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99. L'objet du blocus est de réduire l'ennemi à se rendre, en lui coupant les approvisionnements de toute espèce. La guerre étant une lutte par la force à la poursuite du droit, le but principal de la guerre est de contraindre la nation qui a causé un tort à cesser de commettre l'offense, et à donner satisfaction pour celle qu'elle a commise. Dans ce but, le belligérant a le droit de saisir la propriété de l'ennemi comme gage de la réparation du passé et comme garantie d'une bonne conduite à l'avenir, et, si l'ennemi résiste, d'employer la force, voire même, si cela devient nécessaire en cas de défense personnelle, d'ôter la vie à l'ennemi. L'interception de toutes les provisions portées à l'ennemi est une alternative moins rigoureuse, qui a pour effet immédiat de forcer l'ennemi à se soumettre par suite des incommodités auxquelles doit l'exposer le manque de vivres. Le blocus est ainsi une opération hostile moins rigoureuse que l'agression directe. Cette dernière entraîne nécessairement le sacrifice d'existences humaines, et, par la destruction des propriétés qu'elle occasionne également, elle risque d'anéantir les moyens à l'aide desquels l'ennemi peut fournir une réparation de l'offense commise. Le blocus met l'ennemi en état d'épargner, à son gré, l'effusion du sang humain, tandis que le belligérant s'abstient en même temps de détruire des propriétés. Comme de ce qui précède il ressort clairement qu'entre belligérants l'établissement d'un blocus n'est pas un emploi anormal de forces supérieures, et comme l introduction de provisions par des commerçants neutres dans un port bloqué doit nécessairement contribuer à faire échouer le dessein que l'un des belligérants a de réduire son ennemi à composition en lui coupant les vivres, ce serait évidemment, de la part d'un commerçant, nuire au juste droit de ce belligérant que de tenter d'introduire des provisions dans une place bloquée. Une puissance belligérante a droit, en conséquence, de l'en empêcher; et si un commerçant, après avertissement, persiste dans sa tentative, le belligérant peut saisir et confisquer les provisions.

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« Si», dit Grotius, « les provisions qu'on envoie empêchent l'exécution de mon dessein, et si celui qui les envoie a pu le savoir, comme dans le cas où j'aurais assiégé une ville ou bloqué un port et aurais de cette mesure attendu une plus prompte reddition de l'ennemi ou la conclusion de la paix, ce commerçant est obligé de me donner satisfaction pour le dommage que j'éprouve de son fait, tout autant que celui qui ferait sortir de prison un prisonnier incarcéré pour une juste dette, ou qui lui aiderait à s'évader afin de me tromper; et proportionnellement à ma perte je puis saisir ses marchandises et m'en emparer comme si elles m'appartenaient, pour recouvrer ce qu'il me doit. » Deux conditions - il est bon de le remarquer sont prescrites par Grotius dans le cas que nous venons de citer, savoir: les mesures positives de la part du belligérant pour arrêter toutes les fournitures de provisions à son ennemi, et la connaissance de ce fait de la part du commerçant neutre.

100.- Le blocus étant donc un moyen légitime de contraindre un ennemi à se soumettre à certaines conditions, et le recours au blocus étant quelquefois nécessaire, quand l'ennemi, par sa position, est inaccessible à une agression directe, il s'ensuit qu'il est incompatible avec la neutralité, qu'une tierce partie intervienne dans les opérations d'un blocus, et, en introduisant des provisions dans la place bloquée, risque de faire échouer le dessein qu'a en vue la puissance belligérante en ayant recours à cette mesure. La tentative de soulager les besoins d'un ennemi, enfermé dans une place investie par un belligérant, est si évidemment une entrave apportée aux opérations légitimes de la guerre, que la partie qui agit ainsi peut être avec raison traitée comme adhérant pro hac vice à l'ennemi. Grotius, faisant spéciale

1 Quod si juris mei executionem rerum subvectio impedierit, id que scire potuerit qui advexit, ut si oppidum obsessum tenebam, si portus clausos, et jam deditio aut pax expectabatur, tencbitur ille mihi de damno culpâ dato. De jure belli, Liv. III, Ch. I. § V. 3.

ment allusion à l'introduction de provisions dans une place bloquée, dit que: « Si l'injustice de mon ennemi à mon égard est évidente, le neutre qui l'aide dans sa guerre injuste sera coupable d'une offense non seulement civile, mais criminelle, et peut être puni en conséquence »1. Bynkershoek déclare 2 que porter des provisions à un ennemi assiégé a toujours été une offense capitale chez des amis, ainsi que chez des sujets, après qu'avis leur a été donné, et quelquefois même sans avis; et, de plus, que si les provisions sont interceptées par le belligérant, il peut non seulement les confisquer, mais aussi infliger une punition corporelle, sinon la peine capitale, à ceux qui cherchent à les introduire.>> On lit dans Vattel: « Tout commerce est absolument défendu avec une ville assiégée. Quand je tiens une place assiégée ou seulement bloquée, je suis en droit d'empêcher que personne n'y entre, et de traiter en ennemi quiconque entreprend d'y entrer sans ma permission ou d'y porter quoi que ce soit; car il s'oppose à mon entreprise, il peut contribuer à la faire échouer, et par là me faire tomber dans tous les maux d'une guerre malheureuse. »

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La pratique des nations, dans les premiers temps, sanctionnait l'application des peines les plus sévères à tous les commerçants, qui tentaient d'entrer dans un port placé sous blocus par une puissance belligérante. Le roi Démétrius fit pendre le capitaine et le pilote d'un navire qui portait des vivres à Athènes, au moment où il était sur le point de réduire la ville par la famine. De même le grand Pompée, dans la guerre contre Mithridate, plaça des gardes à l'embouchure du Bosphore pour observer si des navires y entraient, et toutes les personnes trouvées à bord des navires capturés étaient mises à mort. Cependant on peut regar

1 De jure belli. Liv. III, Ch. I, § 3.

2 Quæst. jur. publ. Liv. I. Ch. XI.

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3 Droit des gens, Liv. III, Ch. VII, § 117.

'P'utarque, Démétrius.

Plutarque, Pompée.

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der ces châtiments extrêmes comme tombés depuis longtemps en désuétude, quoique des publicistes modernes soutiennent encore le droit absolu qu'ont les belligérants d'y avoir recours. Ainsi Martens1 écrit « qu'un belligérant peut interdire tout commerce avec une place qu'il assiège ou qu'il bloque, et avec les endroits voisins qu'il peut occuper; et, dans tous les cas, il peut confisquer les marchandises et les navires de ceux qui tentent de faire du commerce avec l'ennemi malgré l'avis qu'il a publié de s'en abstenir; il peut même leur infliger des châtiments personnels et la mort. » Heffter dit aussi : « La saisie et la confiscation du navire et du chargement, quelle que soit la nature du chargement ou le caractère de ses propriétaires, constituent la sanction pénale de l'interdiction notifiée par le belligérant. Le capitaine et ses complices peuvent en outre être soumis à des pénalités sévères. L'usage actuel des nations est, en général, d'accord avec ces principes; mais son application a donné lieu à de nombreuses complications et à des discussions ardentes. >>

101. On a observé que l'ancien usage des belligérants d'interdire par proclamation tout commerce avec l'ennemi et de confisquer la propriété de ceux qui contreviennent à la proclamation, a été combattu avec succès au XVIIe siècle comme un exercice immodéré et déraisonnable de la force de la part des belligérants, et il peut être désormais regardé comme réprouvé par la pratique moderne des nations européennes. On peut faire remonter au même siècle la première tentative systématique de réglementer le droit des belligérants relatif au blocus; ce sont les Hollandais qui en prirent l'initiative.

Les États-Généraux des Provinces-Unies, agissant d'après l'avis de leurs Cours de l'Amirauté, publièrent le 26

1 Précis du droit des gens, § 314.
2 Das Europäische Völkerrecht, § 154.

juin 1630 une ordonnance ayant pour objet de régler le blocus des ports de Flandre, alors en la possession de la couronne d'Espagne. Le premier article de cette ordonnance disposait que les navires neutres trouvés sortant des ports ennemis de la Flandre, ou y entrant, ou en étant assez près pour qu'on ne doutât point de leur intention d'y pénétrer, seraient confisqués avec leurs chargements par sentence des dites cours, « attendu que Leurs Hautes Grandeurs tiennent les dits ports continuellement bloqués par leurs navires de guerre au prix de charges excessives pour l'État, afin d'empêcher tout transport à l'ennemi et tout commerce avec lui, et parce que ces ports et ces places sont censés être assiégés: ce qui a été de tout temps un ancien usage, d'après l'exemple de tous les rois, les princes, les puissances et les autres républiques, qui ont exercé le même droit dans des occasions analogues. »1

On voit que cette ordonnance prescrit que trois choses doivent être prouvées devant les Cours de l'Amirauté : 1° l'existence d'un blocus de fait; 2o la connaissance répandue de ce blocus; et 3° l'intention non douteuse de violer le blocus. Ces trois conditions sont en parfait accord avec celles posées par Lord Stowell, le 12 décembre 1798, dans le cas de la Betsey, et approuvées par les Lords de la Cour d'appel pour les procès de prises. « Relativement à la question du blocus », dit-il, « trois choses doivent être prouvées : 1o l'existence d'un blocus effectif; 2° la connaissance de ce blocus par la partie en cause; 3° quelque acte de violation du blocus, soit en entrant dans le port bloqué, soit en en sortant, avec un chargement embarqué après le commencement du blocus. »

102. Le premier point à examiner est donc ce qui

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Robinson's Collectanca Maritima, p. 158. Ces ordonnances sont aussi annexées, dans une note, au cas de the Hurtige Hane, 3 Ch. Rob. 327 * The Betsey, 1 Ch., Rob. p. 93. — The Mercurius, 1 Ch. Rob. p. 82.

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