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et partout où l'emploi de la force par les belligérants dans une mesure extrême est tombé en désuétude, sa remise en vigueur serait justement regardée comme une innovation aux usages modernes et, partant, comme une infraction au droit coutumier des gens.

Maintenant, si nous envisageons les devoirs que l'état de guerre fait naître entre une puissance belligérante et les sujets d'une puissance neutre, il semble s'être établi entre les puissances neutres et les puissances belligérantes un accord tacite, par suite duquel l'État neutre ne doit point être passible de la faute commise par l'individu, et l'offenseur doit être soumis à l'exercice du droit des belligérants. La confiscation des biens est dans de semblables circonstances la peine que l'État belligérant inflige aux sujets d'une puissance neutre pour toute dérogation à la neutralité. Quant à l'État neutre, il doit s'abstenir de toute intervention entre les capteurs et les capturés, car il est sous-entendu qu'il ne doit pas être tenu pour responsable de la faute de ses sujets, dont les actes ne sauraient l'entraîner dans une guerre contre son gré. Il est du devoir de toute puissance neutre, comme telle, d'observer l'impartialité, et par conséquent, dans le cas où ses sujets se rangent volontairement sous la bannière de l'un des belligérants, de n'élever aucune plainte, s'ils sont traités en ennemis par l'autre belligérant : Mais ce sera toujours pour un État neutre une question d'une nature très délicate à l'égard de ses propres citoyens de renoncer à l'obligation de les protéger contre l'action des forces belligérantes, à moins que cet État ne soit convaincu de la justice et de la légalité des règles de conduite, que la puissance belligérante prescrit aux agents qu'elle a commissionnés. Il s'ensuit que, tandis que la nation neutre permet à une nation belligérante l'exercice sans entrave des droits. de la guerre, sa dignité et sa sûreté exigent qu'un tribunal du droit des gens soit appelé à juger chaque cas et à décider si ses sujets ont été coupables d'une violation de la neutra lité, ou si l'agent commissionné de la puissance belligérante

a outrepassé son mandat. C'est dans ce sens qu'a été faite la première démarche en vue de sauvegarder l'égalité et l'indépendance des puissances neutres au moyen de stipulations de traités, prescrivant que toutes les questions de prises de guerre relatives à la propriété neutre soient soumises par le capteur belligérant à une enquête judiciaire, de manière que le sujet neutre puisse faire entendre sa défense et ne soit privé de sa propriété que dans le cas où sa complicité avec l'ennemi est établie. Nul tort n'est causé au sujet d'une puissance neutre, s'il est puni par le bras fort d'une puissance belligérante pour une violation de la neutralité, du moment que sa mauvaise foi a été prouvée ; mais un capteur belligérant peut causer un tort intolérable à un négociant neutre, en saisissant et en détenant ses biens de mauvaise foi,sous le prétexte que tout belligérant a le droit de soumettre la conduite des sujets d'une puissance neutre à l'épreuve d'une enquête judiciaire. La prompte intervention des tribunaux de prises a pour objet de mitiger ce mal; aussi est-ce une question de bonne foi pour toutes les puissances belligérantes d'empêcher qu'il soit sans raison apporté le moindre retard à l'action de ces tribunaux.

Une grande concession a été faite aux convenances du commerce des neutres par la déclaration des puissances assemblées en Congrès à Paris en 1856, aux termes de laquelle elles ont renoncé, à l'égard les unes des autres, à l'exercice des droits de belligérants contre les marchandises ennemies chargées sur des navires portant le pavillon marchand d'un État neutre. Le négociant neutre a toujours été un instrument influent, pour faire adoucir l'exercice extrême des droits des belligérants, et les victoires remportées par le commerce sont attestées par une longue série de traités et de déclarations, qui servent à marquer les époques où les anciens usages plus rigoureux de la guerre ont été formellement abandonnés par les principales puissances maritimes, dont l'exemple a été d'ailleurs suivi ultérieurement par toutes les nations civilisées, qui ont laissé tomber ces usages en désuétude.

Le droit du belligérant d'empêcher son ennemi de se procurer des provisions en bloquant ses côtes est un droit à l'exercice duquel toute nation proclamant la neutralité doit être prête à acquiescer; mais les intérêts du commerce des neutres, grâce aux vues plus éclairées du siècle actuel relativement aux avantages réciproques résultant du commerce, peuvent être envisagés avec plus de mansuétude et de libéralité qu'ils ne l'avaient été jusqu'à présent par les puissances belligérantes.

Il est éminemment raisonnable qu'une puissance belligérante arrête le transport de provisions conduites par un négociant neutre d'un port neutre au pays ennemi ; mais qu'une puissance belligérante arrête les provisions qu'un négociant neutre transporte des ports ennemis à un pays neutre, cela ne peut être aussi conforme à la raison ni reposer toujours sur les mêmes motifs essentiels de nécessité. La GrandeBretagne et la France avaient, le 1er juin 1854, établi le blocus contre les navires de toutes les nations qui entreraient dans le Danube, tandis qu'il était permis aux navires neutres d'en sortir avec des chargements à destination de ports neutres. C'est pourquoi les navires grecs et ioniens continuèrent de prendre des chargements dans les ports du Danube ; et tant que durèrent les hostilités, les nations neutres de l'Europe ne se virent point interdire l'accès de l'un de leurs greniers habituels. C'est une question qui mérite d'être prise en considération avec calme par les hommes d'État, que celle de savoir si la conduite des puissances alliées en cette occasion touchant l'exercice du droit de blocus n'a pas fourni un exemple de modération digne d'être suivi dans des circonstances d'une nature analogue, où les nations neutres ont besoin de pénétrer dans le pays d'un belligérant pour s'approvisionner régulièrement d'un article de première nécessité.

Une autre question relative à l'exercice du droit de blocus est soulevée par la déclaration du Congrès de Paris que « les blocus, pour être obligatoires, doivent être effectifs », en

d'autres termes, « doivent être soutenus par des forces suffisantes pour empêcher réellement et complètement l'accès de la côte de l'ennemi. » Or les protocoles du Congrès ne fournissent aucune explication au sujet des formalités propres à attester la réalité d'un blocus effectif.

D'une part, il semble raisonnable de supposer que le Congrès ait eu en vue, pour constater la réalité d'un blocus effectif, un autre indice que l'acte même de la capture d'un navire en contravention; d'autre part, dans le cas où la présence d'une escadre de blocus à l'embouchure d'un port est notoire, un commerçant neutre ne peut guère de bonne foi exiger que son navire reçoive un avertissement positif d'un des croiseurs belligérants, pour que la réalité de l'interdiction de l'accès de la côte ennemie soit établie. Toutefois ou peut se demander si toutes les puissances belligérantes signataires de la déclaration de Paris, ne sont pas tenues de bonne foi, après qu'un blocus a été établi de fait, à accorder un délai de grâce, pendant lequel le caractère effectif du blocus devrait être attesté aux commerçants neutres au moyen d'un avertissement positif donné par l'escadre de blocus à tous les navires cherchant à entrer dans un port bloqué, et c'est seulement s'il tentait de forcer le passage de l'escadre de blocus après avoir reçu cet avertissement, qu'un navire neutre devrait être confisqué.

Quant à la contrebande de guerre, aucun commerçant ne saurait avec raison se plaindre d'être traité par une puissance belligérante comme un partisan de l'ennemi, s'il porte à cet ennemi des provisions de guerre ; mais il existe des marchandises d'un usage équivoque, et il peut par la suite, selon les circonstances, s'en présenter d'un caractère nouveau, dont le transport en pays ennemi ne puisse pas toujours paraître clairement au commerçant incompatible avec la neutralité. Les machines à vapeur pour navires, par exemple, sont une invention moderne, considérée pendant quelque temps comme utile uniquement pour les bâtiments de commerce, tandis qu'aujourd'hui elles servent à remplacer

toute autre force motrice pour les vaisseaux de guerre. A notre époque, dans l'intérêt de la bonne foi générale, ne serait-il pas conforme à ce généreux esprit d'équité que les développements considérables et rapides du commerce international exigent de la part des belligérants, que toute puissance belligérante fût tenue, au commencement de la guerre, de notifier à toutes les puissances neutres la liste des marchandises d'un usage équivoque et d'un caractère nouveau, qu'elle se propose de saisir et de confisquer, si elles sont interceptées par ses croiseurs dans le cours de leur transport au pays ennemi. Le droit des puissances belligérantes de notifier une pareille liste aux puissances neutres et de confisquer ces marchandises à la suite de cette notification paraît ne pas avoir été mis en doute au XVII siècle. Sir Leoline Jenkins, après avoir exprimé au roi Charles II d'Angleterre son opinion, que rien ne doit être réputé contrebande de guerre, selon le droit des gens, que ce qui sert aux usages de guerre, ajoute: «< excepté dans le cas de places assiégées, ou d'une notification générale, faite par les Espagnols au monde entier, qu'ils confisqueront toute la poix et tout le goudron qu'ils rencontreront » (29 août 1674). Mais, tandis qu'une puissance belligérante, au détriment de laquelle se fait un commerce prohibé, peut avec raison saisir et confisquer des marchandises d'un certain caractère, quoiqu'appartenant aux sujets d'une puissance neutre, si elles sont en voie de transport vers le pays de l'ennemi, le droit des gens n'impose pas à une puissance neutre, comme telle, l'obligation d'empêcher ses sujets de faire du commerce avec l'une ou l'autre des deux puissances belligé

rantes.

Le transport des marchandises dans les ports d'un État belligérant est en soi un acte parfaitement licite de la part d'un commerçant neutre, et ce n'est qu'à cause des usages accidentels auxquels certaines de ces marchandises peuvent être appliquées par suite de la guerre existant entre deux États, que le droit est acquis au belligérant adverse d'inter

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