dans les assemblées de la nation. On peut bien penser que la corruption se glissa dans ce point, comme elle s'était glissée dans l'autre; et que l'on continua la possession des fiefs pour de l'argent, comme on continuait la possession des comtés.

Je ferai voir, dans la suite de ce livre, qu'indépendamment des dons que les princes firent pour un temps, il y en eut d'autres qu'ils firent pour toujours. Il arriva que la cour voulut révoquer les dons qui avaient été faits: cela mit un mécontentement général dans la nation, et l'on en vit bientôt naître cette révolution fameuse dans l'histoire de France, dont la première époque fut le spectacle étonnant du supplice de Brunehault.

Il paraît d'abord extraordinaire que cette reine, fille, sœur, mère de tant de rois, fameuse encore aujourd'hui par des ouvrages dignes d'un édile ou d'un proconsul romain, née avec un génie admirable pour les affaires, douée de qualités qui avaient été si longtemps respectées, se soit vue tout à coup exposée à des supplices si longs, si honteux, si cruels 2, par un roi dont l'autorité était assez mal affermie dans sa nation 3, si elle n'était tombée, par quelque cause particulière, dans la disgrâce de cette nation. Clotaire lui reprocha la mort de dix rois 4: mais il y en avait deux qu'il fit lui-même mourir; la mort de quelques autres fut le crime du sort, ou de la méchanceté d'une autre reine; et une nation qui avait laissé mourir Frédégonde dans son lit, qui s'était même opposée à la punition de ses épouvantables crimes 5, devait être bien froide sur ceux de Brunehault.

Elle fut mise sur un chameau, et on la promena dans toute l'armée : marque certaine qu'elle était tombée dans la disgrâce de cette armée. Frédégaire dit que Protaire, favori de Brunehault, prenait le bien des seigneurs, et en gorgeait le fisc; qu'il humiliait la noblesse, et que personne ne pouvait être sûr de garder le poste qu'il avait 6. L'armée conjura contre lui, on le poignarda dans sa tente;

1 Chap. VII.

2 Chronique de Frédégaire, chap. XLII.

3 Clotaire II, fils de Chilpéric, et père de Dagobert. Chronique de Frédégaire, chap. XLII.

5 Voyez Grégoire de Tours, liv. VIII, chap. XXXI.

6 Sæva illi fuit contra personas iniquitas, fisco nimium tribuens, de rebus personarum ingeniose fiscum vellens implere... ut nullus reperiretur qui gradum quem arripuerat, potuisset adsumere. (Chronique de Frédégaire, chap. xxvII, sur l'an 605.)

et Brunehault, soit par les vengeances qu'elle tıra de cette mort', soit par la poursuite du même plan, devint tous les jours plus odieuse à la nation 2.

Clotaire, ambitieux de régner seul, et plein de la plus affreuse vengeance, sûr de périr si les enfants de Brunehault avaient le dessus, entra dans une conjuration contre lui-même; et, soit qu'il fût malhabile, ou qu'il fût forcé par les circonstances, il se rendit accusateur de Brunehault, et fit faire de cette reine un exemple terrible.

Warnachaire avait été l'âme de la conjuration contre Brunehault; il fut fait maire de Bourgogne : il exigea de Clotaire qu'il ne serait jamais déplacé pendant sa vie 3. Par là le maire ne put plus être dans le cas où avaient été les seigneurs français; et cette autorité commença à se rendre indépendante de l'autorité royale.

C'était la funeste régence de Brunehault qui avait surtout effarouché la nation. Tandis que les lois subsistèrent dans leur force, personne ne put se plaindre de ce qu'on lui ôtait un fief, puisque la loi ne le lui donnait pas pour toujours; mais, quand l'avarice, les mauvaises pratiques, la corruption, firent donner des fiefs, on se plaignit de ce qu'on était privé par de mauvaises voies des choses que souvent on avait acquises de même. Peut-être que, si le bien public avait été le motif de la révocation des dons, on n'aurait rien dit; mais on montrait l'ordre, sans cacher la corruption; on réclamait le droit du fisc, pour prodiguer les biens du fisc à sa fantaisie; les dons ne furent plus la récompense ou l'espérance des services. Brunehault, par un esprit corrompu, voulut corriger les abus de la corruption ancienne. Ses caprices n'étaient point ceux d'un esprit faible; les leudes et les grands officiers se crurent perdus : ils la perdirent.

Il s'en faut bien que nous ayons tous les actes qui furent passés dans ces temps-là; et les faiseurs de chroniques, qui savaient à peu près de l'histoire de leur temps ce que les villageois savent aujourd'hui de celle du nôtre, sont très-stériles. Cependant nous avons une constitution de Clotaire, donnée dans le concile de Paris 4 pour la réformation des abus, qui fait voir que ce prince fit cesser les

1 Ibid. chap. XVIII, sur l'an 607.

2 Ibid. chap XLI, sur l'an 613. Burgundiæ farones, tam episcopi quam cæteri leudes, timentes Brunichildem, et odium in eam habentes, consilium inientes, etc.

3 Ibid. chap. XLII, sur l'an 613. Sacramento a Clotaria accepto, ne unquam vitæ suæ temporibus degradaretur. 4 Quelque temps après le supplice de Brunehault, l'an 615. Voyez l'édition des capitulaires de Baluze, page 21.

5 Quæ contra rationis ordinem acta vel ordinata sunt, ne in antea, quod avertat Divinitas! contingant, disposueri

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