Images de page
PDF
ePub

douteux cependant que ce principe fut inséré dans la fameuse Ordonnance de la Marine de Louis XIV de 1681,1 qui constitua la règle des cours de l'Amirauté française jusqu'en 1744; or ces cours ne se relâchaient de la rigueur de cette règle que dans les cas où la France avait, par des traités particuliers, pris des engagements d'un caractère exceptionnel.

84.- La seconde dérogation systématique à la règle du Consulat de la Mer est du fait des Hollandais, agissant dans l'intérêt des armateurs de navires neutres, mais aux dépens des commerçants neutres, en se basant sur le principe que le navire et son chargement n'ont pas des intérêts séparés, et que pour trancher la question de savoir si le chargement est de bonne prise ou non, on doit ne tenir compte que du caractère hostile ou neutre du navire. La formule qui exprime cette règle peut être posée comme suit:

Navire libre, marchandises libres.

Navire ennemi, marchandises ennemies.

Selon cette règle les marchandises neutres trouvées à bord d'un navire ennemi sont de bonne prise, tandis que les marchandises ennemies à bord d'un navire neutre sont exemptes de confiscation. Grotius en commentant la maxime: <«< navire ennemi, marchandises ennemies », fait observer fort à propos que « pour qu'une chose puisse devenir nôtre par le droit de la guerre, il faut qu'elle ait appartenu à l'ennemi. Les choses qui sont aux mains de notre ennemi, comme, par exemple, dans ses villes ou sous sa protection, mais dont les possesseurs ne sont ni les sujets de notre ennemi, ni animés d'intentions hostiles envers nous, ne peuvent être acquises par la guerre. » Et il ajoute : « C'est pourquoi l'assertion: que les marchandises trouvées sur les navires ennemis doivent être regardées comme propriété ennemie, ne doit pas être acceptée comme une règle établie 1 Lebeau, T. I, p. 80.

2 De jure belli et pacis, L. III, Ch. VI, Tit. V.

du droit des gens, mais comme l'énonciation d'une certaine présomption, qui peut être repoussée par des preuves valables du contraire; il en a été jugé ainsi autrefois par un sénat plénier, lorsque la guerre était engagée avec les Villes Hanséatiques en 1338, et ce jugement était devenu loi. » 1

3

85.- La troisième renonciation systématique à la règle du Consulat de la Mer s'est accomplie du consentement général de toutes les puissances européennes, excepté l'Espagne. Elle a pour point de départ le principe affirmé par la neutralité armée des puissances riveraines de la Mer Baltique en 1780; il y est déclaré que « la propriété des sujets des puissances belligérantes, si elle était trouvée à bord de navires neutres, devait être libre, à l'exception de la contrebande de guerre; mais on laisse intacte l'immunité dont la marchandise neutre jouit en vertu du droit des gens commun, quoiqu'elle soit trouvée à bord d'un navire ennemi. La déclaration de droit maritime, faite par les plénipotentiaires des sept puissances assemblées en Congrès à Paris le 16 avril 1856, sanctionne le principe: que le pavillon neutre couvre le navire et son chargement, bien que le chargement soit propriété ennemie, pourvu qu'il ne soit pas contrebande de guerre : « Le pavillon neutre couvre la marchandise ennemie, à l'exception de la contrebande de guerre.» Par cette déclaration les sept puissances se sont obligées, les unes envers les autres, à ne pas appliquer la règle du Consulat de la Mer, d'après laquelle la propriété ennemie est de bonne prise, si elle est trouvée à bord d'un navire neutre. Rien, toutefois, dans cet écart de la règle du droit commun, n'est contraire au droit naturel. La doctrine de << navire libre, marchandises libres », prise absolument et détachée de la doctrine corrélative de «navire ennemi, marchandises ennemies », implique uniquement que le bel

Ibid., L. III; Ch. VI, Tit. VI.

• Martens, Recueil, T. III, p. 158.

3 Martens, N. R. général, T. XV, p. 792.

ligérant a consenti à renoncer à l'exercice de son droit naturel de s'emparer de la propriété de son ennemi, sil la trouve à bord d'un navire neutre. D'autre part, la déclaration du Congrès de Paris a affirmé la règle du Consulat de la Mer relativement à l'immunité de la propriété neutre trouvée à bord d'un navire ennemi, pourvu qu'elle ne soit pas contrebande de guerre: «La marchandise neutre, à l'exception de la contrebande de guerre, guerre, n'est pas saisissable sous pavillon ennemi. » La déclaration de Paris peut donc être regardée comme un pas fait en avant dans une direction tout à fait salutaire, n'impliquant aucun principe vicieux en contradiction avec le droit naturel. Wheaton, 1 antérieurement à la déclaration de Paris, avait exposé avec raison que le principe de «< navire libre, marchandises libres >> est parfaitement conciliable avec la règle du Consulat de la Mer déclarant libres les marchandises neutres, quoique trouvées à bord d'un navire ennemi. Parlant de la stipulation que les navires neutres font les marchandises neutres, il fait observer que c'est là une concession faite par le belligérant au neutre, laquelle confère au pavillon neutre une capacité que ne lui donne pas le droit des gens primitif. Par contre la stipulation qui assujettit la propriété neutre trouvée sur le navire d'un ennemi à confiscation comme prise de guerre est une concession faite par le neutre au belligérant et enlève au neutre un privilège qu'il possédait d'après le droit des gens; mais ni la raison ni l'usage ne rendent les deux concessions tellement dissolubles qu'elles ne puissent exister l'une sans l'autre.

2

86. Il est dit dans la déclaration de Paris du 16 avril que les principes de droit maritime adoptés par les

3

1856, que

1 Elements of International Law, pt. IV, Ch. III, § 22, sixième édit., 1857.

2 The Nereide, 9. Cranch's Reports, p. 419.

3 Voici le texte de la déclaration : « Considérant que le droit maritime en temps de guerre a été pendant longtemps l'objet de contestations regrettables;

puissances qui ont pris part à cette déclaration, ne seraient obligatoires pour aucun des États qui n'auront pas adhéré à la déclaration; et, de plus, que les gouvernements des États qui avaient accédé à la déclaration la porteront à la connaissance des États qui n'avaient pas participé au Congrès de Paris et les inviteront à y accéder. Par suite de cette invitation, toutes les puissances de l'Europe, excepté l'Espagne, ont donné leur adhésion aux quatre articles de la Déclaration.' Parmi les États de l'hémisphère occidental,

[ocr errors]

Que l'incertitude du droit et des devoirs en pareille matière donne lieu, entre les neutres et les belligérants, à des divergences d'opinion qui peuvent faire naître des difficultés sérieuses et même des conflits;

« Qu'il y a avantage par conséquent à établir une doctrine uniforme sur un point aussi important;

«Que les plénipotentiaires assemblés au Congrès de Paris ne sauraient mieux répondre aux intentions dont leurs gouvernements sont animés qu'en cherchant à introduire dans les rapports internationaux des principes fixes à cet égard;

« Dùment autorisés, les susdits plénipotentiaires (de la Grande-Bretagne, de l'Autriche, de la France, de la Prusse, de la Russie, de la Sardaigne et de la Turquie, assemblés en Congrès à Paris le 16 avril 1856), sont convenus de se concerter sur les moyens d'atteindre ce but; et, étant tombés d'accord, ont arrêté la déclaration solennelle ci-après :

"10 La course est et demeure abolie;

«< 29 Le pavillon neutre couvre la marchandise ennemie, à l'exception de la contrebande de guerre;

<«< 30 La marchandise neutre, à l'exception de la contrebande de guerre n'est pas saisissable sous pavillon ennemi ;

a

40 Les blocus, pour être obligatoires, doivent être effectifs, c'est-àdire maintenus par une force suffisante pour interdire réellement l'accès du littoral de l'ennemi. »

Parliamentary papers. 1856.

1 On trouve dans Martens, N. R. gén., T. XVI, p. 641, la liste des puissances qui avaient accédé à la déclaration jusqu'en 1858; mais une liste plus complète est donnée dans les instructions envoyées du ministère des affaires étrangères d'Angleterre par le comte Russell à Lord Lyons, à Washington le 18 mai 1861, et qui ont été soumises au Congrès des Etats-Unis,au mois de novembre suivant, avec le message du Président, et plus tard présentées aux deux Chambres du Parlement en 1862, comme documents concernant l'Amérique du Nord, no 2, p. 111. Voici cette dernière liste: Bade, Bavière, Belgique, Brême, Brésil, Duché de Brunswick, Chili, Confédération Argentine, Confédération Germanique, Danemark.

la Confédération Argentine, le Brésil, le Chili, l'Équateur, la Nouvelle-Grenade, le Guatemala, Haïti, le Pérou et l'Uruguay ont donné leur adhésien à tous les articles. Par contre, le Mexique, suivant l'exemple de l'Espagne, a notifié son intention d'adopter, comme partie de ses propres lois, les principes insérés dans les trois derniers articles; mais il a refusé d'accéder à la déclaration même, à cause du premier article, qui déclare la course abolie. Les États-Unis ont pareillement déclaré leur intention d'observer les trois derniers articles, et ont laissé entrevoir leur disposition à accéder à la déclaration même, si les autres puissances consentaient à adopter une clause additionnelle portant «< que la propriété privée des sujets ou citoyens d'un belligérant sur la haute mer serait exemptée de saisie par les navires armés publics de l'autre belligérant, à moins qu'elle ne fût de la contrebande. » Cette proposition est appelée quelquefois « l'amendement Marcy », parce qu'elle fut faite par M.Marcy, secrétaire d'État du Président Pierce. Elle futretirée lorsque le Président Buchanan cessa d'être en fonctions en 1857. Il en résulte que l'exercice du droit de belligérant sur la haute mer par les puissances qui ont signé la déclaration de Paris est régi, à l'égard les unes des autres, par les principes affirmés dans cette déclaration; mais, à l'égard des États-Unis d'Amérique, de l'Espagne et du Mexique, par le droit des gens commun, à moins que par des traités préexistants des engagements contraires n'aient été pris avec ces puissances. Les plénipotentiaires des puissances assemblées en Congrès à Paris, le jour de la signature de la dé

Deux-Siciles, République de l'Equateur, Etats Romains, Grèce, Guatémala, Haïti, Hambourg, Hanovre, les Deux Hesses, Lubeck, Mecklembourg-Strélitz, Mecklenbourg-Schwerin, Nassau, Oldenbourg, Parme, Pays-Bas, Pérou, Portugal, Saxe, Saxe-Altenbourg. Saxe-Cobourg-Gotha, Saxe-Meiningen, Saxe-Weimar, Suède, Suisse, Toscane, Wurtemberg, Anhalt-Dessau, Modène, Nouvelle-Grenade, Uruguay. C'est probablement la même liste qui a été produite par le gouvernement français dans un Mémorandum du ministre des Affaires étrangères en date du 12 juin

« PrécédentContinuer »