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Un troisième acte de justice est de priver un prince des avantages qu'il peut tirer de nous, proportionnant toujours la peine à l'offense.

Le quatrième acte de justice, qui doit être le plus fréquent, est la renonciation à l'alliance du peuple dont on a à se plaindre. Cette peine répond à celle du bannissement établi par les tribunaux, qui retranche les coupables de la société. Ainsi un prince à l'alliance duquel nous renonçons est retranché par là de notre société, et n'est plus un de nos membres.

On ne peut pas faire de plus grand affront à un prince que de renoncer à son alliance, ni lui faire de plus grand honneur que de la contracter. Il n'y a rien parmi les hommes qui leur soit plus glorieux et même plus utile que d'en voir d'autres toujours attentifs à leur conservation.

Mais pour que l'alliance nous lie, il faut qu'elle soit juste ainsi une alliance faite entre deux nations pour en opprimer une troisième n'est pas légitime, et on peut la violer sans crime.

Il n'est pas même de l'honneur et de la dignité du prince de s'allier avec un tyran. On dit qu'un monarque d'Égypte fit avertir le roi de Samos de sa cruauté et de sa tyrannie, et le somma de s'en corriger: comme il ne le fit pas, il lui envoya dire qu'il renonçait à son amitié et à son alliance.

La conquête ne donne point un droit par ellemême. Lorsque le peuple subsiste, elle est un gage de la paix et de la réparation du tort; et, si le peuple est détruit ou dispersé, elle est le monument d'une tyrannie.

naturelle par la paix, la peut chercher dans la guerre.

Car la nature, qui a établi les différents degrés de force et de faiblesse parmi les hommes, a encore souvent égalé la faiblesse à la force par le désespoir.

A Paris, le 4 de la lune de Zilhagé, 1716.

LETTRE XCVII.

LE PREMIER EUNUQUE A USBEK.

A Paris.

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Il est arrivé ici beaucoup de femmes jaunes du royaume de Visapour : j'en ai acheté une pour ton frère le gouverneur de Mazenderan, qui m'envoya il y a un mois son commandement sublime et cent tomans.

Je me connais en femmes, d'autant mieux qu'elles ne me surprennent pas, et qu'en moi les yeux ne sont point troublés par les mouvements du cœur.

Je n'ai jamais vu de beauté si régulière et si parfaite ses yeux brillants portent la vie sur son visage et relèvent l'éclat d'une couleur qui pourrait effacer tous les charmes de la Circassie.

Le premier eunuque d'un négociant d'Ispahan la marchandait avec moi; mais elle se dérobait dédaigneusement à ses regards, et semblait chercher les miens, comme si elle avait voulu me dire qu'un vil marchand n'était pas digne d'elle, et qu'elle était destinée à un plus illustre époux.

Les traités de paix sont si sacrés parmi les Je te l'avoue, je sens dans moi-même une joie sehommes, qu'il semble qu'ils soient la voix de la na-crète quand je pense aux charmes de cette belle perture qui réclame ses droits. Ils sont tous légitimes lorsque les conditions en sont telles que les deux peuples peuvent se conserver; sans quoi, celle des deux sociétés qui doit périr, privée de sa défense

VAR. « Le droit de conquête n'est point un droit. Une société ne peut être fondée que sur la volonté des associés; si elle est détruite par la conquête, le peuple redevient libre: il n'y a plus de nouvelle société; et si le vainqueur en veut former, c'est une tyrannie.

A l'égard des traités de paix, ils ne sont jamais légitimes lorsqu'ils ordonnent une cession ou dédommagement plus considérable que le dommage causé: autrement c'est une pure violence, contre laquelle on peut toujours revenir; à moins que, pour ravoir ce qu'on a perdu, on ne soit obligé de se servir de moyens si violents qu'il en arrive un mal plus grand que le bien que l'on en doit retirer.

Voilà, cher Rhédi, ce que j'appelle le droit public; voilà le droit des gens, ou plutôt celui de la raison. »

Cette leçon fut changée par l'auteur dans la dernière édition des Lettres Persanes (1754); mais jusqu'ici sa correction n'a

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sonne il me semble que je la vois entrer dans le sérail de ton frère; je me plais à prévoir l'étonnement de toutes ses femmes, la douleur impérieuse des unes, l'affliction muette mais plus douloureuse des autres, la consolation maligne de celles qui n'espèrent plus rien, et l'ambition irritée de celles qui espèrent encore.

Je vais d'un bout du royaume à l'autre faire changer tout un sérail de face. Que de passions je vais émouvoir! que de craintes et de peines je prépare!

Cependant, dans le trouble du dedans, le dehors ne sera pas moins tranquille; les grandes révolutions seront cachées dans le fond du cœur; les chagrins

On dit que le roi de Maroc a dans son sérail des femmes blanches, des femmes noires, des femmes jaunes. Le malheureux! à peine a-t-il besoin d'une couleur. (Esprit des Lois; liv. XVI, ch. vi.)

seront dévorés, et les joies contenues; l'obéissance ne sera pas moins exacte, et les règles moins inflexibles; la douceur, toujours contrainte de paraître, sortira du fond même du désespoir.

Nous remarquons que plus nous avons de femmes sous nos yeux, moins elles nous donnent d'embarras. Une plus grande nécessité de plaire, moins de facilité de s'unir, plus d'exemples de soumission, tout cela leur forme des chaînes. Les unes sont sans cesse attentives sur les démarches des autres semble que, de concert avec nous, elles travaillent à se rendre plus dépendantes; elles font presque la moitié de notre office, et nous ouvrent les yeux quand nous les fermons. Que-dis? elles irritent sans cesse le maître contre leurs rivales, et elles ne voient pas combien elles se trouvent près de celles qu'on punit.

Tu ne saurais croire jusqu'où ce guide les a conduits. Ils ont débrouillé le chaos, et ont expliqué, par une mécanique simple, l'ordre de l'architecture divine. L'auteur de la nature a donné du mouvement à la matière : il n'en a pas fallu davantage pour produire cette prodigieuse variété d'effets que nous voyons dans l'univers.

Que les législateurs ordinaires nous proposent des lois pour régler les sociétés des hommes, des illois aussi sujettes au changement que l'esprit de ceux qui les proposent et des peuples qui les observent; ceux-ci ne nous parlent que des lois générales, immuables, éternelles, qui s'observent sans aucune exception, avec un ordre, une régularité et une promptitude infinie, dans l'immensité des espaces.

Et que crois-tu, homme divin, que soient ces lois? Tu t'imagines peut-être qu'entrant dans le conseil de l'Éternel, tu vas être étonné par la sublimité des mystères; tu renonces par avance à comprendre, tu ne te proposes que d'admirer. Mais tu changeras bientôt de pensée : elles n'é

Mais tout cela, magnifique seigneur, tout cela n'est rien sans la présence du maître. Que pouvonsnous faire avec ce vain fantôme d'une autorité qui ne se communique jamais tout entière? Nous ne représentons que faiblement la moitié de toi-même; nous ne pouvons que leur montrer une odieuse sé-blouissent point par un faux respect; leur simplivérité. Toi, tu tempères la crainte par les espérances: plus absolu quand tu caresses, que tu ne l'es quand

tu menaces :

Reviens donc, magnifique seigneur, reviens dans ces lieux porter partout les marques de ton empire. Viens adoucir des passions désespérées; viens ôter tout prétexte de faillir; viens apaiser l'amour qui murmure, et rendre le devoir même aimable; viens enfin soulager tes fidèles eunuques d'un fardeau qui s'appesantit chaque jour.

Du sérail d'Ispahan, le 8 de la lune de Zilhagé, 1716.

LETTRE XCVIII.

USBEK A HASSEIN, DERVIS DE LA MONTAGNE
DE JARON.

O toi, sage dervis, dont l'esprit curieux brille de tant de connaissances, écoute ce que je vais te dire.

Il y a ici des philosophes qui, à la vérité, n'ont point atteint jusqu'au faîte de la sagesse orientale; ils n'ont point été ravis jusqu'au trône lumineux; ils n'ont ni entendu les paroles ineffables dont les concerts des anges retentissent, ni senti les formidables accès d'une fureur divine; mais, laissés à eux-mêmes, privés des saintes merveilles, ils suivent dans le silence les traces de la raison humaine.

cité les a fait longtemps méconnaître, et ce n'est qu'après bien des réflexions qu'on en a vu toute la fécondité et toute l'étendue.

La première est que tout corps tend à décrire une ligne droite, à moins qu'il ne rencontre quelque obstacle qui l'en détourne; et la seconde, qui n'en est qu'une suite, c'est que tout corps qui tourne autour d'un centre tend à s'en éloigner, parce que, plus il en est loin, plus la ligne qu'il décrit approche de la ligne droite.

Voilà, sublime dervis, la clef de la nature; voilà des principes féconds dont on tire des conséquences à perte de vue, comme je te le ferai voir dans une lettre particulière.

La connaissance de cinq ou six vérités a rendu leur philosophie pleine de miracles, et leur a fait faire plus de prodiges et de merveilles que tout ce qu'on nous raconte de nos saints prophètes.

Car enfin je suis persuadé qu'il n'y a aucun de nos docteurs qui n'eût été embarrassé, si on lui eût dit de peser dans une balance tout l'air qui est autour de la terre, ou de mesurer toute l'eau qui tombe chaque année sur sa surface; et qui n'eût pensé plus de quatre fois avant de dire combien de lieues ` le son fait dans une heure; quel temps un rayon de lumière emploie à venir du soleil à nous; combien de toises il y a d'ici à Saturne; quelle est la courbe selon laquelle un vaisseau doit être taillé pour être le meilleur voilier qu'il soit possible.

Peut-être que si quelque homme divin avait orné les ouvrages de ces philosophes de paroles hautes et sublimes, s'il y avait mêlé des figures hardies et des allégories mystérieuses, il aurait fait un bel ouvrage qui n'aurait cédé qu'au saint Alcoran.

Cependant, s'il te faut dire ce que je pense, je ne m'accommode guère du style figuré. Il y a dans notre Alcoran un grand nombre de choses puériles qui me paraissent toujours telles, quoiqu'elles soient relevées par la force et la vie de l'expression. Il semble d'abord que les livres inspirés ne sont que les idées divines rendues en langage humain; au contraire, dans nos livres saints, on trouve le langage de Dieu et les idées des hommes: comme si, par un admirable caprice, Dieu y avait dicté les paroles, et que l'homme eût fourni les pensées.

Tu diras peut-être que je parle trop librement de ce qu'il y a de plus saint parmi nous; tu croiras que c'est le fruit de l'indépendance où l'on vit dans ce pays. Non: grâces au ciel, l'esprit n'a pas corrompu le cœur; et tandis que je vivrai, Hali sera mon prophète.

De Paris, le 15 de la lune de Chahban, 1716.

LETTRE XCIX.

USBEK A IBBEN.

A Smyrne.

Il n'y a point de pays au monde où la fortune soit si inconstante que dans celui-ci. Il arrive tous les dix ans des révolutions qui précipitent le riche dans la misère, et enlèvent le pauvre avec des ailes rapides au comble des richesses. Celui-ci est étonné de sa pauvreté, celui-là l'est de son abondance. Le nouveau riche admire la sagesse de la Providence; le pauvre, l'aveugle fatalité du destin.

Ceux qui lèvent les tributs nagent au milieu des trésors: parmi eux il y a peu de Tantales. Ils commencent pourtant ce métier par la dernière misère. Ils sont méprisés comme de la boue pendant qu'ils sont pauvres; quand ils sont riches, on les estime assez aussi ne négligent-ils rien pour acquérir de l'estime.

Ils sont à présent dans une situation bien terrible. On vient d'établir une chambre qu'on appelle de justice, parce qu'elle va leur ravir tout leur bien. Ils ne peuvent ni détourner ni cacher leurs effets; car on les oblige de les déclarer au juste, sous peine de la vie : ainsi on les fait passer

par un défilé bien étroit, je veux dire entre la vie et leur argent. Pour comble d'infortune, il y a un ministre connu par son esprit, qui les honore de ses plaisanteries, et badine sur toutes les délibérations du conseil. On ne trouve pas tous les jours des ministres disposés à faire rire le peuple; et l'on doit savoir bon gré à celui-ci de l'avoir entrepris.

Le corps des laquais est plus respectable en France qu'ailleurs : c'est un séminaire de grands seigneurs; il remplit le vide des autres états. Ceux qui le composent prennent la place des grands malheureux, des magistrats ruinés, des gentilshommes tués dans les fureurs de la guerre; et quand ils ne peuvent pas suppléer par eux-mêmes, ils relèvent toutes les grandes maisons par le moyen de leurs filles, qui sont comme une espèce de fumier qui engraisse les terres montagneuses et arides.

Je trouve, Ibben, la Providence admirable dans la manière dont elle a distribué les richesses. Si elle ne les avait accordées qu'aux gens de bien, on ne les aurait pas assez distinguées de la vertu, et on n'en aurait plus senti tout le néant. Mais, quand on examine qui sont les gens qui en sont les plus chargés; à force de mépriser les riches, on vient enfin à mépriser les richesses.

A Paris, le 26 de la lune de Maharram, 1717.

LETTRE C.

RICA A RHÉDI.

A Venise.

Je trouve les caprices de la mode, chez les Français, étonnants. Ils ont oublié comment ils étaient habillés cet été ; ils ignorent encore plus comment ils le seront cet hiver: mais surtout on ne saurait croire combien il en coûte à un mari pour mettre sa femme à la mode.

Que me servirait de te faire une description exacte de leur habillement et de leurs parures? une mode nouvelle viendrait détruire tout mon ouvrage, comme celui de leurs ouvriers; et avant que tu eusses reçu ma lettre, tout serait changé.

Une femme qui quitte Paris pour aller passer six mois à la campagne en revient aussi antique que si elle s'y était oubliée trente ans. Le fils méconnaît le portrait de sa mère, tant l'habit avec lequel elle est peinte lui paraît étranger; il s'ima'gine que c'est quelque Américaine qui y est représentée, ou que le peintre a voulu exprimer quelqu'une de ses fantaisies.

Quelquefois les coiffures montent insensiblement, | et une révolution les fait descendre tout à coup. Il a été un temps que leur hauteur immense mettait le visage d'une femme au milieu d'elle-même : dans un autre, c'étaient les pieds qui occupaient cette place; les talons faisaient un piedestal qui les tenait en l'air. Qui pourrait le croire? les architectes ont été souvent obligés de hausser, de baisser, et d'élargir leurs portes, selon que les parures des femmes exigeaient d'eux ce changement; et les règles de leur art ont été asservies à ces fantaisies. On voit quelquefois sur un visage une quantité prodigieuse de mouches, et elles disparaissent toutes le lendemain. Autrefois les femmes avaient de la taille et des dents; aujourd'hui il n'en est pas question. Dans cette changeante nation, quoi qu'en dise le critique, les filles se trouvent autrement faites que leurs mères.

Il en est des manières et de la façon de vivre comme des modes: les Français changent de mœurs selon l'âge de leur roi. Le monarque pourrait même parvenir à rendre la nation grave, s'il l'avait entrepris. Le prince imprime le caractère de son esprit à la cour, la cour à la ville, la ville aux provinces. L'âme du souverain est un moule qui donne la forme à

toutes les autres.

A Paris, le 8 de la lune de Saphar, 1717.

LETTRE CI.

RICA AU MÊME.

Je te parlais l'autre jour de l'inconstance prodigieuse des Français sur leurs modes: Cependant il est inconcevable à quel point ils en sont entêtés : c'est la règle avec laquelle ils jugent de tout ce qui se fait chez les autres nations; ils y rappellent tout: ce qui est étranger leur paraît toujours ridicule. Je t'avoue que je ne saurais guère ajuster cette fureur pour leurs costumes avec l'inconstance avec laquelle ils en changent tous les jours.

Quand je te dis qu'ils méprisent tout ce qui est étranger, je ne te parle que des bagatelles; car, sur les choses importantes, ils semblent s'être méfiés d'eux-mêmes jusqu'à se dégrader. Ils avouent de bon cœur que les autres peuples sont plus sages, pourvu qu'on convienne qu'ils sont mieux vêtus; ils veulent bien s'assujettir aux lois d'une nation rivale, pourvu que les perruquiers français décident en législateurs sur la forme des perruques étrangères. Rien ne leur paraît si beau que de voir

le goût de leurs cuisiniers régner du septentrion au midi, et les ordonnances de leurs coiffeuses portées dans toutes les toilettes de l'Europe.

Avec ces nobles avantages, que leur importe que le bon sens leur vienne d'ailleurs, et qu'ils aient pris de leurs voisins tout ce qui concerne le gouvernement politique et civil?

Qui peut penser qu'un royaume, le plus ancien et le plus puissant de l'Europe, soit gouverné, depuis plus de dix siècles, par des lois qui ne sont pas faites pour lui? Si les Français avaient été conquis, ceci ne serait pas difficile à comprendre; mais ils sont les conquérants.

Ils ont abandonné les lois anciennes, faites par leurs premiers rois dans les assemblées générales de la nation; et ce qu'il y a de singulier, c'est que les lois romaines, qu'ils ont prises à la place, étaient en partie faites et en partie rédigées par des empereurs contemporains de leurs législateurs.

Et afin que l'acquisition fût entière, et que tout le bon sens leur vînt d'ailleurs, ils ont adopté toutes les constitutions des papes, et en ont fait une nouvelle partie de leur droit nouveau genre de servitude.

Il est vrai que, dans les derniers temps, on a rédigé par écrit quelques statuts des villes et des provinces; mais ils sont presque tous pris du droit romain.

Cette abondance de lois adoptées, et, pour ainsi dire, naturalisées, est si grande qu'elle accable également la justice et les juges. Mais ces volumes de lois ne sont rien en comparaison de cette armée effroyable de glossateurs, de commentateurs, de tesse de leur esprit qu'ils sont forts par leur nombre compilateurs, gens aussi faibles par le peu de jusprodigieux.

Ce n'est pas tout ces lois étrangères ont introduit des formalités qui sont la honte de la raison humaine. Il serait assez difficile de décider si la forme s'est rendue plus pernicieuse, lorsqu'elle est entrée dans la jurisprudence, ou lorsqu'elle s'est logée dans la médecine; si elle a fait plus de ravages sous la robe d'un jurisconsulte que sous le large chapeau d'un médecin; et si dans l'une elle a plus ruiné de gens qu'elle n'en a tué dans l'autre.

De Paris, le 12 de la lune de Saphar, 1717.

LETTRE CII.

USBEK A ***.

fassent part de leur frayeur plutôt que de leur amitié.

La plupart des gouvernements d'Europe sont On parle toujours ici de la constitution. J'entrai monarchiques, ou plutôt sont ainsi appelés : car je l'autre jour dans une maison où je vis d'abord un ne sais pas s'il y en a jamais eu véritablement de gros homme avec un teint vermeil, qui disait d'une tels; au moins est-il impossible qu'ils aient subsisté voix forte : J'ai donné mon mandement; je n'irai longtemps dans leur pureté. C'est un état violent point répondre à tout ce que vous dites; mais li- qui dégénère toujours en despotisme ou en répusez-le, ce mandement, et vous verrez que j'y ai ré-blique. La puissance ne peut jamais être également solu,tous vos doutes. Il m'a fallu bien suer pour le faire, dit-il en portant la main sur le front: j'ai

eu besoin de toute ma doctrine; et il m'a fallu lire bien des auteurs latins. Je le crois, dit un homme qui se trouva là, car c'est un bel ouvrage; et je défie ce jésuite qui vient si souvent vous voir d'en faire un meilleur. Eh bien, lisez-le donc, reprit-il, et vous serez plus instruit sur ces matières dans un quart d'heure que si je vous en avais parlé deux heures. Voilà comme il évitait d'entrer en conversation et de commettre sa suffisance. Mais, comme il se vit pressé, il fut obligé de sortir de ses retranchements; et il commença à dire théologiquement force sottises, soutenu d'un dervis qui les lui rendait très-respectueusement. Quand deux hommes qui étaient là lui niaient quelque principe, il disait d'abord : Cela est certain, nous l'avons jugé ainsi; et nous sommes des juges infaillibles. Et comment, lui dis-je pour lors, êtes-vous des juges infaillibles? Ne voyezvous pas, reprit-il, que le Saint-Esprit nous éclaire? Cela est heureux, lui répondis-je, car de la manière dont vous avez parlé tout aujourd'hui, je reconnais que vous avez grand besoin d'être éclairé.

A Paris, le 18 de la lune de Rebiab 1, 1717.

LETTRE CIII.

USBEK A IBBEN.

A Smyrne.

Les plus puissants États de l'Europe sont ceux de l'empereur, des rois de France, d'Espagne, et d'Angleterre. L'Italie et une grande partie de l'Allemagne sont partagées en un nombre infini de petits États, dont les princes sont, à proprement parler, les martyrs de la souveraineté. Nos glorieux sultans ont plus de femmes que la plupart de ces princes n'ont de sujets. Ceux d'Italie, qui ne sont pas si unis, sont plus à plaindre; leurs États sont ouverts comme des caravansérails, où ils sont obligés de loger les premiers qui viennent : il faut donc qu'ils s'attachent aux grands princes, et leur

partagée entre le peuple et le prince; l'équilibre est trop difficile à garder : il faut que le pouvoir diminue d'un côté pendant qu'il augmente de l'autre ; mais l'avantage est ordinairement du côté du prince, qui est à la tête des armées.

Aussi le pouvoir des rois d'Europe est-il bien grand, et on peut dire qu'ils l'ont tel qu'ils le veulent; mais ils ne l'exercent point avec tant d'étendue que nos sultans: premièrement, parce qu'ils ne veulent point choquer les mœurs et la religion des peuples; secondement, parce qu'il n'est pas de leur intérêt de le porter si loin.

Rien ne rapproche plus les princes de la condition de leurs sujets que cet immense pouvoir qu'ils exercent sur eux; rien ne les soumet plus aux revers et aux caprices de la fortune.

L'usage où ils sont de faire mourir tous ceux qui leur déplaisent, au moindre signe qu'ils font, renverse la proportion qui doit être entre les fautes et les peines, qui est comme l'âme des États et l'harmonie des empires; et cette proportion, scrupuleusement gardée par les princes chrétiens, leur donne un avantage infini sur nos sultans.

Un Persan qui, par imprudence ou par malheur, s'est attiré la disgrâce du prince, est sûr de mourir la moindre faute ou le moindre caprice le met dans cette nécessité. Mais s'il avait attenté à la vie de son souverain, s'il avait voulu livrer ses places aux ennemis, il en serait quitte aussi pour perdre la vie : il ne court donc pas plus de risque dans ce dernier cas que dans le premier.

Aussi dans la moindre disgrâce, voyant la mort certaine, et ne voyant rien de pis, il se porte naturellement à troubler l'État, et à conspirer contre le souverain, seule ressource qui lui reste.

Il n'en est pas de même des grands d'Europe, à qui la disgrâce n'ôte rien que la bienveillance et la faveur. Ils se retirent de la cour, et ne songent qu'à jouir d'une vie tranquille et des avantages de leur naissance. Comme on ne les fait guère périr que pour le crime de lèse-majesté, ils craignent d'y tomber, par la considération de ce qu'ils ont à perdre, et du peu qu'ils ont à gagner, ce qui fait qu'on voit

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