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vie circulaire; il suivit la ligne de l'infini, et tendit sans déviation vers le centre unique pour s'y plonger dans sa vie éternelle, pour y recevoir dans ses facultés et daus son essence le pouvoir de jouir par l'amour, et le don de comprendre par la sagesse.

Le spectacle qui se dévoila soudain aux yeux des deux voyants les écrasa sous son immensité, car ils se sentaient comme des points dont la petitesse ne pouvait se comparer qu'à la moindre fraction que l'infini de la divisibilité permette à l'homme de concevoir, mise en présence de l'infini des nombres que Dieu seul peut envisager comme il s'envisage lui-même.

Quel abaissement et quelle grandeur en ces deux points, la force et l'amour, que le premier désir du séraphin plaçait comme deux anneaux pour unir l'immensité des univers inférieurs à l'immensité des univers supérieurs!

Ils comprirent les invisibles liens par lesquels les mondes matériels se rattachaient aux mondes spirituels. En se rappelant les sublimes efforts des plus beaux génies humains, ils trouvèrent le principe des mélodies en entendant les chants du ciel qui donnaient les sensations des couleurs, des parfums, de la pensée, et qui rappelaient les innombrables détails de toutes les créations, comme un chant de la terre ranime d'infirmes souvenirs d'amour.

Arrivés par une exaltation inouïe de leurs facultés à un point sans nom dans le langage, ils purent jeter pendant un moment les yeux sur le monde divin. Là était la fête.

Des myriades d'anges accoururent tous du même vol, sans confusion, tous pareils, tous dissemblables, simples comme la rose des champs, immenses comme les mondes.

Wilfrid et Minna ne les virent ni arriver ni s'enfuir, ils ensemencèrent soudain l'infini de leur présence, comme les étoiles brillent dans l'indiscernable éther.

Le scintillement de leurs diadèmes réunis s'alluma dans les espaces, comme les feux du ciel au moment où le jour paraît dans nos montagnes.

De leurs chevelures sortaient des ondes de lumière, et leurs mouvements excitaient des frémissements onduleux semblables aux flots d'une mer phosphorescente.

Les deux voyants aperçurent le séraphin tout obscur au milieu des légions immortelles dont les ailes étaient comme l'immense panache des forêts agitées par une brise.

Aussitôt, comme si toutes les flèches d'un carquois s'élançaient ensemble, les esprits chassèrent d'un souffle les vestiges de son ancienne forme; à mesure que inontait le séraphin, il devenait plus pur; bientôt, il ne leur sembla qu'un léger dessin de ce qu'ils avaient vu quand il s'était transfiguré : des lignes de feu sans ombre.

Il montait, recevait de cercle en cercle un don nouveau; puis le signe de son élection ́se transmettait à la sphère supérieure, où il montait toujours purifié.

Aucune des voix ne se taisait, l'hymne se propageait dans tous ses modes.

Salut à qui monte vivant! Viens fleur des mondes! diamant sorti « du feu des douleurs! perle sans tache, désir sans chair, lien nou« veau de la terre et du ciel, sois lumière! Esprit vainqueur, reine « du monde, vole à ta couronne! triomphaleur de la terre, preuds « ton diademe! Sois à nous! »

Les vertus de l'ange reparaissaient dans leur beauté.

Son premier désir du ciel reparut gracieux comme une verdissante enfance.

Comme autant de constellations, ses actions se décorèrent de leur éclat.

Ses actes de foi brillèrent comme l'hyacinthe du ciel, couleur du feu sidéral.

La charité lui jeta ses perles orientales, belles larmes recueillies! L'amour divin l'entoura de ses roses, et sa résignation pieuse lui enleva par sa blancheur tout vestige terrestre.

Aux yeux de Wilfrid et de Minna, bientôt il ne fut plus qu'un point de flamme qui s'avivait toujours et dont le mouvement se perdait dans la mélodieuse acclamation qui célébrait sa venue au ciel. Les célestes accents firent pleurer les deux bannis.

Tout à coup un silence de mort, qui s'étendit comme un voile som bre de la première à la dernière sphère, plongea Wilfrid et Minna dans une indicible attente.

En ce moment, le séraphin se perdait au sein du sanctuaire où il reçut le don de vie éternelle.

Il se fit un mouvement d'adoration profonde qui remplit les deux voyants d'une extase mêlée d'effroi.

Ils sentirent que tout se prosternait dans les sphères divines, dans les sphères spirituelles et dans les mondes de ténèbres.

Les anges fléchissaient le genou pour célébrer sa gloire, les esprits fléchissaient le genou pour attester leur impatience; on fléchissait le genou dans les abîmes en frémissant d'épouvante.

Un grand cri de joie jaillit comme jaillirait une source arrêtée qui recommence ses milliers de gerbes florissantes où se joue le soleil en parsemant de diamants et de perles les gouttes lumineuses, à l'instant où le séraphin reparut flamboyant et cria: ETERNEL! ETERNEL! ETERNEL!

Les univers l'entendirent et le reconnurent; il les pénétra comme Dieu les pénètre, et prit possession de l'infini.

Les sept mondes divins s'émurent à sa voix et lui répondirent. En ce moment il se fit un grand mouvement comme si des astres entiers purifiés s'élevaient en d'éblouissantes clartés devenues éternelles.

Peut-être le séraphin avait-il reçu pour première mission d'appeler, à Dieu les créations pénétrées par la parole?

Mais déjà l'ALLELUIA sublime retentissait dans l'entendemen' de Wilfrid et de Minna, comme les dernières ondulations d'une musique finie.

Déjà les lueurs célestes s'abolissaient comme les teintes d'un soleil qui se couche dans ses langes de pourpre et d'or. L'impur et la mort ressaisissaient leur proie.

En rentrant dans les liens de la chair, dont leur esprit avait momentanément été dégagé par un sublime sommeil, les deux mortels se sentaient comme au matin d'une nuit remplie par de brillants rêves dont le souvenir voltige en l'àme, mais dont la conscience est refusée au corps, et que le langage humain ne saurait exprimer. La nuit profonde dans les limbes de laquelle ils roulaient était la sphère où se meut le soleil des mondes visibles.

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Descendons là-bas, dit Wilfrid à Minna.

Faisons comme il a dit, répondit-elle. Après avoir vu les mondes en marche vers Dieu, nous connaissons le bon sentier. Nos diadèmes d'étoiles sont là-haut.

Ils roulèrent dans les abîmes, rentrèrent dans la poussière des mondes inférieurs, virent tout à coup la terre comme un lieu souterrain dont le spectacle leur fut éclairé par la lumière qu'ils rapportaient en leur âme et qui les environnait encore d'un nuage où se répétaient vaguement les harmonies du ciel en se dissipant. Ce spectacle était celui qui frappa jadis les yeux intérieurs des prophètes. Ministres des religions diverses, toutes prétendues vraies, rois tous consacrés par la force et par la terreur, guerriers et grands se partageant mutuellement les peuples, savants et riches au-dessus d'une foule bruyante et souffrante qu'ils broyaient bruyamment sous leurs pieds; tous étaient accompagnés de leurs serviteurs et de leurs fem. mes, tous étaient vêtus de robes d'or, d'argent, d'azur, couverts de perles, de pierreries arrachées aux entrailles de la terre, dérobées au fond des mers, et pour lesquelles l'humanité s'était pendant longtemps employée, en suant et blasphémant. Mais ces richesses et ces splendeurs construites de sang furent comme de vieux haillons aux yeux des deux proscrits.

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-Vous conduisez les nations à la mort, leur dit Wilfrid. Vous avez adultéré la terre, dénaturé la parole, prostitué la justice. Après avoir mangé l'herbe des pâturages, vous tuez maintenant les brebis. Vous croyez-vous justifiés en montrant vos plaies? Je vais avertir ceux de mes frères qui peuvent encore entendre la voix, afin qu'ils puissent aller s'abreuver aux sources que vous avez cachées.

Réservons nos forces pour prier, lui dit Minna; tu n'as ni la mission des prophètes, ni celle du réparateur, ni celle du messager. Nous ne sommes encore que sur les confins de la première sphère, essayons de franchir les espaces sur les ailes de la prière.

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A HENRI DE BALZAC,

Son frère,

HONORÉ.

Le comte de Fontaine, chef de l'une des plus anciennes familles du Poitou, avait servi la cause des Bourbons avec intelligence et courage pendant la guerre que les Vendécns firent à la République. Après avoir échappé à tous les dangers qui menacèrent les chefs royalistes durant cette orageuse époque de l'histoire contemporaine, il disait gaiement : Je suis un de ceux qui se sont fait tuer sur les marches du trône! Cette plaisanterie n'était pas sans quelque vérité pour un homme laissé parmi les morts à la sanglante journée des Quatre - Chemins. Quoique ruiné par des confiscations, ce fidèle Vendéen refusa constamment les places lucratives que lui fit of frir l'empereur Napoléon. Invariable dans sa religion aristocratique, il en avait

tionnaire, qui mettait cette alliance à haut prix, il épou sa une demoiselle de Kergarouët, sans fortune, mais dont la famille est une des plus vieilles de la Bretagne.

La Restauration surprit M. de Fontaine chargé d'une nombreuse famille. Quoiqu'il n'entrât pas dans les idées du généreux gentilhomme de solliciter des graces, il céda néanmoins aux désirs de sa femme, quitta son domaine, dont le revenu modique suffisait à peine aux besoins de ses enfants, et vint à Paris. Contristé de l'avidité avec laquelle ses anciens camarades faisaient curée des places et des dignités constitutionnelles, il allait retourner à sa terre, lorsqu'il reçut une lettre ministérielle, par laquelle une Excellence assez connue lui annonçait sa nomination au grade de maréchal de camp, en vertu de l'ordonnance qui permettait aux officiers des armées catholiques de compter les vingt premieres années inédites du règne de Louis XVIII comme années de service. Quelques jours après, le Vendéen reçut encore, sans aucune sollicitation, et d'office, la croix de l'ordre de la Légion d'honneur et celle de Saint-Louis. Ebranlé dans sa résolution par ces grâces successives,

Emilie de Fontaine.

aveuglément suivi les maximes quand il jugea convenable de se choisir une compagne. Malgré les séductions d'un riche parvenu révolu420 Paris - Imp. Simen Haçon et Cis, rue d'Erfurt', 1.

qu'il crut devoir au souvenir du monarque, il ne se contenta plus de mener sa famille, comme il l'avait pieusement fait chaque dimanche, crier: Vive le roi dans la salle des maréchaux, aux Tuileries quand les princes se rendaient à la chapelle, il sollicita la faveur d'une entrevue particulière. Cette audience, très-promptement accordée, n'eut rien de particulier. Le salon royal était plein de vieux serviteurs dont les têtes poudrées, vues d'une certaine hauteur, ressemblaient à un tapis de neige.

Là, le gentilhomme retrouva d'anciens compagnons qui le reçurent d'un air un pen froid; mais les princes lui parurent adorables, expression d'enthousiasme qui lui échappa quand le plus gracieux de ses maîtres, de qui le comte ne se croyait connu que de nom, vint lui serrer la main et le proclama le plus pur des Vendéens. Malgré cette ovation, aucune de ces augustes personnes n'eut l'idée de lui demander le compte de ses pertes ni celui de l'argent si généreusement versé dans les caisses de l'armée catholique. Il s'aperçut, un peu tard, qu'il avait fait la guerre à ses dépens. Vers la fin de la soirée, il crut pouvoir hasarder une spirituelle allusion à l'état de ses affaires, sen blable à celui de bien des gentilshommes. Sa Majesté se prit à rire d'assez bon cœur, toute parole marquée au coin de l'esprit avait le don de lui plaire; mais elle répliqua néanmoins par une de ces royales plaisanteries dont la douceur est plus à craindre que la colère d'une réprimande.

Un des plus intimes confidents du roi ne tarda pas à s'approcher du Vendéen calculateur, auquel il fit entendre, par une phrase fine et polie, que le moment n'était pas encore venu de compter avec les maires: il se trouvait sur le tapis des mémoires beaucoup plus arriérés que le sien, et qui devaient sans doute servir à l'histoire de la Revolution.

Le comte sortit prudemment du groupe vénérable qui décrivait un respectueux demi-cercie devant l'auguste famille. Puis, après avoir, non sans peine, dégagé son épée parmi les jambes grêles où elle s'était engagée. il regagna pédestrement à travers la cour des Tuileries le fiacre qu'il avait laissé sur le quai. Avec cet esprit rétif qui distingue la noblesse de vieille roche chez laquelle le souvenir de la Ligue et des Barricades n'est pas encore éteint, il se plaiguit dans son fiacre, à haute voix et de manière à se compromettre, sur le changement survenu à la cour. -- Autrefois, se disait-il, chacun parlait librement au roi de ses petites affaires, les seigneurs pouvaient à leur aise lui demander des graces et de l'argent, et aujourd'hui l'on n'obtiendra pas, sans scandale, le remboursement des sommes avancées pour son service! Morbleu! la croix de Saint-Louis et le grade de maréchal de camp ne valent pas trois cent mille livres que j'ai, bel et bien, dépensées pour la cause royale. Je veux reparler au roi, en face, et dans son cabinet.

Cette scène refroidit d'autant plus le zèle de M. de Fontaine, que ses demandes d'audience resterent constamment sans réponse. Il vit d'ailleurs les intrus de l'Empire arrivant à quelques-unes des charges réservées sous l'ancienne monarchie aux meilleures maisons.

- Tout est perdu, dit-il un matin. Décidément, le roi n'a jamais été qu'un révolutionnaire. Sans Monsieur, qui ne déroge pas et console ses fideles serviteurs, je ne sais en quelles mains irait un jour la couronne de France, si ce régime continuait. Leur maudit systeme constitutionnel est le plus mauvais de tous les gouvernements, et ne pourra jamais couvenir à la France. Louis XVill et M. Beugnot nous ont tout gaté à Saint-Ouen.

Le comte, désespéré, se préparait à retourner à sa terre, en abandonnant avec noblesse ses prétentions à toute indemnité. En ce mo ment, les événements du 20 mars annoncèrent une nouvelle tempête qui menaçait d'engloutir le roi légitime et ses défenseurs.

Semblable à ces gens généreux qui ne renvoient pas un serviteur par un temps de pluie, M. de Fontaine emprunta sur sa terre pour suivre la monarchie en déroute, sans savoir si cette complicité d'émigration lui serait plus propice que ne l'avait été son dévouement passé; mais, après avoir observé que les compagnons de l'exil étaient plus en faveur que les braves qui, jadis, avaient protesté, les armes à la main, contre l'établissement de la République, peut-être espérat-il trouver dans ce voyage à l'étranger plus de profit que dans un service actif et périlleux à l'intérieur. Ses calculs de courtisan ne furent pas une de ces vaines spéculations qui promettent sur le papier des résultats superbes, et ruinent par leur exécution. Il fut done, selon le mot du plus spirituel et du plus habile de nos diplomates, un des cinq cents fideles serviteurs qui partagèrent l'exil de la cour à Gand, et l'un des cinquante mille qui en reviurent.

Pendant cette courte absence de la royauté, M. de Fontaine eut le bonheur d'être employé par Louis XVIII, et rencontra plus d'une occasion de donner au roi les preuves d'une grande probité politique et d'un attachement sincère. Un soir que le monarque n'avait rien de mieux à faire, il se souvint du bon mot dit par M. de Fontaine aux Tuileries. Le vieux Vendéen ne laissa pas échapper un tel à-propos, et raconta son histoire assez spirituellement pour que ce roi, qui

n'oubliait rien, pût se la rappeler en temps utile. L'auguste littérateur remarqua la tournure fine donnée à quelques notes dont la rédaction avait été confiée au discret gentilhomme. Ce petit mérite inscrivit M. de Fontaine, dans la mémoire du roi, parmi les plus loyaux serviteurs de sa couronne.

Au second retour, le comte fut un de ces envoyés extraordinaires qui parcoururent les départements avec la mission de juger souve rainement les fauteurs de la rébellion; mais il usa modérément de son terrible pouvoir. Aussitôt que cette juridiction temporaire eut cessé, le grand prévôt s'assit dans un des fauteuils du conseil d'Etat, devint député, parla peu, écouta beaucoup, et changea considérablement d'opinion. Quelques circonstances inconnues aux biographes le fireut entrer assez avant dans l'intimité du prince pour qu'un jour le malicieux monarque l'interpellat ainsi en le voyant entrer :

Mon ami Fontaine, je ne m'aviserai pas de vous nommer directeur général ni ministre!. Ni vous ni moi, si nous étions employés, ne resterions en place, à cause de nos opinions. Le gouver nement représentatif a cela de bon qu'il nous ête la peine que nous avions jadis de renvoyer nous-mêmes nos secrétaires d'Etat. Notre conseil est une véritable hôtellerie où l'opinion publique nous envoie souvent de singuliers voyageurs; mais enfin nous saurous toujours où placer nos fidèles serviteurs.

Cette ouverture moqueuse fut suivie d'une ordonnance qui donnait à M. de Fontaine une administration dans le domaine extraordinaire de la couronne. Par suite de l'intelligente attention avec laquelle il écoutait les sarcasmes de sou royal ami, son nom se trouva sur les lèvres de Sa Majesté toutes les fois qu'il fallut créer une commission dont les membres devaient être lucrativement appointés. Il eut le bon esprit de taire la faveur dont l'honorait le monarque, et sut l'entretenir par une manière piquante de narrer, dans une de ces causeries familières auxquelles Louis XVIII se plaisait autant qu'aux billets agréablement écrits, les anecdotes politiques, et, s'il est permis de se servir de cette expression, les cancans diplomatiques où parlementaires qui abondaient alors. On sait que les détails de sa gouvernementabilité, mot adopté par l'auguste railleur, l'amusaient infi

niment.

Grâce au bon sens, à l'esprit et à l'adresse de M. le comte de Fontaine, chaque membre de sa nombreuse famille, quelque jeune qu'il fût, finit, ainsi qu'il le disait plaisamment à son maître, par se poser comme un ver à soie sur les feuilles du budget. Ainsi, par les boutés du roi, l'aîné de ses fils parvint à une place éminente dans la magistrature inamovible. Le second, simple capitaine avant la Restauration, obtint une légion immédiatement après son retour de Gand; puis, à la faveur des mouvements de 1815 pendant lesquels on méconnut les règlements, il passa dans la garde royale, repassa dans les gardes du corps, revint dans la ligne, et se trouva lieutenant général avec un commandement dans la garde, après l'affaire du Trocadero. Le dernier, nommé sous-préfet, devint bientôt maître des requètes et directeur d'une administration municipale de la ville de Paris, où il se trouvait à l'abri des tempètes législatives. Ces graces sans éclat, secrètes comme la faveur du comte, pleuvaient inaperçues. Quoique le père et les trois fils eussent chacun assez de sinécures pour jouir d'un revenu budgétaire presque aussi considérable que celui d'un directeur général, leur fortune politique n'excita l'envie de personne. Dans ces temps de premier établissement du système constitutionnel, peu de personnes avaient des idées justes sur les régions paisibles du budget, où d'adroits favoris surent trouver l'équivalent des abbayes détruites. M. le comte de Fontaine, qui naguère encore se vantait de n'avoir pas lu la Charte, et se montrait si courroucé contre l'avidité des courtisans, ne tarda pas à prouver à son auguste maître qu'il comprenait aussi bien que lui l'esprit et les ressources du représentatif. Cependant, malgré la sécurité des carrieres ouvertes à ses trois fils, malgré les avantages pécuniaires qui résultaient du cumul de quatre places, M. de Fontaine se trouvait à la tète d'une famille trop nombreuse pour pouvoir promptement et facilement rétablir sa fortune. Ses trois fils étaient riches d'avenir, de faveur et de talent; mais il avait trois filles, et craignait de lasser la bonté du monarque. Il imagina de ne jamais lui parler que d'une seule de ces vierges pressées d'allumer leur flambeau. Le roi avait trop bon goût pour laisser son œuvre imparfaite. Le mariage de la premiere avec un receveur général fut conclu par une de ces phrases royales qui ne coûtent rien et valent des millions.

Un soir où le monarque était maussade, il sourit en apprenant l'existence d'une autre demoiselle de Fontaine, qu'il fit épouser à un jeune magistrat d'extraction bourgeoise, il est vrai, mais riche, plein de talent, et qu'il créa baron. Lorsque, l'année suivante, le Vendéen parla de mademoiselle Emilie de Fontaine, le roi lui répondit de sa petite voix aigrelette : Amicus Plato, sed magis amica Natio. Puis, quelques jours après, il régala son ami Fontrine d'un quatrain assez innocent, qu'il appelait une épigramme, et dans lequel il le plaisantait sur ses trois filles si habilement produites sous la forme d'une trinité. S'il faut en croire la chronique, le monarque avait été chercher son bon mot dans l'unité des trois personnes divines.

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Si j'en vois la rime, je n'en vois pas la raison, répondit durement le roi, qui ne goûta point cette plaisanterie faite sur sa poésie, quelque douce qu'elle fût.

Dès ce jour, son commerce avec M. de Fontaine eut moins d'aménité. Les rois aiment plus qu'on ne le croit la contradiction. Comme presque tous les enfants venus les derniers, Emilie de Fontaine était un Benjamin gâté par tout le monde. Le refroidissement du monarque causa donc d'autant plus de peine au comte, que jamais mariage ne fut plus difficile à conclure que celui de cette fille chérie.

Pour concevoir tous ces obstacles, il faut pénétrer dans l'enceinte du bel hotel où l'administrateur était logé aux dépens de la liste civile. Emilie avait passé son enfance à la terre de Fontaine en y jouissant de cette abondance qui suffit aux premiers plaisirs de la jeunesse. Ses moindres désirs y étaient des lois pour ses sœurs, pour ses frères, pour sa mère, et même pour son père. Tous ses parents raffolaient d'elle. Arrivée à l'age de raison précisément au moment où sa famille fut comblée des faveurs de la fortune, l'enchantement de sa vie continua. Le luxe de Paris lui sembla tout aussi naturel que la richesse en fleurs ou en fruits, et que cette opulence champêtre qui firent le bonheur de ses premières années. De même qu'elle n'avait éprouvé aucune contrariété dans son enfance quand elle voulait satisfaire de joyeux désirs, de même elle se vit encore obéie lorsqu'à l'age de quatorze ans elle se lança dans le tourbillon du monde. Accoutumée ainsi par degrés aux jouissances de la fortune, les recherches de la toilette, l'élégance des salons dorés et des équipages, lui devinrent aussi nécessaires que les compliments vrais ou faux de la flatterie, que les fêtes et les vanités de la cour. Tout lui souriait d'ailleurs elle aperçut pour elle de la bienveillance dans tous les yeux. Comme la plupart des enfants gàtés, elle tyrannisa ceux qui l'aimaient, et réserva ses coquetteries aux indifférents. Ses défauts ne firent que grandir avec elle, et ses parents allaient bientôt recueillir les fruits amers de cette éducation funeste. Arrivée à l'age de dixneuf ans, Emilie de Fontaine n'avait pas encore voulu faire de choix parmi les nombreux jeunes gens que la politique de M. de Fontaine assemblait dans ses fêtes. Quoique jeune encore, elle jouissait dans le monde de toute la liberté d'esprit que peut y avoir une femme. Sa beauté était si remarquable, que, pour elle, paraître dans un salon, c'était y régner. Semblable aux rois, elle n'avait pas d'amis, et se voyait partout l'objet d'une complaisance à laquelle un naturel meil. leur que le sien n'eût peut-être pas résisté. Aucun homme, fût-ce même un vieillard, n'avait la force de contredire les opinions d'une jeune fille dont un seul regard ranimait l'amour dans un cœur froid. Elevée avec des soins qui manquèrent à ses sœurs, elle peignait assez bien, parlait l'italien et l'anglais, jouait du piano d'une façon désespérante; enfin sa voix, perfectionnée par les meilleurs maîtres, avait un timbre qui donnait à son chaut d'irrésistibles séductions. Spirituelle et nourrie de toutes les littératures, elle aurait pu faire croire que, comme dit Mascarille, les gens de qualité viennent au moude en sachant tout. Elle raisonnait facilement sur la peinture italienne ou flamande, sur le moyen age ou la renaissance: jugeait à tort et à travers les livres anciens ou nouveaux, et faisait ressortir avec une cruelle grâce d'esprit les défauts d'un ouvrage. La plus simple de ses phrases était reçue par la foule idolâtre comme par les Turcs un fetfa du sultan. Elle éblouissait ainsi les gens superficiels; quant aux gens profonds, son tact naturel l'aidait à les reconnaître et pour eux, elle déployait tant de coquetterie, qu'à la faveur de ses séductions elle pouvait échapper à leur examen. Ce vernis séduisant couvrait un cœur insouciant, l'opinion commune à beaucoup de jeunes filles que personne n'habitait une sphère assez élevée pour pouvoir comprendre l'excellence de son ame, et un orgueil qui s'appuyait autant sur sa naissance que sur sa beauté. En l'absence du sentiment violent qui ravage tôt ou tard le cœur d'une femme, elle portait sa jeune ardeur dans un amour immodéré des distinctions, et témoignait le plus profond mépris pour les roturiers. Fort impertinente avec la nouvelle noblesse, elle faisait tous ses efforts pour que ses parents marchassent de pair au milieu des familles les plus illustres du faubourg Saint-Germain.

Ces sentiments n'avaient pas échappé à l'œil observateur de M. de Fontaine, qui, plus d'une fois, lors du mariage de ses deux premières filles, eut à gémir des sarcasmes et des bous mots d'Emilie.

Les gens logiques s'étonneront d'avoir vu le vieux Vendéen donnant sa premiere fille à un receveur général qui possédit bien, à la vérité, quelques anciennes terres seigneuriales, mais dont le nom n'était pas précédé de cette particule à laquelle le trône dut tant de défenseurs, et la seconde à un magistrat trop récemment baronifié pour faire oublier que le père avait vendu des fagots.

Ce notable changement dans les idées du noble, au moment où il atteignant sa soixantieme année, époque à laquelle les hommes quit ten! rarement leurs croyances, n'é ait pas dù seulement à la déplorable habitation de la moderne Babylone, où tous les gens de pro

vince finissent par perdre leurs rudesses; la nouvelle conscience politique du comte de Fontaine était encore le résultat des conseils et de l'amitié du roi. Ce prince philosophe avait pris plaisir à convertir le Vendéen aux idées qu'exigeaient la marche du dix-neuvième siècle et la rénovation de la monarchie. Louis XVIII voulait fondre les partis, comme Napoléon avait fondu les choses et les hommes. Le roi légitime, peut-être aussi spirituel que son rival, agissait en sens contraire. Le dernier chef de la maison de Bourbon était aussi empressé à satisfaire le tiers état et les gens de l'Empire, en contenant le clergé, que le premier des Napoléon fut jaloux d'attirer auprès de lui les grands seigneurs ou de doter l'Eglise.

Confident des royales pensées, le conseiller d'Etat était insensiblement devenu l'un des chefs les plus influents et les plus sages de ce parti modéré qui désirait vivement, au nom de l'intérêt national, la fusion des opinious. Il prèchait les coûteux principes du gouvernement constitutionnel, et secondait de toute sa puissance les jeux de la bascule politique qui permettait à son maître de gouverner la France au milieu des agitations. Peut-être M. de Fontaine se flattaitil d'arriver à la pairie par un de ces coups de vent législatifs dont les effets si bizarres surprenaient alors les plus vieux politiques. Un de ses principes les plus fixes consistait à ne plus reconnaître en France d'autre noblesse que la pairie, dont les familles étaient les seules qui eussent des priviléges.

outil.

Une noblesse sans priviléges, disait-il, est un manche sans

Aussi éloigné du parti de Lafayette que du parti de la Bourdonnaye, il entreprenait avec ardeur la réconciliation générale d'où devaient sortir une ère nouvelle et de brillantes destinées pour la France. Il cherchait à convaincre les familles chez lesquelles il avait accès du peu de chances favorables qu'offraient désormais la carrière militaire et l'administration. Il engageait les mères à lancer leurs enfants dans les professions indépendantes et industrielles, en leur donnant à entendre que les emplois militaires et les hautes fonctions du gouvernement finiraient par appartenir très-constitutionnellement aux cadets des familles nobles de la pairie. Selon lui, la nation avait conquis une part assez large dans l'administration par son assemblée élective, par les places de la magistrature et par celles de la finance, qui, disait-il, seraient toujours comme autrefois l'apanage des nota. bilités du tiers état.

Les nouvelles idées du chef de la famille de Fontaine, et les sages alliances qui en résulterent pour ses deux premieres filles, avaient rencontré de fortes résistances au sein de son ménage, a comtesse de Fontaine resta fidèle aux vieilles croyances que ne devait pas renier une femme qui appartenait aux Rohan par sa mère. Quoiqu'elle se fût opposée pendant un moment au bonheur et à la fortune qui attendaient ses deux filles aînées, elle se rendit à ces considérations secrètes que les époux se confient le soir quand leurs têtes reposent sur le même oreiller. M. de Fontaine démontra froidement à sa femme, par d'exacts calculs, que le séjour de Paris, l'obligation d'y représenter, la splendeur de sa maison, qui les dédommageait des privations si courageusement partagées au fond de la Vendée, les dépenses faites pour leur fils, absorbaient la plus grande partie de leur revenu budgétaire. Il fallait done saisir, comme une faveur céleste, l'occasion qui se présentait pour eux d'établir si richement leurs filles. Ne devaient-elles pas jouir un jour de soixante on quatre-vingt mille livres de rente? Des mariages si avantageux ne se rencontraient pas tous les jours pour des filles sans dot. Eufin, il était temps de penser à économiser pour augmenter la terre de Fontaine et reconstruire l'antique fortune territoriale de la famille. La comtesse céda, comme toutes les mères l'eussent fait à sa place, quoique de meilleure grâce peut-être, à des arguments si persuasifs. Mais elle déclara qu'au moins sa fille Emilie serait mariée de manière à satisfaire l'orgueil qu'elle avait contribué malheureusement à développer dans cette jeune àme.

Ainsi les événements qui auraient dû répandre la joie dans cette famille y introduisirent un léger levain de discorde. Le receveur général et le jeune magistrat furent en butte aux froideurs d'un cérémonial que surent créer la comtesse et sa fille Emilie. Leur étiquette trouva bien plus amplement licu d'exercer ses tyrannies domestiques: le lieutenant général épousa la fille unique d'un bauquier; le président se maria sensément avec une demoiselle dont le père, deux ou trois fois millionnaire, avait fait le commerce des toiles peintes: enfin le troisieme frère se montra fidele à ces doctrines roturières en prenant sa femme dans la famille d'un riche notaire de Paris. Les trois belles-sours, les deux beaux-frères, trouvaient tant de charmes et d'avantages personnels à rester dans la haute sphère des puissances politiques et à hanter les salons du faubourg Saint-Germain, qu' Is S'accordèrent tous pour former une petite cour à la hautaine Emilie. Ce pacte d'intérêt et d'orgueil ne fut cependant pas tellement bien cimenté, que 1 jeune souveraine n'excitat souvent des révolutions dans son petit Etat. Des scenes, que le bon ton n'eût pas désavouées, entretenaient entre tous les membres de cette puissante

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