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A MONSIEUR VICTOR BUGO.

Vons qui, par le privilége des Raphaël et des Pitt, étiez déjà grand poëte à l'âge où les hommes sont encere si petits, vous avez, comme Chateaubriand, comme tous les vrais talents, lutte contre les envieux embusqués derrière les colonnes, ou tapis dans les souterrains du journal. Aussi désiré-je que votre nom victorieux aide à la victoire de cette œuvre que je vous dédie, et qui, selon certaines personnes, serait un acte de courage autant qu'une histoire pleine de vérité. Les journalistes n'eussent-ils donc pas appartenu, comme les marquis, les financiers, les médecins et les procureurs, à Molière et à son Théatre? Pourquoi donc la Comédie ilumaine, qui castigat ridendo mores, excepterait-elle une puissance, quand la Presse parisienne n'en excepte aucune?

Je suis heureux, monsieur, de pouvoir me dire ainsi

Votre sincère admirateur et ami,

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DE BALZAC.

101 Paris. Imprimerie Schneider, rue d'Erfurth, 1.

E.I

A l'époque où commence cette histoire, la presse de Stanhope et les rouleaux à distribuer l'encre ne fonctionnaient pas encore dans les petites imprimeries de province. Malgré la spécialité qui la met en rapport avec la typographie parisienne, Angoulême se servait toujours des presses en bois, auxquelles la langue est redevable du mot faire gémir la presse, maintenant sans application. L'imprimerie arriérée y employait encore les balles en cuir frottées d'encre, avec lesquelles l'un des pressiers tamponnait les caractères. Le plateau mobile où se place la forme pleine de lettres sur laquelle s'applique la feuille de papier était encore en pierre, et justifiait son nom de marbre. Les dévorantes presses mécaniques ont aujourd'hui si bien fait oublier ce mécanisme, auquel nous devons, malgré ses imperfections, les beaux livres des Elzévir, des Plantin, des Alde et des Didot, qu'il est nécessaire de mentionner les vieux outils auxquels Jérôme-Nicolas Séchard portait une superstitieuse affection, car ils jouent leur rôle dans cette grande petite histoire.

1

Ce Séchard était un ancien compagnon pressier, que, dans leur argot typographique, les ouvriers chargés d'assembler les lettres appellent un ours. Le mouvement de va-et-vient, qui ressemble assez à celui d'un ours en cage, par lequel les pressiers se portent de l'encrier à la presse et de la presse à l'encrier, leur a sans doute valu ce sobriquet. En revanche, les ours ont nommé les compositeurs des singes, à cause du continuel exercice qu'ils font pour attraper les lettres dans les cent cinquante-deux petites cases où elles sont conteues. A la désastreuse époque de 1793, Séchard, âgé d'environ cinquante ans, se trouva marié. Son âge et son mariage le firent échapJer à la grande réquisition, qui emmena presque tous les ouvriers anx armées. Le vieux pressier resta seul dans l'imprimerie, dont le maître, autrement dit le naïf, venait de mourir en laissant une veuve sans enfants. L'établissement parut menacé d'une destruction immé diate l'ours solitaire était incapable de se transformer en singe; car, en sa qualité d'imprimeur, il ne sut jamais ni lire ni écrire. Sans avoir égard à ses incapacités, un représentant du peuple, pressé de répandre les beaux décrets de la Convention, investit le pressier du brevet de maître imprimeur, et mit sa typographic en réquisition. Après avoir accepté ce périlleux brevet, le citoyen Séchard indemnisa la veuve de son maître en lui apportant les économies de sa femme, avec lesquelles il paya le matériel de l'imprimerie à moitié de la valeur. Ce n'était rien. Il fallait imprimer sans faute ni retard les décrets républicains. En cette conjoncture difficile, Jérôme-Nicolas Séchard eut le bonheur de rencontrer un noble Marseillais qui ne voulait ni émigrer, pour ne pas perdre ses terres, ni se montrer pour ne pas perdre sa tête, et qui ne pouvait trouver de pain que par un travail quelconque. M. le comte de Maucombe endossa donc l'humble veste d'un prole de province il composa, lut et corrigea lui-même les décrets qui portaient la peine de mort contre les citoyens qui cachaient des nobles; l'ours, devenu naïf, les tira, les fit afficher; et tous deux ils resterent sains et saufs. En 1795, le grain de la Terreur étant passé, Nicolas Séchard fut obligé de chercher un autre maître Jacques qui pût être compositeur, correcteur et prote. Un abbé, depuis évêque sous la Restauration, et qui refusait alors de préter le serment, remplaça le comte de Maucombe jusqu'au jour où le premier consul rétablit la religion catholique. Le comte et l'évêque se rencontrèrent plus tard sur le même banc de la Chambre des pairs. Si, en 1802, Jérôme-Nicolas Séchard ne savait pas mieux lire et écrire qu'en 1793, il s'était ménagé d'assez belles étoffes pour pouvoir payer un prote. Le compagnon, si insoucieux de son avenir, était devenu trèsredoutable à ses singes et à ses ours. L'avarice commence où la pauvreté cesse. Le jour où l'imprimeur entrevit la possibilité de se faire une fortune, l'intérêt développa chez lui une intelligence matérielle de son état, mais avide, soupçonneuse et pénétrante. Sa pratique narguait la théorie. Il avait fini par toiser d'un coup d'oeil le prix d'une page et d'une feuille selon chaque espèce de caractère. Il prouvait à ses ignares chalands que les grosses lettres coûtaient plus cher à remuer que les fines; s'agissait-il des petites, il disait qu'elles étaient plus difficiles à manier. La composition étant la partie typographique à laquelle il ne comprenait riep, il avait si peur de se tromper qu'il ne faisait jamais que des marchés léonins. Si ses compositeurs travaillaient à l'heure, son œil ne les quittait jamais. S'il savait un fabricant dans la gêne, il achetait ses papiers à vil prix et les emmagasinait. Aussi, dès ce temps, possédait-il déjà la maison où l'imprimerie était logée depuis un temps immémorial. Il eut toute espèce de bonheur; il devint veuf et n'eut qu'un fils; il le mit au lycée de la ville, moius pour lui donner de l'éducation que pour se préparer un successeur; il le traitait sévèrement afin de prolonger la durée de son pouvoir paternel; aussi, les jours de congé, le faisait-il travailler à la casse en lui disant d'apprendre à gagner sa vie pour pouvoir un jour récompenser son pauvre père, qui se saignait pour l'élever. Au départ de l'abbé. Séchard choisit pour prote celui de ses quatre compositeurs que le futur évêque lui signala comme ayant autant de probité que d'intelligence. Par ainsi, le bonhomme fut en mesure d'atteindre le moment où son fils pourrait diriger l'établissement, qui s'agrandirait alors sous des mains jeunes et habiles. David Séchard fit au lycée d'Angoulême les plus brillantes études. Quoiqu'un ours, parvenu sans connaissances ni éducation, méprisât considérablement la science, le père Séchard envoya son fils à Paris pour y étudier la haute typographie; mais il lui fit que si violente recomman dation d'amasser une bonne somme dans un pays qu'il appelait le paradis des ouvriers, en lui disant de ne pas compter sur la bourse paternelle, qu'il voyait sans doute un moyen d'arriver à ses fins dans ce séjour au pays de sapience. Tout en apprenant son métier, David acheva son éducation à Paris. Le prote des Didot devint un savant. Vers la fin de l'année 1819. David Séchard quitta Paris sans y avoir coûté un rouge liard à son père, qui le rappelait pour mettre entre ses mains le timon des affaires. L'imprimerie de Nicolas Séchard possédait alors le seul journal d'annonces judiciaires qui existat dans le département, la pratique de la préfecture et celle de l'évêché, trois clientèles qui devaient procurer une grande fortune à un jeune homme actif.

Précisément à cette époque, les frères Cointet, fabricants de pa

piers, achetèrent le second brevet d'imprimeur à la résidence d'Angoulême, que jusqu'alors le vieux Séchard avait su réduire à la plus complète inaction, à la faveur des crises militaires qui, sous l'Empire, comprimèrent tout mouvement industriel; par cette raison, il n'en avait point fait l'acquisition, et sa parcimonie fut une cause de ruine pour la vieille imprimerie. En apprenant cette nouvelle, le vieux Séchard pensa joyeusement que la lutte qui s'établirait entre son établissement et les Cointet serait soutenue par son fils, et non par lui.

J'y aurais succombé, se dit-il; mais un jeune homme élevé chez MM. Didot s'en tirera. Le septuagénaire soupirait après le moment où il pourrait vivre à sa guise. S'il avait peu de connaissances en haute typographie, en revanche il passait pour être extrêmement fort dans un art que les ouvriers ont plaisamment nommé la soûlo. graphie, art bien estimé par le divin auteur du Pantagruel, mais dont la culture, persécutée par les sociétés dites de tempérance, est de jour en jour plus abandonnée. Jérôme-Nicolas Séchard, fidèle à la destinée que son nom lui avait faite, était doué d'une soif inextinguible. Sa femme avait pendant longtemps contenu, dans de justes bornes, cette passion pour le raisin pilé, goût si naturel aux ours, que M. de Chateaubriand l'a remarqué chez les véritables ours de l'Amé rique; mais les philosophes ont remarqué que les habitudes du jeune age reviennent avec force dans la vieillesse de l'homme. Séchard confirmait cette observation: plus il vieillissait, plus il aimait à boire. Sa passion laissait sur sa physionomie oursine des marques qui la rendaient originale. Son nez avait pris le développement et la forme d'un A majuscule corps de triple canon. Ses deux joues veinées ressemblaient à ces feuilles de vigne pleines de gibbosités violettes, purpurines et souvent panachées. Vous eussiez dit d'une truffe monstrueuse enveloppée par les pampres de l'automne. Cachés sous deux gros sourcils pareils à deux buissons chargés de neige, ses pelits yeux gris, où petillait la ruse d'une avarice qui tuait tout en lui, même la paternité, conservaient leur esprit jusque dans l'ivresse. Sa tête chauve et découronnée, mais ceinte de cheveux grisonnants qui frisottaient encore, rappelait à l'imagination les Cordeliers des Contes de la Fontaine. Il était court et ventru comme beaucoup de ces vieux lampions qui consomment plus d'huile que de meche; car les excès en toute chose poussent le corps dans la voie qui lui est propre. L'ivrognerie, comme l'étude, engraisse encore l'homme gras et maigrit l'homme maigre. Jérôme-Nicolas Séchard portait depuis trente ans le fameux tricorne municipal, qui, dans quelques provinces, se retrouve encore sur la tête du tambour de la ville. Son gilet et son pantalon étaient en velours verdàtre. Enfin, il avait une vieille redingote brune, des bas de coton chinés et des souliers à boucles d'argent. Ce costume, où l'ouvrier se retrouvait encore dans le bourgeois, convenait si bien à ses vices et à ses habitudes, il exprimait si bien sa vie, que ce bonhomme semblait avoir été créé tout habillé : vous ne l'auriez pas plus imaginé sans ses vêtements qu'un oignon sans sa pelure. Si le vieil imprimeur n'eût pas depuis longtemps donné la mesure de son aveugle avidité, son abdication suffrait à peindre son caractère. Malgré les connaissances que son fils devait rapporter de la grande école des Didot, il se proposa de faire avec lui la bonne affaire qu'il ruminait depuis longtemps. Si le père en faisait une bonne, le fils devait en faire une mauvaise. Mais, pour le bonhomme, il n'y avait ni fils ni père, en affaire. S'il avait d'abord vu dans David son unique enfant, plus tard il y vit un acquéreur naturel de qui les intérêts étaient opposés aux siens il voulait vendre cher, David devait acheter à bon marché; son fils devenait donc un ennemi à vaincre. Cette transformation du sentiment en intérêt personnel, ordinairement lente, tortueuse et hypocrite chez les gens bien élevés, fut rapide et directe chez le vieil ours, qui montra combien la soûlographie rusće l'emportait sur la typographie instruite. Quand son fils arriva, le bonhomme lui témoigna la tendresse commerciale que les gens habiles ont pour leurs dupes. il s'occupa de lui comme un amant se serait occupé de sa maîtresse; il lui donna le bras, il lui dit où il fallait mettre les pieds pour ne pas se crotter; il lui avait fait bassiner son lit, allumer du feu, préparer un souper. Le lendemain, après avoir essayé de griser son fils durant un plantureux diner, Jérôme-Nicolas Séchard, fortement aviné, lui dit un : · Causons d'affaires! qui passa si singulièrement entre deux hoquets, que David le pria de remettre les affaires au lendemain. Le vieil ours savait trop bien tirer parti de son ivresse pour abandonner une bataille préparée depuis si longtemps. D'ailleurs, après avoir porté son boulet pendant cinquante aus, il ne voulait pas, dit-il, le garder une heure de plus. Demain son fils serait le naif.

Ici peut-être est-il nécessaire de dire un mot de l'établissement. L'imprimerie, située dans l'endroit où la rue de Beaulieu débouche sur la place du Mûrier, s'était établie dans cette maison vers la fin du règne de Louis XIV. Aussi, depuis longtemps, les lieux avaient-ils été disposés pour l'exploitation de cette industrie. Le rez-de-chaussée formait une immense pièce éclairée sur la rue par un vieux vitrage, et par un grand châssis sur une cour intérieure. On pouvait d'ailleurs arriver au bureau du maître par une allée. Mais en province les procédés de la typographie sont toujours l'objet d'une curiosité si vive, que les chalands aimaient mieux entrer par une porte vitrée

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