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une production irritante, incessante et bâtarde, et les seconds, impuissants à s'arracher à la torpeur de leur esprit frappé d'une stérilité incurable! En même temps que d'obstacles à franchir! Que de barrières à renverser! Quelle cohue et quel tumulte autour de celui qui produit, à droite et à gauche de celui qui marche, au-devant de celui qui veut avancer et qui crie en vain au sceptique: << Ote-toi de mon soleil!» Le sceptique étalant ses haillons et ses plaies, ses stérilités et ses mensonges, ses trahisons et ses cantiques au soleil des honnêtes gens !

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Ah! quand j'y pense, et quand au détour du sentier je puis juger du chemin parcouru, quand je vois autour de moi ces ruines, ces tombeaux, ces débris, ces délires, ces mensonges, ces hóntes, ces échecs, ces naufrages, ces malheurs sans nom et sans fin, et quand je vous appelle, ô chères mémoires, sourdes à ma voix, il me semble que moi aussi me voilà dans l'abîme, dans la nuit et dans le cercueil ouverts avant l'heure! Hélas! Toi-même, à cette heure, ô deuil et douleur qui n'aura plus de fin, tu ne réponds plus à ma voix, et je t'appelle en vain à mon aide, mon mon maître et mon ami, Armand Bertin, à qui ce livre était dédié!

Eh! me voilà seul! Me voilà abandonné à moi-même! Me voilà pris de vertige! Il me semble que je suis frappé à mon tour, que ma raison est partie, et qu'au fond de l'abîme en vain j'appelle; on ne m'entend pas ! On ne m'entend plus ! Hélas! j'ai perdu mon idole, et j'ai perdu ma confiance! En ce moment je ne suis plus qu'une âme en peine de sa vie, un esprit délaissé, un voyageur aveuglé! Il n'est plus là pour me pousser à bien faire mon juge éclairé, mon sage et prudent conseil, qui depuis vingt ans, suivait, la plume à la main, les pages que j'écrivais, pour ainsi dire, sous sa dictée; il n'est plus là me louant parfois, m'arrêtant souvent, m'encourageant toujours!

Esprit ingénieux, si fin et si droit tout ensemble; ami tendre et dévoué, sévère et charitable; aussi heureux d'admirer ce qui était noble et beau, que prompt à blâmer ce qui était lâche et vil! Incapable non-seulement d'une action mauvaise, mais d'une mauvaise pensée, et si juste et si droit en toute chose, avec des grâces qui le faisaient aimer même dans sa sévérité et dans son blâme! Ah! cher maître! ah! bel esprit dont le souffle est le souffle même de ce livre, où sa trace savante se retouvera

je l'espère! Ah! digne successeur et continuateur de M. Bertin l'aîné, mon second père!..... J'avais tant résolu de ne pas parler de toi dans ce tome attendu par toi, et d'attendre plus tard afin de terminer par ton nom, cher Armand, et par le nom de ton glorieux père, ce monument de mes trente années de travail littéraire, qui commence par ton nom, qui finira par ton nom...

J'ai beau faire, en vain je veux l'éloigner de mon esprit, cette image fidèle, elle revient toujours. Il est sous mes yeux, comme il est dans mon cœur, ce grand journaliste, l'honneur et la gloire impérissable du journal, dans toute l'Europe libérale; il me voit, il m'entend, il m'écoute, esprit ferme, honnête cœur, intelligence exercée avec tous les caractères du galant homme !

Il allait si bien à ma vie, il convenait si fort à mon humble esprit! Il était la justice même... avec un rare penchant à aimer tout ce qui était bon, à applaudir ce qui était beau. Quelle gloire n'a-t-il pas devinée et pressentie? à quelle renommée a manqué sa bonne volonté toute-puissante? Dans tous les arts, quels noms a-t-il négligés qu'il fallait produire au grand jour ? Demandez-le à M. Ingres, demandez-le à M. Meyerbeer? M. Victor Hugo était son frère adoptif. Victor Hugo, M. Ingres, Meyerbeer, ses trois gloires; le cercle agrandi par lui dont il était le centre! S'il avait eu dans ses nobles mains trois couronnes, il leur eût décerné ces trois couronnes! Il abhorrait le charlatanisme et les charlatans en toute chose; il voulait que l'art fût sérieux et que la louange aussi fût sérieuse.

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Avec ce tact exquis, mêlé de gaieté gauloise, qu'il avait puisé dans l'étude et l'admiration de nos vieux écrivains, il se moquait des plagiaires, des vantards, des vaniteux, des renégats; il aimait avant tout ce qui était simple et vrai, mais la recherche et le marivaudage ne lui déplaisaient pas toujours; il était facile à vivre et difficile à convaincre; il croyait à peu d'hommes, à peu de choses, et il en supportait un grand nombre avec une exquise tolérance. Il se connaissait en tout ce qui valait la peine d'être connu, les beaux tableaux, la belle musique, les grands comédiens, les grands chanteurs. C'est lui qui a forcé le grand Opéra de Paris à donner Robert le Diable au monde attentif! Comme il était à l'œuvre tout le jour et tous les jours, jusqu'au matin, on ne se doutait guère qu'il pût être au courant de tout ce

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qui s'écrivait en France, en Angleterre, en Allemagne et partout... Il avait sur nous tous un grand avantage... un grand malheur il ne dormait pas, et ces nuits d'insomnie abominable, il les consacrait à l'étude, si bien qu'il savait, le premier, tout ce qu'il fallait savoir; et c'étaient autour de lui des étonnements à n'en pas finir!

Ah! chère ombre, qui seras toujours pour nous un souvenir, une gloire, un culte !

Et songer que durant tant d'années il a été notre ami, notre gloire et notre exemple, avec un tact merveilleux, un zèle infatigable, une grâce ingénieuse; une âme si égale aux jours prospères, si dévouée aux heures dangereuses, patiente, affable et calme; un philosophe, un sage! Il était clément, il était facile, il était juste, il était dédaigneux des hochets et des fanfreluches de la gloire humaine! Il jugeait les hommes de trèshaut; il a vécu, il est mort fidèle à ses haines, à ses admirations, à ses amitiés, à ses amours! Noble tête qui ne s'est jamais courbée, qui n'a obéi qu'à des convictions! Il est mort! Il est mort! Nous ne le verrons plus! Nous ne le verrons plus ! Est-ce possible, est-ce juste, est-ce vrai? O mort incroyable! ô deuil universel! ô mémoire entourée au plus haut degré de la sympathie et du respect des honnêtes gens ! Et combien je t'aimais, ô toi, le juge absolu de mon discours, mon cher ami, mon cher patron, Armand Bertin!

Primâ dicte mihi summâ dicende camœnâ.

FIN DU TOME TROISIÈME.

TABLE DES MATIÈRES

CONTENUES DANS LE TOME TROISIÈME.

CHAPITRE PREMIER.

Histoire de l'art moderne.

tine.

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Le goût et l'ordre. Que l'art de

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La cantate de M. Casi-

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« L'avenir de la presse,» par M. de Lamar-
Les images du Théâtre-Français. - Les affinités de l'éloquence et
du drame. La tribune et le théâtre.
rhétorique a ses mystères. La vie et la ruine.
mir Delavigne. Les grâces de la révolution de Juillet. - Définition du
bourgeois, par M. Thiers et par M. le colonel Bugeaud. - Une dissertation
grammaticale à la chambre des députés. Les hommes politiques et les
hommes littéraires. Les trois professeurs de la Sorbonne. M. Guizot,
M. Cousin, M. Villemain. - Les jeunes gens et les anciens. M. Nodier,
M. de Lamennais, M. de Metternich. - Le comte Rossi, Sylvio Pellico.
Henri Heine, M. Sainte-Beuve. Fondation de l'Artiste. Versailles.
M. Gros, Sigalon. Léopold Robert. Antonin Moine. Alfred et
Tony Johannot.

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Que l'on ne peut pas isoler le drame et l'histoire.
après 1830. Le Dictionnaire de l'Académie.
pereur et la colonne.

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La Renaissance
- Un bal à l'Opéra. — L'em-
Les nouveaux préfets. Les saints-simoniens.
Le Mapa. Caprée et Tibère. Les morts après Juillet.

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stant et sa proclamation. — Benjamin Constant aux Champs-Elysées, par
Étienne Béquet.
Les obsèques de madame de Genlis. M. Fauvelet de
Le fils de Marmontel à l'hôpital. Un poëte épique. —
M. de la Mesangère et M. d'Ho-

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Les Dangers de la vie littéraire, par M. Saint-Marc Girar-

din. Le désordre en littérature et le châtiment des succès. trop ra-

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pides. Pages.

59 à 69

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