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châtiment au-delà de ce qu'exige sa sûreté ; et le talion, qui serait injuste entre individus, le serait encore bien davantage entre nations, parce qu'il serait difficile dans ce dernier cas de faire retomber la peine sur les véritables coupables.1 Par contre, les princes sont regardés comme participant aux actes illicites commis par leurs sujets, et les sujets comme justiciables pour les fautes de leurs souverains. Ceux-ci sont tenus, en particulier, de forcer leurs sujets à rendre justice aux sujets des autres souverains; et s'ils négligent d'exercer cette contrainte, ils se rendent coupables d'une très grande faute, au point qu'ils peuvent être en toute raison requis de partager mutuellement les inconvénients, qui doivent résulter de l'adoption par les autres nations d'une règle de conduite réciproque.

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les

Si une nation a refusé de payer une dette aux sujets d'une autre nation, ou leur a causé un tort et a refusé de donner satisfaction ou d'accorder une réparation, la nation lésée peut aviser à faire rendre justice à ses sujets en exerçant des représailles contre l'autre nation. Chaque communauté politique assume la responsabilité des actes de ses membres à l'égard des autres communautés politiques, si, sur une plainte qui lui est adressée, elle ne contraint pas auteurs de l'offense à donner satisfaction. Une nation, comme telle, ne juge les individus qu'en tant que membres d'une nation et appartenant, en cette qualité, soit à sa propre entité politique, soit à quelque autre entité politique indépendante. Si un individu qui est l'offenseur est membre de sa propre communauté, le pouvoir qui est investi du gouvernement d'une nation prend ses mesures pour exiger satisfaction de cet individu conformément aux lois nationales; mais, comme ses lois ne sont en vigueur que sur son territoire, une nation ne peut de même exiger satisfaction d'un membre d'une autre communauté politique indépendante,

Vattel, L. I, § 171; Liv. II, § 339. Kluber, § 234.

qui n'offre point prise sur son territoire. En pareil cas c'est au pouvoir investi du gouvernement de la nation à laquelle appartient l'offenseur, que la nation lésée doit demander satisfaction de l'offense; et si l'autre nation refuse de contraindre son sujet à donner satisfaction, celle-ci assume la responsabilité des actes de son sujet et se fait complice de la lésion qu'il a commise. Une nation lésée est en pareilles circonstances, selon l'usage des gens, autorisée à saisir la personne et les biens des sujets de l'autre nation dans le but de les retenir en gage jusqu'à ce qu'elle ait obtenu satisfaction, ou même, lorsqu'il s'agit de propriétés, de les employer sur-le-champ à payer la dette ou à indemniser le lésé.1

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L'embargo est un des moyens d'action qu'une nation peut employer dans le but d'obtenir satisfaction d'une dette ou d'une lésion. Le terme est emprunté à la procédure espagnole; il signifie arrêt ou séquestre; il s'applique à la saisie ou à la détention de personnes ou de propriétés qui se trouvent sur le territoire d'une nation au moment de la saisie. La portée de ce terme varie beaucoup. On s'en sert fréquemment pour désigner la saisie de navires et de chargements dans les ports d'une nation sous l'autorité de ses lois municipales; ces saisies et la détention qui en est la suite sont qualifiées d'embargos civils. Par contre, l'embargo international n'est pas un acte de procédure civile, mais de détention hostile. Il peut s'effectuer pour le même objet que les représailles sur la haute mer, savoir: pour le paiement d'une dette, ou pour la réparation d'une lésion; mais il peut aussi s'effectuer dans des cas où les représailles ne pourraient s'accorder avec justice, et souvent comme prélude de la guerre. Toutefois ce n'est pas en soi un acte de guerre ; mais les effets en ont tout d'abord un caractère équivoque : si le différend se termine par une réconciliation, la saisie, quoique hostile en la forme, paraît avoir été, au fond, sim

1 Grotius, L. III, Ch. II, § 14.- Pufendorf, L. I, Ch. XIII § 10.- Vattel, L. II, § 342.

plement un séquestre provisoire, nullement de nature à rompre les relations d'amitié. Par contre, si le différend aboutit à la guerre, les hostilités qui suivent ont pour effet de faire considérer l'embargo rétrospectivement comme un séquestre hostile dès le principe, ab initio. Les biens saisis dans ce cas sont sujets à être envisagés comme ceux de personnes ayant commis une offense dès l'origine (ab initio) et coupables de torts qu'elles ont refusé de réparer en revenant amiablement sur les mesures qu'elles ont prises. Tel est le cours nécessaire des choses, selon l'expression de lord Stowell,' s'il n'intervient pas de convention particulière pour la restitution de ces biens saisis avant une déclaration formelle des hostilités. On peut cependant se demander si la doctrine de l'embargo provisoire n'a pas été soutenue d'une façon trop absolue par les cours anglaises des prises. Un embargo, comme moyen d'obtenir réparation, peut être justifiable, quoique les parties, dont la personne et les biens sont saisis et détenus, se soient trouvées par hasard sous le coup de la juridiction de la nation qui met l'embargo, par suite de la sécurité qu'inspiraient les relations de paix existant entre les deux nations. Si le résultat leur est préjudiciable, ces mêmes parties portent indirectement la peine de la lésion pour laquelle leur nation doit réparation; et elles n'ont pas de juste cause de plainte, si ce n'est contre celui qui dans l'origine a fait la lésion, ou contre leur propre nation, qui a négligé de contraindre l'offenseur à rendre justice. Mais l'embargo, effectué simplement en vue de la guerre dans des circonstances où les représailles ne pourraient être justement accordées, ne peut nettement se distinguer d'avec un manque de bonne foi envers les parties qui en sont le sujet. Il ne paraît donc pas déraisonnable de limiter le droit international d'embargo aux cas dans lesquels il est clair que nation qui recourt à l'embargo a droit d'exiger le paiement d'une dette ou la réparation d'une lésion; et dans ces cas le

1 The Boedes Lust, 5. Robinson, p. 246.

la

RÈGLEMENT des différenDS INTERNATIONAUX. droit peut être légitimement exercé pendant l'état de choses ambigu qui précède la guerre ouverte. Le président des Etats-Unis Jefferson s'exprime ainsi au sujet de l'embargo mis sur les navires américains dans les ports anglais en 1807 et en 1808: « Le danger immédiat où nous sommes, d'une rupture avec l'Angleterre est ajourné pour cette année-ci: tel est l'effet de l'embargo, attendu que la question était entre ce mode d'agir et la guerre. Cela peut durer un certain temps, peut-être toute l'année, sans perte pour nos concitoyens; mais seulement leurs biens resteront sans cmploi dans leurs mains. Cependant un moment pourrait venir où la guerre serait préférable à la prolongation de l'embargo. >>

13. Le mot représailles est dérivé du vieux français reprisalles, qu'on trouve dans des documents du XIV⚫ siècle, par exemple, sous l'antique forme de reprisala, dans un statut anglais, 17 Edw. III. St. 2. C. 17 (anno 1355), ainsi que dans un traité entre la France et l'Angleterre du 7 mai 1360.2 Les formes latines de repræsalia ou de repressaliæ, dont cette dernière a été adoptée par Bynkershoek, ne paraissent pas avoir été connues de Grotius, car il se sert du mot pignoratio, emprunté au droit civil de Rome; mais le mot repreysalliæ figure dans une ancienne charte aragonaise, ' dont la date remonte à l'année 1326, de sorte qu'on peut être convaincu que le mode international, qu'indique le terme de représailles, de poursuivre la réparation d'une lésion, était d'usage général en Europe déjà au commencement du XIV° siècle. La pratique des représailles paraît avoir été la forme sous laquelle on exerçait complètement le droit de réparation, et qui était déjà au XIIe siècle connue sous la dénomination de pratique de la marque. Le mot marque,

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Lettre à Charles Pinckney, 30 mars 1808. Correspondance de Jefferson, vol. IV,p.114.-V. aussi Carlos Testa, Le Droit international public maritime. Traduction A. Boutiron, p. 128.

Dumont, Traités, Tome II, pt. I, p. 16,

3 Ducange, vor Marcha, (4).

qui est d'origine française, a été par quelques auteurs confondu avec l'allemand mark ou le latin marcha, dans le sens de frontière; et les lettres de marque ont été par suite interprétées comme signifiant des lettres de licence accordées par un prince souverain à ses sujets pour les autoriser à traverser la frontière de son territoire dans le but d'attaquer un prince voisin ou ses sujets. Suivant d'autres auteurs, l'expression lettres de marque est censée signifier des licences octroyées par un prince indépendant pour frapper d'une marque ou saisir à titre de gage les biens des sujets d'autres princes. Il n'y a pas de doute que le verbe marcare ou marchiare est employé, dans des documents du XIII siècle, dans un sens analogue à celui du terme latin pignorare. Une charte octroyée en l'année 1283 par Pierre (III) le Grand, d'Aragon, aux citoyens de Barcelone, défend d'arrêter ou de saisir en gage les provisions importées par terre ou par mer dans la ville de Barcelone : Victualia quæ apportantur in Barcinona per mare vel per terram... non marcentur neque pignorentur... tam pro alienis debitis quam pro propriis. Nous mentionnerons également le concile de Marciac,' en France, qui eut lieu dans le siècle suivant (en l'an 1326) et qui décréta que personæ ecclesiasticæ vel earum bona pro aliis non marchientur vel pignorentur (cap. LIV).

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L'analogie du droit civil romain, qui dans certains cas autorisait le créancier à agir sommairement contre son débiteur per pignoris capionem, c'est-à-dire à saisir une chose appartenant à son débiteur comme gage pour le paiement de sa dette, ferait plutôt présumer que dans l'origine le mot marcare, en tant que se rattachant au jus marcandi, droit de marque, signifiait arrêter et séquestrer des biens ou des propriétés; et c'est dans ce sens que nous voyons des

Ducange, Glossarium, vox Marcare.

Lubbei Concilia, Tome XI, part. II, p. 1767.
Guii Institut. L. IV, c. 26.

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