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CHAPITRE XIV.

Des fiefs de Charles Martel.

Je ne dirai point si Charles-Martel donnant les biens de l'Église en fief, il les donna à vie, ou à perpétuité. Tout ce que je sais c'est que, du temps de Charlemagne et de Lothaire Ier 2, il y avait de ces sortes de biens qui passaient aux héritiers, et se partageaient entre eux.

Je trouve de plus qu'une partie fut donnée en aleu, et l'autre partie en fief 3.

J'ai dit que les propriétaires des aleux étaient soumis au service comme les possesseurs des fiefs. Cela fut sans doute en partie cause que CharlesMartel donna en aleu aussi bien qu'en fief.

CHAPITRE XV.

Continuation du même sujet.

Il faut remarquer que les fiefs ayant été changés en biens d'église, et les biens d'église ayant été changés en fiefs, les fiefs et les biens d'église prirent réciproquement quelque chose de la nature de l'un et de l'autre. Ainsi, les biens d'église eurent les priviléges des fiefs, et les fiefs eurent les priviléges des biens d'église tels furent les droits honorifiques dans les églises, qu'on vit naître dans ces temps-là 4. Et, comme ces droits ont toujours été attachés à la haute justice, préférablement à ce que nous appelons aujourd'hui le fief,il suit que les justices patrimoniales étaient établies dans le temps

même de ces droits.

CHAPITRE XVI.

Confusion de la royauté et de la mairerie 5. Seconde race.

L'ordre des matières a fait que j'ai troublé l'ordre des temps; de sorte que j'ai parlé de Charlema

1 Comme il paraît par son capitulaire de l'an 801, art. 17, dans Baluze, tom. I, pag. 360.

2 Voyez sa constitution, insérée dans le code des Lombards, liv. III, tit. 1, § 44.

3 Voyez la constitution ci-dessus, et le capitulaire de Charles le Chauve, de l'an 846, chap. xx, in villa Sparnaco, édit. de Baluze, tom. II, pag. 31; et celui de l'an 853, chap. In et v, dans le synode de Soissons, édit. de Baluze, tom. II, pag. 54; et celui de l'an 854, apud Attiniacum, chap. x, édition de Baluze, tom. II, pag. 70. Voyez aussi le capitulaire premier de Charlemagne, incerti anni, art. 49 et 56 de Baluze, tom. I, pag. 519.

4 Voyez les capitulaires, liv. v, art. 44; et l'édit de Pistes de l'an 866, art. 8 et 9, où l'on voit les droits honorifiques des seigneurs, établis tels qu'ils sont aujourd'hui.

• Depuis longtemps ce mot n'est plus d'usage, on dit mairie. (P.)

:

gne avant d'avoir parlé de cette époque fameuse de la translation de la couronne aux Carlovingiens, faite sous le roi Pepin chose qui, à la différence des événements ordinaires, est peut-être plus remarquée aujourd'hui qu'elle ne le fut dans le temps même qu'elle arriva.

Les rois n'avaient point d'autorité, mais ils avaient un nom; le titre de roi était héréditaire, et celui de maire était électif. Quoique les maires, dans les derniers temps, eussent mis sur le trône çelui des Mérovingiens qu'ils voulaient, ils n'avaient point pris de roi dans une autre famille; et l'ancienne loi, qui donnait la couronne à une certaine famille, n'était point effacée du cœur des Francs. La personne du roi était presque inconnue dans la monarchie; mais la royauté ne l'était pas. Pepin, fils de Charles-Martel, crut qu'il était à propos de confondre ces deux titres : confusion qui laisserait toujours de l'incertitude si la royauté nouvelle était héréditaire, ou non; et cela suffisait à Pour lors, l'autorité du maire fut jointe à l'autocelui qui joignait à la royauté une grande puissance. rité royale. Dans le mélange de ces deux autorités,

il se fit une espèce de conciliation. Le maire avait été électif, et le roi héréditaire : la couronne, au commencement de la seconde race, fut élective, parce que le peuple choisit; elle fut héréditaire, parce qu'il choisit toujours dans la même famille 1.

Le P. le Cointe, malgré la foi de tous les monuments 2, nie que le pape ait autorisé ce grand changement 3; une de ses raisons est qu'il aurait fait une injustice. Et il est admirable de voir un historien juger de ce que les hommes ont fait, par ce qu'ils auraient dû faire. Avec cette manière de raisonner, il n'y aurait plus d'histoire.

Quoi qu'il en soit, il est certain que, dès le moment de la victoire du duc Pepin, sa famille fut régnante, et que celle des Mérovingiens ne le fut plus. Quand son petit-fils Pepin fut couronné roi, ce ne fut qu'une cérémonie de plus, et un fantôme de moins; il n'acquit rien par là que les ornements royaux: il n'y eut rien de changé dans la nation. J'ai dit ceci pour fixer le moment de la révolu

1 Voyez le testament de Charlemagne; et le partage que Louis le Débonnaire fit à ses enfants dans l'assemblée des états tenue à Quierzy, rapportée par Goldast : Quem populus étigere velit, ut patri suo succedat in regni hæreditate.

2 L'anonyme sur l'an 752; et Chron. Centud. sur l'an 754. 3 Fabella quæ post Pippini mortem excogitata est, æquitati ac sanctitati Zachariæ papæ plurimum adversatur. ( An nales ecclésiatiques des Français, tom. II, pag. 319.)

tion, afin qu'on ne se trompe pas, en regardant j tage du consentement des grands; et ensuite qu'il comme une révolution ce qui n'était qu'une con

séquence de la révolution.

Quand Hugues Capet fut couronné roi, au commencement de la troisième race, il y eut un plus grand changement, parce que l'État passa de l'anarchie à un gouvernement quelconque; mais quand Pepin prit la couronne, on passa d'un gouvernement au même gouvernement.

Quand Pepin fut couronné roi, il ne fit que changer de nom; mais, quand Hugues Capet fut couronné roi, la chose changea, parce qu'un grand fief uni à la couronne fit cesser l'anarchie.

Quand Pepin fut couronné roi, le titre de roi fut uni au plus grand office; quand Hugues Capet fut couronné, le titre de roi fut uni au plus grand fief.

CHAPITRE XVII.

le fit par un droit paternel. Cela prouve ce que j'ai dit, que le droit du peuple, dans cette race, était d'élire dans la famille : c'était, à proprement parler, plutôt un droit d'exclure qu'un droit d'élire.

Cette espèce de droit d'élection se trouve confirmée par les monuments de la seconde race. Tel est ce capitulaire de la division de l'empire que Charlemagne fait entre ses trois enfants, où, après avoir formé leur partage, il dit que, « si un des << trois frères a un fils, tel que le peuple veuille « l'élire pour qu'il succède au royaume de son père, «ses oncles y consentiront 1. »

Cette même disposition se trouve dans le partage que Louis le Débonnaire fit entre ses trois enfants, Pepin, Louis et Charles, l'an 837, dans l'assemblée d'Aix-la-Chapelle 2; et encore dans un autre partage du même empereur, fait, vingt ans auparavant, entre Lothaire, Pepin et Louis 3. On peut voir encore le serment que Louis le Bègue fit à

Chose particulière dans l'élection des rois de la seconde Compiègne, lorsqu'il y fut couronné. « Moi, Louis,

race.

On voit, dans la formule de la consécration de Pepin, que Charles et Carloman furent aussi oints et bénis; et que les seigneurs français s'obligèrent, sous peine d'interdiction et d'excommunication, de n'élire jamais personne d'une autre race 2.

Il paraît par les testaments de Charlemagne et de Louis le Débonnaire, que les Francs choisissaient entre les enfants des rois ce qui se rapporte trèsbien à la clause ci-dessus. Et, lorsque l'empire passa dans une autre maison que celle de Charle- | magne, la faculté d'élire, qui était restreinte et conditionnelle, devint pure et simple, et on s'éloigna de l'ancienne constitution.

Pepin, se sentant près de sa fin, convoqua les seigneurs ecclésiastiques et laïques à Saint-Denis 3, et partagea son royaume à ses deux fils, Charles et Carloman. Nous n'avons point les actes de cette assemblée; mais on trouve ce qui s'y passa dans l'auteur de l'ancienne collection historique mise au jour par Canisius, et celui des annales de Metz, comme l'a remarqué M. Baluze 5. Et j'y vois deux choses en quelque façon contraires : qu'il fit le par

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«< constitué roi par la miséricorde de Dieu et « l'élection du peuple, je promets.... 4. » Ce que je dis est confirmé par les actes du concile de Valence, tenu l'an 890, pour l'élection de Louis, fils de Boson, au royaume d'Arles 5. On y élit Louis; et on donne pour principales raisons de son élection, qu'il était de la famille impériale 6, que Charles le Gras 7 lui avait donné la dignité de roi, et que l'empereur Arnoul l'avait investi par le sceptre et par le ministère de ses ambassadeurs. Le royaume d'Arles, comme les autres, démembrés, ou dépendants de l'empire de Charlemagne, était électif et héréditaire.

CHAPITRE XVIII.

Charlemagne.

Charlemagne songea à tenir le pouvoir de la noblesse dans ses limites, et à empêcher l'oppression du clergé et des hommes libres. Il mit un tel tempérament dans les ordres de l'État, qu'ils furent

I Dans le capitulaire premier de l'an 806, édit. de Baluze, pag. 439, art. 5.

2 Dans Goldast, constitutions impériales, tom. II, pag. 19. 3 Edition de Baluze, pag. 574, art. 14. Si vero aliquis illorum decedens, legitimos filios reliquerit, non inter eos potestas ipsa dividatur; sed potius populus, pariter conveniens, unum ex iis, quem dominus voluerit, eligat; et hunc senior frater in loco fratris et filii suscipiat.

4 Capitulaire de l'an 877, édit. de Baluze, pag. 272.
5 Dans Dumont, Corps diplomatique, tom. I, art. 36.
6 Par femmes.

1 Carolus Crassus.

contre-balancés, et qu'il resta le maître. Tout fut uni par la force de son génie. Il mena continuellement la noblesse d'expédition en expédition; il ne lui laissa pas le temps de former des desseins, et l'occupa tout entière à suivre les siens. L'empire se maintint par la grandeur du chef : le prince était grand, l'homme l'était davantage. Les rois ses enfants furent ses premiers sujets, les instruments de son pouvoir, et les modèles de l'obéissance. Il fit d'admirables règlements; il fit plus, il les fit exécuter. Son génie se répandit sur toutes les parties de l'empire. On voit, dans les lois de ce prince, un esprit de prévoyance qui comprend tout, et une certaine force qui entraîne tout. Les prétextes pour éluder les devoirs sont ôtés, les négligences corrigées, les abus réformés ou prévenus'. Il savait punir; il savait encore mieux pardonner. Vaste dans ses desseins, simple dans l'exécution, personne n'eut à un plus haut degré l'art de faire les plus grandes choses avec facilité, et les difficiles avec promptitude. Il parcourait sans cesse son vaste empire, portant la main partout où il allait tomber. Les affaires renaissaient de toutes parts: il les finissait de toutes parts. Jamais prince ne sut mieux braver les dangers, jamais prince ne les sut mieux éviter. Il se joua de tous les périls, et particulièrement de ceux qu'épouvent presque toujours les grands conquérants, je veux dire les conspirations. Ce prince prodigieux était extrêmement modéré; son caractère était doux, ses manières simples; il aimait à vivre avec les gens de sa cour 2. Il fut peut-être trop sensi

1 Voyez son capitulaire de l'an 811, pag. 486, art. 1, 2, 3, 4, 5, 6 et 8; et le capitulaire premier, de l'an 812, pag. 490, art. 1; et le capitulaire de la même année, pag. 494, art. 9 et II, et d'autres.

2 Jamais on ne traça un plus beau portrait de Charlemagne. Pour apprécier cet homme prodigieux, il fallait un esprit aussi élevé, un génie aussi vaste que le sien; et dans nos temps modernes, l'auteur de l'Esprit des Lois était seul capable d'un tel effort. Mably, qui plus tard essaya de porter la lumière dans les diverses parties de l'administration de ce monarque, lui a rendu une justice non moins éclatante. Voici quelques traits de son tableau, où l'on retrouve souvent la vigueur et l'énergie de Montesquieu :

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Charlemagne ne voulait pas avoir pour officiers ou pour ministres des courtisans, mais des hommes qui aimassent la vérité et l'Etat; qui fussent connus par leur expérience, leur discrétion, leur exactitude, leur sobriété; et assez fermes dans la pratique de leur devoir, non-seulement pour être inaccessibles aux présents, mais pour ne pouvoir pas même être éblouis et trompés par la flatterie, l'amitié, et les liaisons du sang.

« Croira-t-on que je parle de la cour d'un roi, si je dis que les officiers du palais étaient chargés d'aider de leurs conseils les malheureux qui venaient y chercher du secours contre la misère, l'oppression et la calomnie; ou ceux qui, s'étant acquittés de leurs devoirs avec distinction, avaient été oubliés dans la distribution des récompenses? Il était ordonné à chaque officier de pourvoir à leurs besoins, de faire passer leurs requê

ble au plaisir des femmes; mais un prince qui gouverna toujours par lui-même, et qui passa sa vie dans les travaux, peut mériter plus d'excuses. Il mit une règle admirable dans sa dépense: il fit valoir ses domaines avec sagesse, avec attention, avec économie; un père de famille pourrait apprendre dans ses lois à gouverner sa maison 1. On voit dans ses capitulaires la source pure et sacrée d'où il tira ses richesses. Je ne dirai plus qu'un mot; it ordonnait qu'on vendît les œufs des basses-cours de ses domaines, et les herbes inutiles de ses jardins ; et il avait distribué à ses peuples toutes les richesses des Lombards, et les immenses trésors de ces Huns qui avaient dépouillé l'univers.

CHAPITRE XIX.

Continuation du même sujet.

Charlemagne et ses premiers successeurs craignirent que ceux qu'ils placeraient dans des lieux. éloignés ne fussent portés à la révolte; ils crurent qu'ils trouveraient plus de docilité dans les ecclésiastiques; ainsi ils érigèrent en Allemagne un grand nombre d'évêchés, et y joignirent de grands fiefs 3. Il paraît, par quelques chartres, que les clauses qui contenaient les prérogatives de ces fiefs n'étaient pas différentes de celles qu'on mettait ordinairement

tes jusqu'au prince, et de se rendre leur solliciteur. Qu'il est beau de voir les vertus les plus précieuses à l'humanité devenir les fonctions ordinaires d'une charge; et, par une espèce de pro❤ dige, les courtisans changés en instruments du bien public, et en ministres de la bienfaisance du prince! » ( Observations sur l'Hist. de France, liv. II, ch. 11.)

1 Voyez le capitulaire de villis, de l'an 800; son capitulaire 11, de l'an 813, art. 6 et 19; et le livre V des capitulaires, art. 303. - Charlemagne fit à lui seul plus de lois que n'en avaient fait tous ceux de nos souverains qui l'avaient précédé : il renouvela ce qu'il trouva de juste dans les anciens capitulaires; il voulut perfectionner les codes ripuaire et salien; il puisa quelquefois dans celui des Lombards; enfin il rassembla sous ses yeux les lois saliques, romaines et bourguignones, comme pour tacher d'en extraire des règlements qui, sans en avoir les inconvénients, en eussent toute la sagesse; mais toujours il agit en homme capable d'administrer, plutôt qu'en législateur. (CHABRIT, de la Monarch. franç. liv. VII, ch. XVI.) — Si quelques articles des capitulaires de Charlemagne nous paraissent aujourd'hui puérils, ne nous hátons pas témérairement de les condamner; on les admirerait sans doute en examinant l'ensem ble de la grande machine dont ils faisaient partie. Si d'autres nous paraissent et sont en effet barbares, concluons-en seulement que les Français, à peine délivrés des désordres qui avaient ruiné la famille de Clovis, formaient encore un peuple grossier, qui ne pouvait ouvrir les yeux qu'à quelques vérités. (MABLY.)

2 Capitulaire de villis, art. 39. Voyez tout ce capitulaire, qui est un chef-d'œuvre de prudence, de bonne administration et d'économie.

3 Voyez, entre autres, la fondation de l'archevêché de Brême, dans le capitulaire de 789, édit. de Baluze, pag. 245.

dans ces concessions', quoiqu'on voie aujourd'hui | neveu, qui était venu implorer sa clémence, et qui mourut quelques jours après cela multiplia ses ennemis. La crainte qu'il en eut le détermina à faire tondre ses frères ; cela en augmenta encore le nom

les principaux ecclésiastiques d'Allemagne revêtus de la puissance souveraine. Quoi qu'il en soit, c'étaient des pièces qu'ils mettaient en avant contre les Saxons. Ce qu'ils ne pouvaient attendre de l'indo-bre. Ces deux derniers articles lui furent bien reprolence ou des négligences d'un leude, ils crurent qu'ils devaient l'attendre du zèle et de l'attention agissante d'un évêque ; outre qu'un tel vassal, bien loin de se servir contre eux des peuples assujettis, aurait au contraire besoin d'eux pour se soutenir contre ces peuples.

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Dans le temps que l'univers est en larmes pour la mort de son père; dans cet instant d'étonnement, où tout le monde demande Charles, et ne le trouve plus; dans le temps qu'il hâte ses pas pour aller remplir sa place, il envoie devant lui des gens affidés pour arrêter ceux qui avaient contribué au désordre

de la conduite de ses sœurs. Cela causa de sanglantes tragédies 3: c'étaient des imprudences bien précipitées. Il commença à venger les crimes domestiques avant d'être arrivé au palais, et à révolter les esprits avant d'être le maître.

Il fit crever les yeux à Bernard, roi d'Italie, son

Par exemple, la défense aux juges royaux d'entrer dans le territoire pour exiger les freda et autres droits. J'en ai beaucoup parlé au livre précédent.

2 Conditorium et corpus magni Alexandri cum prolatum e penetrali subjecisset ( Augustus) oculis, corona aurea imposita ac floribus aspersis veneratus est : consultusque num et Ptolemæum inspicere vellet, « regem se voluisse ait videre, non mortuos. » SUETON, in August. cap. xvIII. Voyez le mê me fait rapporté dans Dion, liv. LI, chap. xvi.

3 L'auteur incertain de la Vie de Louis le Débonnaire, dans le recueil de Duchesne, tom. II, pag. 295

chés: on ne manqua pas de dire qu'il avait violé son serment, et les promesses solennelles qu'il avait faites à son père le jour de son couronnement 2.

Après la mort de l'impératrice Hirmengarde, dont il avait trois enfants, il épousa Judith: il en eut un fils; et bientôt, mêlant les complaisances d'un vieux mari avec toutes les faiblesses d'un vieux roi, il mit un désordre dans sa famille, qui entraîna la chute de la monarchie.

Il changea sans cesse les partages qu'il avait faits à ses enfants. Cependant ces partages avaient été confirmés tour à tour par ses serments, ceux de ses enfants, et ceux des seigneurs. C'était vouloir tenter la fidélité de ses sujets; c'était chercher à mettre de la confusion, des scrupules et des équivoques dans l'obéissance; c'était confondre les droits divers des princes, dans un temps surtout où, les forteresses étant rares, le premier rempart de l'autorité était la foi promise et la foi reçue.

Les enfants de l'empereur, pour maintenir leurs partages, sollicitèrent le clergé, et lui donnèrent des droits inouïs jusqu'alors. Ces droits étaient spécieux; on faisait entrer le clergé en garantie d'une chose qu'on avait voulu qu'il autorisât. Agobard représenta à Louis le Débonnaire qu'il avait envoyé Lothaire à Rome pour le faire déclarer empereur; qu'il avait fait des partages à ses enfants, après avoir consulté le ciel par trois jours de jeûnes et de priè. res 3. Que pouvait faire un prince superstitieux, attaqué d'ailleurs par la superstition même? On sent quel échec l'autorité souveraine reçut deux fois par avait voulu dégrader le roi, on dégrada la royauté. la prison de ce prince et sa pénitence publique. On

On a d'abord de la peine à comprendre comment un prince qui avait plusieurs bonnes qualités, qui ne manquait pas de lumières, qui aimait naturellement le bien, et, pour tout dire enfin, le fils de Charlemagne, pût avoir des ennemis si nombreux, si violents, si irréconciliables, si ardents à l'offenser, si insolents dans son humiliation, si déterminés

Voyez le procès-verbal de sa dégradation, dans le recueil de Duchesne, tom. II, pag. 333.

2 Il lui ordonna d'avoir pour ses sœurs, ses frères et ses neveux, une clémence sans bornes, indeficientem misericordiam. (Tégan, dans le recueil de Duchesne, tom. II, p. 276. ) 3 Voyez ses lettres.

à le perdre ; et ils l'auraient perdu deux fois sans retour, si ses enfants, dans le fond plus honnêtes gens qu'eux, eussent pu suivre un projet et convenir de quelque chose.

CHAPITRE XXI.

Continuation du même sujet.

La force que Charlemagne avait mise dans la nation subsista assez sous Louis le Débonnaire

pour que l'État pût se maintenir dans sa grandeur, et être respecté des étrangers. Le prince avait l'esprit faible, mais la nation était guerrière. L'autorité se perdait au dedans, sans que la puissance parût diminuer au dehors.

Charles-Martel, Pepin et Charlemagne gouvernèrent l'un après l'autre la monarchie. Le premier flatta l'avarice des gens de guerre ; les deux autres, celle du clergé; Louis le Débonnaire mécontenta tous les deux.

Dans la constitution française, le roi, la noblesse et le clergé avaient dans leurs mains toute la puissance de l'État. Charles-Martel, Pepin et Charlemagne se joignirent quelquefois d'intérêts avec l'une des deux parties pour contenir l'autre, et presque toujours avec toutes les deux; mais Louis le Débonnaire détacha de lui l'un et l'autre de ces corps. Il indisposa les évêques par des règlements qui leur parurent rigides, parce qu'il allait plus loin qu'ils ne voulaient aller eux-mêmes. Il y a de très-bonnes lois faites mal à propos. Les évêques, accoutumés dans ces temps-là à aller à la guerre contre les Sarrasins et les Saxons, étaient bien éloignés de l'esprit monastique 2. D'un autre côté, ayant perdu toute sorte de confiance pour sa noblesse, il éleva des gens de néant 3. Il la priva de ses emplois, la renvoya du palais, appela des étrangers 4. Il s'était séparé de ces deux corps, il en fut abandonné.

CHAPITRE XXII.

Continuation du même sujet.

Mais ce qui affaiblit surtout la monarchie, c'est que ce prince en dissipa les domaines. C'est ici que Nitard, un des plus judicieux historiens que nous ayons; Nitard, petit-fils de Charlemagne, qui était attaché au parti de Louis le Débonnaire, et qui écrivait l'histoire par ordre de Charles le Chauve, doit être écouté.

Il dit «< qu'un certain Adelhard avait eu pendant << un temps un tel empire sur l'esprit de l'empe<< reur, que ce prince suivait sa volonté en toutes «< choses; qu'à l'instigation de ce favori, il avait << donné les biens fiscaux à tous ceux qui en avaient « voulu, et par là avait anéanti la république 3. Ainsi, il fit dans tout l'empire ce que j'ai dit qu'il avait fait en Aquitaine 4: chose que Charlemagne répara, et que personne ne répara plus.

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L'État fut mis dans cet épuisement où CharlesMartel le trouva lorsqu'il parvint à la mairerie 5; et l'on était dans ces circonstances, qu'il n'était plus question d'un coup d'autorité pour le rétablir.

Le fisc se trouva si pauvre, que sous Charles le Chauve on ne maintenait personne dans les honneurs, on n'accordait la sûreté à personne que pour de l'argent 6: quand on pouvait détruire les Normands, on les laissait échapper pour de l'argent 7; et le premier conseil qu'Hincmar donne à Louis le Bègue, c'est de demander dans une assemblée de quoi soutenir les dépenses de sa maison.

CHAPITRE XXIII.

Continuation du même sujet.

Le clergé eut sujet de se repentir de la protection qu'il avait accordée aux enfants de Louis le Débonnaire. Ce prince, comme j'ai dit, n'avait

Voyez le procès-verbal de sa dégradation, dans le recueil jamais donné de préceptions des biens de l'église

de Duchesne, tom. II, pag. 331. Voyez aussi sa Vie, écrite par Tégan. Tanto enim odio laborabat, ut tæderet eos vita ipsius, dit l'auteur incertain, dans Duchesne, tom. II, p. 307. 2 « Pour lors les évêques et les clercs commencèrent à quit« ter les ceintures et les baudriers d'or, les couteaux enrichis « de pierreries qui y étaient suspendus, les habillements d'un a goût exquis, les éperons, dont la richesse accablait leurs ta«lons. Mais l'ennemi du genre humain ne souffrit point une « telle dévotion, qui souleva contre elle les ecclésiastiques de a tous les ordres, et se fit à elle-même la guerre. » (L'auteur incertain de la Vie de Louis le Débonnaire, dans le recueil de Duchesne, tom. II, pag. 298.)

3 Tégan dit que ce qui se faisait très-rarement sous Charlemagne se fit communément sous Louis.

4 Voulant contenir la noblesse, il prit pour chambrier un certain Bénard, qui acheva de la désespérer.

aux laïques ; mais bientôt Lothaire en Italie, et

Villas regias, quæ erant sui et avi et tritavi, fidelibus suis tradidit eas in possessiones sempiternas: fecit enim hoc diu tempore. Tégan, de Gestis Ludovici Pii.

Hinc libertates, hinc publica in propriis usibus distribuere suasit. (Nitard, livre IV, à la fin.)

3 Rempublicam penitus annullavit. Ibid.
4 Voyez le liv. XXX, chap. XIII.

5 Nous avons eu déjà occasion de remarquer que ce mot n'est plus usité.

6 Hincmar, lettre première à Louis le Bègue.

' Voyez le fragment de la chronique du monastère de SaintSerge d'Angers, dans Duchesne, tom. II, pag. 401.

8 Voyez ce que disent les évêques dans le synode de l'an 845, apud Teudonis villam, art. 4.

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