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tion de sa race et une mésalliance, tout autre homme aurait hésité; mais il se rencontra dans ce vieil homme indompté la férocité qui jusqu'alors avait décidé toutes les difficultés humaines; il tirait à tout propos l'épée, comme le seul remède qu'il connût aux noeuds gordiens de la vie. Dans cette circonstance, où le bouleversement de ses idées était au comble, le naturel devait triompher. Deux fois pris en flagrant délit de mensonge par un être abhorré, par son enfant maudit mille fois, et plus que jamais maudit au moment où sa faiblesse méprisée, et pour lui la plus méprisable, triomphait d'une omnipotence infaillible jusqu'alors, il n'y eut plus en lui ni père ni homme: le tigre sortit de l'antre où il se cachait. Le vieillard, que la vengeance rendit jeune, jeta sur le plus ravissant couple d'anges qui eût consenti à mettre les pieds sur la terre, un regard pesant de haine et qui assassinait déjà.

Eh bien! crevez tous! Toi, sale avorton, la preuve de ma honte. Toi, dit-il à Gabrielle, misérable gourgandine à la langue de vipere, qui as empoisonné ma maison !

Ces paroles portèrent dans le cœur des deux enfants la terreur dont elles étaient chargées. Au moment où Etienne vit la large main de son père armée d'un fer et levée sur Gabrielle, il mourut, et Gabrielle tomba morte en voulant le retenir.

Le vieillard ferma la porte avec rage, et dit à mademoiselle de Grandlieu Je vous épouserai, moi!

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Et vous êtes assez vert-galant pour avoir une belle lignée, dit la comtesse à l'oreille de ce vieillard, qui avait servi sous sept ros de France.

Paris, 1851-1856.

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LES PROSCRITS

ALME SORORI

En 1308, il existait peu de maisons sur le terrain formé par les alluvions et par les sables de la Seine, en haut de la Cité, derrière l'église Notre-Dame. Le premier qui osa se bâtir un logis sur cette grève Soumise à de fréquentes inondations, fut un sergent de la ville de Paris qui avait rendu quelques menus services à MM. du chapitre Notre-Dame; en récompense, l'évêque lui bailla vingt-cinq perches de terre, et le dispensa de toute censive ou redevance pour le fait de ses constructions. Sept ans avant le jour où commence cette histoire, Joseph Tirechair, l'un des plus rudes sergents de Paris, comme son nom le prouve, avait donc, grâce à ses droits dans les amendes par lui perçues pour les délits commis ès rues de la Cité, bâti sa maison au bord de la Seine, précisément à l'extrémité de la rue du Port-SaintLandry. Afin de garantir de tout dommage les marchandises déposées sur le port, la ville avait construit une espèce de pile en maçonnerie qui se voit encore sur quelques vieux plans de Paris, et qui préservait le pilotis du port en soutenant à la tête du terrain les efforts des eaux et des glaces; le sergent en avait profité pour asseoir son logis, en sorte qu'il fallait monter plusieurs marches pour arriver chez lui. Semblable à toutes les maisons du temps, cette bicoque était surmontée d'un toit pointu qui figurait au-dessus de la façade la moitié supérieure d'une losange. Au regret des historiographies, il existe à peine un ou deux modèles de ces toits à Paris. Une ouverture ronde éclairait le grenier dans lequel la femme du sergent faisait sécher le linge du chapitre, car elle avait l'honneur de blanchir Notre-Dame, qui n'était certes pas une mince pratique. Au premier étage étaient deux chambres qui, bon an, mal an, se louaient aux étrangers à raison de quarante sous parisis pour chacune, prix exorbitant justifié d'ailleurs par le luxe que Tirechair avait mis dans leur ameublement. Des tapisseries de Flandre garnissaient les murailles; un grand lit orné d'un tour en serge verte, semblable à ceux des paysans, était honorablement fourni de matelas et recouvert de bons draps en toile fine. Chaque réduit avait son chauffe-doux, espèce de poêle dont la description est inutile. Le plancher, soigneusement entretenu par les apprenties de la Tirechair, brillait comme le bois d'une châsse. Au lieu d'escabelles, les locataires avaient pour siéges de grandes chaires en noyer sculpté, provenues sans doute du pillage de quelque château. Deux bahuts incrustés en étain, une table à colonnes torses, complétaient un mobilier digne des chevaliers bannerets les mieux huppés que leurs affaires amenaient à Paris. Les vitraux de ces deux chambres donnaient sur la rivière. Par l'une, vous n'eussiez pu voir que les rives de la Seine et les trois îles désertes dont les deux premières ont été réunies plus tard et forment l'île Saint-Louis aujourd'hui, la

troisième était l'ile Louviers. Par l'autre vous auriez aperçu, à travers une échappée du port Saint-Landry, le quartier de la Grève, le pont Notre-Dame avec ses maisons, les hautes tours du Louvre récem ment bâties par Philippe-Auguste, et qui dominaient ce Paris chétif et pauvre, lequel suggère à l'imagination des poëtes modernes tant de fausses merveilles. Le bas de la maison à Tirechair, pour nous servir de l'expression alors en usage, se composait d'une grande chambre où travaillait sa femme, et par où les locataires étaient obligés de passer pour se rendre chez eux, en gravissant un escalier pareil à celui d'un moulin. Puis derrière, se trouvaient la cuisine et la chambre à coucher, qui avaient vue sur la Seine. Un petit jardin conquis sur les eaux étalait au pied de cette humble demeure ses carrés de chous verts, ses oignons et quelques pieds de rosiers défendus par des pieux formant une espèce de haie. Une cabane construite en bois et en boue servait de niche à un gros chien, le gardien nécessaire de cette maison isolée. A cette niche commençait une enceinte où criaient des poules dont les œufs se vendaient aux chanoines. Çà et là, sur le terrain fangeux ou sec, suivant les caprices de l'atmosphère parisienne, s'élevaient quelques petits arbres incessamment battus par le vent, tourmentés, cassés par les promeneurs; des saules vivaces, des joncs et de hautes herbes. Le terrain, la Seine, le port, la maison, étaient encadrés à l'ouest par l'immense basilique de Notre-Dame, qui projetait au gré du soleil son ombre froide sur cette terre. Alors comme aujourd'hui, Paris n'avait pas de lieu plus solitaire, de paysage plus solennel ni plus mélancolique. La grande voix des eaux, le chant des prêtres ou le sifflement du vent troublaient seuls cette espèce de bocage, où parfois se faisaient aborder quelques couples amoureux pour se confier leurs secrets, lorsque les offices retenaient à l'église les gens du chapitre.

Par une soirée du mois d'avril, en l'an 1308, Tirechair rentra chez lui singulièrement fàché. Depuis trois jours, il trouvait tout en ordre sur la voie publique. En sa qualité d'homme de police, rien ne l'affectait plus que de se voir inutile. Il jeta sa hallebarde avec humeur, grommela de vagues paroles en dépouillant sa jaquette mi-partie de rouge et de bleu, pour endosser un mauvais hoqueton de camelot. Après avoir pris dans la huche un morceau de pain sur lequel il étendit une couche de beurre, il s'établit sur un banc, examina ses quatre murs blanchis à la chaux, compta les solives de son plancher, inventoria ses ustensiles de ménage appendus à des clous, maugréa d'un soin qui ne lui laissait rien à dire, et regarda sa femme, laquelle ne soufflait mot en repassant les aubes et les surplis de la sacristie. Par mon salut, dit-il pour entamer la conversation, je ne sais,

Jacqueline, où tu vas pêcher tes apprenties. En voilà une, ajouta-t-il en montrant une ouvrière qui plissait assez maladroitement une nappe d'autel, en vérité, plus je la mire, plus je pense qu'elle ressemble à une fille folle de son corps, et non à une bonne grosse serve de campagne. Elle a des mains aussi blanches que celles d'une dame! Jour de Dieu! ses cheveux sentent le parfum, je crois, et ses chausses sont fines comme celles d'une reine. Far la double corne de Mahom, les choses céans ne vont pas à mon gré.

L'ouvrière se prit à rougir, et guigna Jacqueline d'un air qui exprimait une crainte mêlée d'orgueil. La blanchisseuse répondit à ce regard par un sourire, quitta son ouvrage, et d'une voix aigrelette :

Ah çà! dit-elle à son mari, ne m'impatiente pas! Ne vas-tu point m'accuser de quelques manigances? Trotte sur ton pavé tant que tu voudras, et ne te mêle de ce qui se passe ici que pour dormir en paix, boire ton vin, et manger ce que je te mets sur la table; sinon, je ne me charge plus de t'entretenir en joie et en santé. Trouvez-moi dans toute la ville un homme plus heureux que ce singe-là! ajouta-t-elle en lui faisant une grimace de reproche. Il a de l'argent dans son escarcelle, il a pignon sur Seine, une vertueuse hallebarde d'un côté, une honnête femme de l'autre, une maison aussi propre, aussi nette que mon œil; et ça se plaint comme un pèlerin ardé du feu SaintAntoine !

Ah! reprit le sergent, crois-tu, Jacqueline, que j'aie envie de voir mon logis rasé, ma hallebarde aux mains d'un autre et ma femme au pilori?

Jacqueline et la délicate ouvrière pâlirent.

- Explique-toi donc, reprit vivement la blanchisseuse, et fais voir ce que tu as dans ton sac. Je m'aperçois bien, mon gars, que depuis quelques jours tu loges une sottise dans ta pauvre cervelle. Allons, viens çà! et défile-moi ton chapelet. Il faut que tu sois bien couard pour redouter le moindre grabuge en portant la hallebarde du parloir aux bourgeois, et en vivant sous la protection du chapitre. Les chanoines mettraient le diocèse en interdit si Jacqueline se plaignait à eux de la plus mince avanie.

En disant cela, elle marcha droit au sergent et le prit par le bras: Viens donc, ajouta-t-elle en le faisant lever et l'emmenant sur les degrés.

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Quand ils furent au bord de l'eau, dans leur jardinet, Jacqueline regarda son mari d'un air moqueur : - Apprends, vieux truand, que quand cette belle dame sort du logis, il entre une pièce d'or dans notre épargne.

Oh! oh! fit le sergent, qui resta pensif et coi devant sa femme. Mais il reprit bientôt : Eh! donc, nous sommes perdus. Pourquoi cette femme vient-elle chez nous?

Elle vient voir le joli petit clerc que nous avons là-haut, reprit Jacqueline en montrant la chambre dont la fenêtre avait vue sur la vaste étendue de la Seine.

Malédiction! s'écria le sergent. Pour quelques traîtres écus, tu m'auras ruiné, Jacqueline. Est-ce là un métier que doive faire la sage et prude femme d'un sergent? Mais, fût-elle comtesse ou baronne, cette dame ne saurait nous tirer du traquenard où nous serons tôt ou tard emboisés. N'aurons-nous pas contre nous un mari puissant et grandement offensé? car, jarnidieu! elle est bien belle.

- Oui dà, elle est veuve, vilain oison ! Comment oses-tu soupçonner ta femme de vilenie et de bêtises? Cette dame n'a jamais parlé à notre gentil clerc, elle se contente de le voir et de penser à lui. Pauvre enfant ! sans elle, il serait déjà mort de faim, car elle est quasiment sa mère. Et lui, le chérubin, il est aussi facile de le tromper que de bercer un nouveau-né. Il croit que ses deniers vont toujours, et il les a déjà deux fois mangés depuis six mois.

Femme, répondit gravement le sergent en lui montrant la place de Grève, te souviens-tu d'avoir vu d'ici le feu dans lequel on a rôti l'autre jour cette Danoise?

-Eh bien! dit Jacqueline effrayée.

Eh bien? reprit Tirechair, les deux étrangers que nous aubergeons sentent le roussi. Il n'y a chapitre, comtesse, ni protection qui tiennent. Voilà Pâques venu, l'année finie, il faut mettre nos hôtes à la porte, et vite et tôt. Apprendras-tu donc à un sergent à reconnaître le gibier de potence? Nos deux hôtes avaient pratiqué la Porrette, cette hérétique de Danemark ou de Norwege de qui tu as entendu d'ici le dernier cri, C'était une courageuse diablesse, elle n'a point sourcillé sur son fagot, ce qui prouvait abondamment son accointance avec le diable; je l'ai vue comme je te vois, elle prêchait encore l'assistance, disant qu'elle était dans le ciel et voyait Dieu. Eh bien! depuis ce jour, je n'ai point dormi tranquillement sur mon grabat. Le seigneur couché au-dessus de nous est plus sûrement sorcier que chrétien. Foi de sergent! j'ai le frisson quand ce vieux passe près de moi; la nuit, jamais il ne dort; si je m'éveille, sa voix retentit comme le bourdonnement des cloches, et je lui entends faire ses conjurations dans la langue de l'enfer; lui as-tu jamais vu manger une honnête croûte de pain, une fouace faite par la main d'un talmellier catholique?

Sa peau brune a été cuite et hâlée par le feu de l'enfer. Jour de Dieu! ses yeux exercent un charme, comme ceux des serpents! Jacqueline, je ne veux pas de ces deux hommes chez moi. Je vis trop près de la justice pour ne pas savoir qu'il faut ne jamais rien avoir à déméler avec elle. Tu mettras nos deux locataires à la porte : le vieux parce qu'il m'est suspect, le jeune parce qu'il est trop mignon. L'un et l'autre ont l'air de ne point hanter les chrétiens, ils ne vivent certes pas comme nous vivons; le petit regarde toujours la lune, les étoiles et les nuages, en sorcier qui guette l'heure de monter sur son balai; l'autre sournois se sert bien certainement de ce pauvre enfant pour quelque sortilége. Mon bouge est déjà sur la rivière, j'ai assez de cette cause de ruine sans y attirer le feu du ciel ou l'amour d'une comtesse. J'ai dit. Ne bronche pas.

Malgré le despotisme qu'elle exerçait au logis, Jacqueline resta stupéfaite en entendant l'espèce de réquisitoire fulminé par le sergent contre ses deux hôtes. En ce moment, elle regarda machinalement la fenêtre de la chambre où logeait le vieillard, et frissonna d'horreur en y rencontrant tout à coup la face sombre et mélancolique, le regard profond qui faisaient tressaillir le sergent, quelque habitué qu'il fût à voir des criminels.

A cette époque, petits et grands, clercs et laïques, tout tremblait à la pensée d'un pouvoir surnaturel. Le mot de magie était aussi puissant que la lèpre pour briser les sentiments, rompre les liens sociaux, et glacer la pitié dans les cœurs les plus généreux. La femme du sergent pensa soudain qu'elle n'avait jamais vu ses deux hôtes faisant acte de créature humaine. Quoique la voix du plus jeune fût douce et mélodieuse comme les sons d'une flûte, elle l'entendait si rarement, qu'elle fut tentée de la prendre pour l'effet d'un sortilège. En se rappelant l'étrange beauté de ce visage blanc et rose, en revoyant par le souvenir cette chevelure blonde et les feux humides de ce regard, elle crut y reconnaître les artifices du démon. Elle se souvint d'être restée pendant des journées entières sans avoir entendu le plus léger bruit chez les deux étrangers. Où étaient-ils pendant ces longues heures? Tout à coup, les circonstances les plus singulières revinrent en foule à sa mémoire. Elle fut complétement saisie par la peur, et voulut voir une preuve de magie dans l'amour que la riche dame por tait à ce jeune Godefroid, pauvre orphelin venu de Flandre à Paris pour étudier à l'Université. Elle mit promptement la main dans une de ses poches, en tira vivement quatre livres tournois en grands blancs, et regarda les pièces par un sentiment d'avarice mêlé de crainte.

Ce n'est pourtant pas là de la fausse monnaie? dit-elle en mon trant les sous d'argent à son mari. — Puis, ajouta-t-elle, comment les mettre hors de chez nous après avoir reçu d'avance le loyer de l'année prochaine?

Tu consulteras le doyen du chapitre, répondit le sergent. N'est-ce pas à lui de nous dire comment nous devons nous comporter avec des êtres extraordinaires?

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Oh oui! bien extraordinaires, s'écria Jacqueline. Voyez la ma lice! venir se gîter dans le giron même de Notre-Dame ! Mais, reprit elle, avant de consulter le doyen, pourquoi ne pas prévenir cette noble et digne dame du danger qu'elle court?

En achevant ces paroles, Jacqueline et le sergent, qui n'avait pas perdu un coup de dent, rentrèrent au logis. Tirechair, en homme vieilli dans les ruses de son métier, feignit de prendre l'inconnue pour une véritable ouvrière; mais cette indifférence apparente laissait per cer la crainte d'un courtisan qui respecte un royal incognito. En ce moment, six heures sonnèrent au clocher de Saint-Denis-du-Pas, petite église qui se trouvait entre Notre-Dame et le port Saint-Landry, la première cathédrale bâtie à Paris, au lieu même où saint Denis a été mis sur le gril, disent les chroniques. Aussitôt l'heure vola de cloche en cloche par toute la cité. Tout à coup des cris confus s'élevèrent sur la rive gauche de la Seine, derrière Notre-Dame, à l'endroit où fourmillaient les écoles de l'Université. A ce signal, le vieil hote de Jacqueline se rema dans sa chambre. Le sergent, sa femme et l'inconnue entendirent ouvrir et fermer brusquement une porte, et le pas lourd de l'étranger retentit sur les marches de l'escalier intérieur. Les soupçons du sergent donnaient à l'apparition de ce personnage un si haut intérêt, que les visages de Jacqueline et du sergent of frirent tout à coup une expression bizarre dont fut saisie la dame. Rapportant, comme toutes les personnes qui aiment, l'effroi du couple à son protégé, l'inconnue attendit avec une sorte d'inquiétude l'événement qu'annonçait la peur de ses prétendus maîtres.

L'étranger resta pendant un instant sur le seuil de la porte pour examiner les trois personnages qui étaient dans la salle, en paraissant y chercher son compagnon. Le regard qu'il y jeta, quelque insouciant qu'il fût, troubla les coeurs. Il était vraiment impossible à tout le monde, et même à un homme ferme, de ne pas avouer que la nature avait départi des pouvoirs exorbitants à cet être en apparence surna turel. Quoique ses yeux fussent assez profondément enfoncés sous les grands arceaux dessinés par ses sourcils, ils étaient comme ceux d'un milan enchassés dans des paupières si larges et bordés d'un

cercle noir si vivement marqué sur le haut de sa joue, que leurs globes semblaient être en saillie. Cet oeil magique avait je ne sais quoi de despotique et de perçant qui saisissait l'ame par un regard pesant et plein de pensées, un regard brillant et lucide comme celui des serpents ou des oiseaux; mais qui stupéfiait, qui écrasait par la véloce communication d'un immense malheur ou de quelque puissance surhumaine. Tout était en harmonie avec ce regard de plomb et de feu, fixe et mobile, sévère et calme. Si, dans ce grand œil d'aigle, les agitations terrestres paraissaient en quelque sorte éteintes, le visage maigre et sec portait aussi les traces de passions malheureuses et de grands événements accomplis. Le nez tombait droit et se prolongeait de telle sorte que les narines semblaient le retenir. Les os de la face étaient nettement accusés par des rides droites et longues qui creusaient les joues décharnées. Tout ce qui formait un creux dans sa figure paraissait sombre. Vous eussiez dit le lit d'un torrent où la violence des eaux écoulées était attestée par la profondeur des sillons, qui trahissaient quelque lutte horrible, éternelle. Semblables à la trace laissée par les rames d'une barque sur les ondes, de larges plis partant de chaque côté de son nez accentuaient fortement son visage, et donnaient à sa bouche, ferme et sans sinuosités, un caractère d'amère tristesse. Au-dessus de l'ouragan peint sur ce visage, son front tranquille s'élançait avec une sorte de hardiesse et le couronnait comme d'une coupole en marbre. L'étranger gardait cette attitude intrépide et sérieuse que contractent les hommies habitués au malheur, faits par la nature pour affronter avec impassibilité les foules furieuses, et pour regarder en face les grands dangers. Il semblait se mouvoir dans une sphère à lui, d'où il planait au-dessus de l'humanité. Ainsi que son regard, son geste possédait une irrésistible puissance; ses mains décharnées étaient celles d'un guerrier; s'il fallait baisser les yeux quand les siens plongeaient sur vous, il fallait également trembler quand sa parole ou son geste s'adressaient à votre ame. Il marchait entouré d'une majesté silencieuse qui le faisait prendre pour un despote sans gardes, pour quelque Dieu sans rayons. Son costume ajoutait encore aux idées qu'inspiraient les singularités de sa démarche ou de sa physionomie. L'âme, le corps et l'habit s'harmoniaient ainsi de manière à impressionner les imaginations les plus froides. Il portait une espèce de surplis en drap noir, sans manches, qui s'agrafait par devant et descendait jusqu'à mi-jambe, en lui laissant le col nu, sans rabat. Son justaucorps et ses bottines, tout était noir. Il avait sur la tête une calotte en velours semblable à celle d'un prêtre, et qui traçait une ligne circulaire au-dessus de son front sans qu'un seul cheveu s'en échappàt. C'était le deuil le plus rigide et l'habit le plus sombre qu'un homme pût prendre. Sans une longue épée qui pendait à son côté, soutenue par un ceinturon de cuir que l'on apercevait à la fente du surtout noir, un ecclésiastique l'eût salué comme un frère. Quoiqu'il fût de taille moyenne, il paraissait grand; mais en le regardant au visage, il était gigantesque.

- L'heure a sonné, la barque attend, ne viendrez-vous pas? A ces paroles prononcées en mauvais français, mais qui furent facilement entendues au milieu du silence, un léger frémissement retentit dans l'autre chambre, et le jeune homme en descendit avec la rapidité d'un oiseau. Quand Godefroid se montra, le visage de la dame s'empourpra, elle trembla, tressaillit, et se fit un voile de ses mains blanches. Toute femme eût partagé cette émotion en contemplant un homme de vingt ans environ, mais dont la taille et les formes étaient si frêles, qu'au premier coup d'oeil vous eussiez cru voir un enfant ou quelque jeune fille deguisée. Son chaperon noir, semblable au béret des Basques, laissait apercevoir un front blanc comme de la neige, où la grâce et l'innocence étincelaient en exprimant une suavité divine, reflet d'une âme pleine de foi. L'imagination des poëtes aurait voulu y chercher cette étoile que, dans je ne sais quel conte, une mère pria la fée-marraine d'empreindre sur le front de son enfaut abandonné comme Moïse au gré des flots. L'amour respirait dans les milliers de boucles blondes qui retombaient sur ses épaules. Son con, véritable cou de cygne, était blanc et d'une admirable rondeur. Ses yeux bleus, plein de vie et limpides, semblaient réfléchir le ciel. Les traits de son visage, la coupe de son front, étaient d'un fini, d'une délicatesse à ravir un peintre. La fleur de beauté qui, dans les figures de femmes, nous cause d'intarissables émotions, cette exquise pureté des lignes, cette lumineuse auréole posée sur des traits adorés, se mariaient à des teintes mâles, à une puissance encore adolescente, qui formaient de délicieux contrastes. C'était enfin un de ces visages mélodieux qui, muets, nous parlent et nous attirent; néanmoins, en le contemplant avec un peu d'attention, peut-être y aurait-on reconnu l'espèce de flétrissure qu'imprime une grande pensée ou la passion, dans une verdeur mate qui le faisait ressembler à une jeune feuille se dépliant au soleil. Aussi, jamais opposition ne fut-elle plus brusque ni plus vive que l'était celle offerte par la réunion de ces deux êtres. Il semblait voir un gracieux et faible arbuste né dans le creux d'un vieux saule, dépouillé par le temps, sillonné par la foudre, décrépit, un de ces saules majestueux, l'admiration des peintres; le timide arbrisseau s'y met à l'abri des orages. L'un était un Dieu, l'autre était un ange; celui-ci le poëte qui sent, celui-là le poëte qui traduit; un

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Je suis la comtesse Mahaut, dit-elle en se levant avec une dignité qui rendit le sergent tout pantois. Gardez-vous de faire la plus légère peine à vos hôtes. Honorez surtout le vieillard, je l'ai vu chez le roi votre seigneur, qui l'a courtoisement accueilli, vous seriez mal avisé de lui causer le moindre encombre. Quant à mon séjour chez vous, n'en sonnez mot, si vous aimez la vie.

La comtesse se tut et retomba dans sa méditation. Elle releva bientôt la tête, fit un signe à Jacqueline, et toutes deux montèrent à la chambre de Godefroid. La belle comtesse regarda le lit, les chaires de bois, le bahut, les tapisseries, la table, avec un bonheur semblable à celui du banni qui contemple, au retour, les toits pressés de sa ville natale, assise au pied d'une colline.

- Si tu ne m'as pas trompée, dit-elle à Jacqueline, je te promets cent écus d'or.

Tenez, madame, répondit l'hôtesse, le pauvre ange est sans méliance, voici tout son bien!

Disant cela, Jacqueline ouvrait un tiroir de la table, et montrait quelques parchemins.

O Dieu de bonté! s'écria la comtesse en saisissant un contrat qui attira soudain son attention et où elle lut: GOTHOFREDUS, COMES GANTIACUS. (Godefroid, comte de Gand.)

Elle laissa tomber le parchemin, passa la main sur son front; mais, se trouvant sans doute compromise de laisser voir son émotion à Jacqueline, elle reprit une contenance froide.

Je suis contente! dit-elle.

Puis elle descendit et sortit de la maison. Le sergent et sa femme se mirent sur le seuil de leur porte, et lui virent prendre le chemin du port. Un bateau se trouvait amarré près de là. Quand le frémissement du pas de la comtesse put être entendu, un marinier se leva soudain, aida la belle ouvrière à s'asseoir sur un banc, et rama de manière à faire voler le bateau comme une hirondelle, en aval de la Seine.

- Es-tu bête! dit Jacqueline en frappant familièrement sur l'épaule du sergent. Nous avons gagné ce matin cent écus d'or.

- Je n'aime pas plus loger des seigneurs que loger des sorciers. Je ne sais qui des uns ou des autres nous mène plus vitement au gibet, répondit Tirechair en prenant sa hallebarde. Je vais, reprit-il, aller faire ma ronde du côté de Champfleuri. Ah! que Dieu nous protége, et me fasse rencontrer quelque galloise ayant mis ce soir ses auneaux d'or pour briller dans l'ombre comme un ver luisant!

Jacqueline, restée seule au logis, monta précipitamment dans la chambre du seigneur inconnu pour tâcher d'y trouver quelques renseignements sur cette mystérieuse affaire. Semblable à ces savants qui se donnent des peines infinies pour compliquer les principes clairs et simples de la nature, elle avait déjà bâti un roman iuforme qui lui servait à expliquer la réunion de ces trois personages sous son pauvre toit. Elle fouilla le bahut, examina tout, et ne put rien découvrir d'extraordinaire. Elle vit seulement sur la table une écritoire et quelques feuilles de parchemin; mais, comme elle ne savait pas lire, cette trouvaille ne pouvait lui rien apprendre. Un sentiment de femme la ramena dans la chambre du beau jeune homme, d'où elle aperçut par la croisée ses deux hôtes qui traversaient la Seine dans le bateau du passeur.

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Ils sont comme deux statues, se dit-elle. Ah! ah! ils abordent devant la rue du Fouarre. Est-il leste, le petit mignon! il a sauté à terre comme un bouvreuil. Près de lui, le vieux ressemble à quelque saint de pierre de la cathédrale. Ils vont à l'ancienne école des Quatre-Nations. Prest! je ne les vois plus. C'est là qu'il respire, ce pauvre chérubin! ajouta-t-elle en regardant les meubles de la chambre. Est-il galant et plaisant! Ah! ces seigneurs, c'est autrement fait que nous.

Et Jacqueline descendit après avoir passé la main sur la couverture

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du lit, épousseté le bahut, et s'être demandé pour la centième fois depuis six mois : A quoi diable passe-t-il toutes ses saintes journées? Il ne peut pas toujours regarder dans le bleu du temps et dans les étoiles que Dieu a pendues là-haut comme des lanternes. Le cher enfant a du chagrin. Mais pourquoi le vieux maître et lui ne se parlent-ils presque point? Puis elle se perdit dans ses pensées, qui, dans sa cervelle de femme, se brouillèrent comme un écheveau de fil.

Le vieillard et le jeune homme étaient entrés dans une des écoles qui rendaient à cette époque la rue du Fouarre si célèbre en Europe. L'illustre Sigier, le plus fameux docteur en théologie mystique de l'Université de Paris, montait à sa chaire au moment où les deux locataires de Jacqueline arrivèrent à l'ancienne école des Quatre-Nations, dans une grande salle basse, de plain-pied avec la rue. Les dalles froides étaient garnies de paille fraîche, sur laquelle un bon nombre d'étudiants avaient tous un genou appuyé, l'autre relevé, pour sténographier l'improvisation du maître à l'aide de ces abréviations qui font le désespoir des déchiffreurs modernes. La salle était pleine, non-seulement d'écoliers, mais encore des hommes les plus distingués du clergé, de la cour et de l'ordre judiciaire. Il s'y trouvait des savants étrangers, des gens d'épée et de riches bourgeois. Là se rencontraient ces faces larges, ces fronts protubérants, ces barbes vénérables, qui nous inspirent une sorte de religion pour nos ancêtres à l'aspect des portraits du moyen àge. Des visages maigres aux yeux brillants et enfoncés, surmontés de crânes jaunis dans les fatigues d'une scolastique impuissante, la passion favorite du siècle, contrastaient avec de jeunes têtes ardentes, avec des hommes graves, avec des figures guerrières, avec les joues rubicondes de quelques financiers. Ces leçons, ces dissertations, ces thèses soutenues par les génies les plus brillants, du treizième et du quatorzième siècle, excitaient l'enthousiasme de nos pères; elles étaient leurs combats de taureaux, leurs Italiens, leur tragédie, leurs grands danseurs, tout leur théâtre enfin. Les représentations de mystères ne vinrent qu'après ces luttes spirituelles qui peut-être engendrèrent la scène française. Une éloquente inspiration qui réunissait l'attrait de la voix humaine habilement maniée, les subtilités de l'éloquence et des recherches hardies dans les secrets de Dieu, satisfaisait alors à toutes les curiosités, émouvait les àmes, et composait le spectacle à la mode. La théologie ne résumait pas seulement les sciences, elle était la science même, comme le fut autrefois la grammaire chez les Grecs, et présentait un fécond avenir à ceux qui se distinguaient dans ces duels, où, comme Jacob, les orateurs combattaient avec l'esprit de Dieu. Les ambassades, les arbitrages entre les souverains, les chancelleries, les dignités ecclésiastiques, appartenaient aux hommes dont la parole s'était aiguisée dans les controverses théologiques. La chaire était la tribune de l'époque. Ce système vécut jusqu'au jour où Rabelais immola l'ergotisme sous ses terribles moqueries, comme Cervantes tua la chevalerie avec une comédie écrite.

Pour comprendre ce siècle extraordinaire, l'esprit qui en dicta les chefs-d'œuvre inconnus aujourd'hui, quoique immenses, enfin pour s'en expliquer tout jusqu'à la barbarie, il suffit d'étudier les constitutions de l'Université de Paris, et d'examiner l'enseignement bizarre alors en vigueur. La théologie se divisait en deux facultés celle de THÉOLOGIE proprement dite, et celle de DECRET. La faculté de théologie avait trois sections: la scolastique, la canonique et la mystique. Il serait fastidieux d'expliquer les attributions de ces diverses parties de la science, puisqu'une seule, la mystique, est le sujet de cette Etude. La THEOLOGIE MYSTIQUE embrassait l'ensemble des révélations divines et l'explication des mystères. Cette branche de l'ancienne théologie est secrétement restée en honneur parmi nous. Jacob Boehm, Swedenborg, Martinez Pasqualis, Saint-Martin, Molinos, mesdames Guyon, Bourignon et Krudener, la grande secte des extatiques, celle des illuminés, ont, à diverses époques, dignement conservé les doctrines de cette science, dont le but a quelque chose d'effrayant et de gigantesque. Aujourd'hui, comme au temps du docteur Sigier, il s'agit de donner à l'homme des ailes pour pénétrer dans le sanctuaire où Dieu se cache à nos regards.

Cette digression était nécessaire pour l'intelligence de la scène à laquelle le vieillard et le jeune homme partis du terrain Notre-Dame venaient assister; puis elle défendra de tout reproche cette Etude, que certaines personnes hardies à juger pourraient soupçonner de mensonge et taxer d'hyperbole.

Le docteur Sigier était de haute taille et dans la force de l'âge. Sauvée de l'oubli par les fastes universitaires, sa figure offrait de frappantes analogies avec celle de Mirabeau. Elle était marquée au sceau d'une éloquence impétueuse, animée, terrible. Le docteur avait au front les signes d'une croyance religieuse et d'une ardente foi qui manquèrent à son Sosie. Sa voix possédait de plus une douceur persuasive, un timbre éclatant et flatteur.

En ce moment le jour, que les croisées à petits vitraux garnis de plomb répandaient avec parcimonie, colorait cette assemblée de teintes capricieuses en y créant çà et là de vigoureux contrastes par le mélange de la lueur et des ténèbres. Ici des yeux étincelaient en des coins obscurs; là de noires chevelures, caressées par des rayons,

semblaient lumineuses au-dessus de quelques visages ensevelis dans l'ombre; puis, plusieurs cranes découronnés, conservant une faible ceinture de cheveux blancs, apparaissaient au-dessus de la foule comme des créneaux argentés par la lune. Toutes les têtes, tournées vers le docteur, restaient muettes, impatientes. Les voix monotones des autres professeurs dont les écoles étaient voisines retentissaient dans la rue silencieuse comme le murmure des flots de la mer. Le pas des deux inconnus qui arrivèrent en ce moment attira l'attention générale. Le docteur Sigier, prêt à prendre la parole, vit le majestueux vieillard debout, lui chercha de l'oeil une place, et, n'en trouvant pas, tant la foule était grande, il descendit, vint à lui d'un air respectueux, et le fit asseoir sur l'escalier de la chaire en lui prêtant son escabeau. L'assemblée accueillit cette faveur par un long murmure d'approbation, en reconnaissant dans le vieillard le héros d'une admirable thèse récemment soutenue à la Sorbonne. L'inconnu jeta sur l'auditoire, au-dessus duquel il planait, ce profond regard qui racontait tout un poëme de malheurs, et ceux qu'il atteignit éprouvèrent d'indéfinissables tressaillements. L'enfant qui suivait le vieillard s'assit sur une des marches, et s'appuya contre la chaire, dans une pose ravissante de grâce et de tristesse. Le silence devint profond, le seuil de la porte, la rue même, furent obstrués en peu d'instants par une foule d'écoliers qui désertèrent les autres classes.

Le docteur Sigier devait résumer, en un dernier discours, les théories qu'il avait données sur la résurrection, sur le ciel et l'enfer, dans ses leçons précédentes. Sa curieuse doctrine répondait aux sympa thies de l'époque, et satisfaisait à ces désirs immodérés du merveil leux qui tourmentent les hommes à tous les âges du monde. Cet effort de l'homme pour saisir un infini qui échappe sans cesse à ses mains débiles, ce dernier assaut de la pensée avec elle-même, était une œuvre digne d'une assemblée où brillaient alors toutes les lumières de ce siècle, où scintillait peut-être la plus vaste des imaginations humaines. D'abord le docteur rappela simplement, d'un ton doux et saus emphase, les principaux points précédemment établis.

« Aucune intelligence ne se trouvait égale à une autre. L'homme était-il en droit de demander compte à son Créateur de l'inégalité des forces morales données à chacun? Sans vouloir pénétrer tout à coup les desseins de Dieu, ne devait-on pas reconnaître en fait que, par suite de leurs dissemblances générales, les intelligences se divisaient en de grandes sphères? Depuis la sphère où brillait le moins d'intelligence jusqu'à la plus translucide où les âmes apercevaient le chemin pour aller à Dieu, n'existe-t-il pas une gradation réelle de spiritualité? les esprits appartenant à une même sphère ne s'entendaient-ils pas fraternellement, en âme, en chair, en pensée, en senti ment? »

Là, le docteur développait de merveilleuses théories relatives aux sympathies. Il expliquait dans un langage biblique les phénomènes de l'amour, les répulsions instinctives, les attractions vives qui mécon naissent les lois de l'espace, les cohésions soudaines des âmes qui semblent se reconnaître. Quant aux divers degrés de force dont étaient susceptibles nos affections, il les résolvait par la place plus ou moins rapprochée du centre que les êtres occupaient dans leurs cercles respectifs. Il révélait mathématiquement une grande pensée de Dieu dans la coordination des différentes sphères humaines. Par l'homme, disait-il, ces sphères créaient un monde intermédiaire entre l'intelligence de la brute et l'intelligence des anges. Selon lui, la parole divine nourrissait la parole spirituelle, la parole spirituelle nourrissait la parole animée, la parole animée nourrissait la parole animale, la parole animale nourrissait la parole végétale, et la parole végétale exprimait la vie de la parole stérile. Les successives transformations de chrysalide que Dieu imposait ainsi à nos ames, et cette espèce de vie infusoire qui, d'une zone à l'autre, se communiquait toujours plus vive, plus spirituelle, plus clairvoyante, développait confusément, mais assez merveilleusement peut-être pour ses auditeurs inexpérimentés, le mouvement imprimé par le Très-Haut à la nature. Secouru par de nombreux passages empruntés aux livres sacrés, et desquels il se servait pour se commenter lui-même, pour exprimer par des images sensibles les raisonnements abstraits qui lui manquaient, il secouait l'esprit de Dieu comme une torche à travers les profondeurs de la création, avec une éloquence qui lui était propre et dont les accents sollicitaient la conviction de son auditoire. Déroulant ce mystérieux système dans toutes ses conséquences, il donnait la clef de tous les symboles, justifiait les vocations, les dons particuliers, les génies, les talents humains. Devenant tout à coup physiologiste par instinct, il rendait compte des ressemblances animales inscrites sur les figures humaines, par des analogies primordiales et par le mouvement ascendant de la création. Il vous faisait assister au jeu de la nature, assignait une mission, un avenir, aux minéraux, à la plante, à l'animal. La Bible à la main, après avoir spi ritualisé la matière et matérialisé l'esprit, après avoir fait entrer la volonté de Dieu en tout, et imprimé du respect pour ses moindres œuvres, il admettait la possibilité de parvenir par la foi d'une sphere

à une autre.

Telle fut la première partie de son discours, il en appliqua par d'a

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