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SEPTIÈME LIVRE.

Le septième livre s'ouvre par les Animaux malades de la peste, fable qui passe à juste titre pour un des chefs-d'œuvre de la langue; puis nous remarquons le Rat qui s'est retiré du monde, fable tout aussi parfaite, et que nous reproduisons, le Coche et la Mouche (fab. 9), la Laitière et le L Pot au lait (fab. 10), deux fables qui, par le contraste des deux sujets et la différence du style, montrent toute la souplesse du talent de La Fontaine. Que l'on compare le commencement de ces deux fables. Dans la première, le poète peint, par la marche traînante du vers, la lenteur du mouvement du coche:

Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé,

Et de tous les côtés au soleil exposé,

Six forts chevaux tiraient un coche.1

Dans la seconde, le vers est aussi vif et aussi dégagé que la marche de la laitière:

Perrette, sur sa tête ayant un pot au lait,

Bien posé sur un coussinet,

Prétendait arriver sans encombre à la ville.
Légère et court vêtue, elle allait à grands pas,
Ayant mis ce jour-là, pour être plus agile,
Cotillon simple et souliers plats, etc.

LE RAT QUI S'EST RETIRÉ DU MONDE.
Les Levantins en leur légende
Disent qu'un certain rat, las des soins3 d'ici-bas,
Dans un fromage de Hollande

Se retira loin du tracas.

La solitude était profonde,
S'étendant partout à la ronde,

Notre ermite nouveau subsistait là-dedans.
Il fit tant, de pieds et de dents,

Qu'en peu de jours il eut au fond de l'ermitage
Le vivre et le couvert: que faut-il davantage?
Il devint gros et gras: Dieu prodigue ses biens
A ceux qui font vœu d'être siens.

Un jour, au dévot personnage
Des députés du peuple rat

S'en vinrent demander quelque aumône légère:
Ils allaient en terre étrangère

Chercher quelque secours contre le peuple chat;
Ratopolis était bloquée:

On les avait contraints de partir sans argent,
Attendu l'état indigent

De la république attaquée.

Ils demandaient fort peu, certains que les secours
Seraient prêts dans quatre ou cinq jours.

Mes amis, dit le solitaire,

Les choses d'ici-bas ne me regardent plus:
En quoi peut un pauvre reclus

Vous assister? Que peut-il faire

1 On dit ordinairement traîner une voiture. 2 Les peuples du Levant. • Soin pris dans le sens de souci.

Que de prier le ciel qu'il vous aide en ceci?
J'espère qu'il aura de vous quelque souci.1
Ayant parlé de cette sorte,

Le nouveau saint ferma sa porte.
Qui désigné-je, à votre avis,
Par ce rat si peu secourable?

Un moine? Non, mais un dervis:

Je suppose qu'un moine est toujours charitable.

HUITIEME LIVRE.

La Mort et le Mourant, qui commence le huitième livre, est une des plus belles et certainement la plus grave des fables de La Fontaine. Elle est suivie de la fable si vive et si enjouée: le Savetier et le Financier (fab. 2), que nous reproduisons. Nous remarquons encore dans le même livre l'Ours et l'Amateur des jardins (fab. 10), qui enseigne la grande vérité qu'un sage ennemi vaut souvent mieux qu'un maladroit ami, et le Torrent et la Rivière (fab. 23), qui montre que les apparences sont souvent trompeuses, en bien comme en mal.

LE SAVETIER ET LE FINANCIER."
Un savetier chantait du matin jusqu'au soir:
C'était merveille de le voir,

Merveille de l'outr: il faisait des passages,3
Plus content qu'aucun des sept sages.
Son voisin, au contraire, étant tout cousu d'or,
Chantait peu, dormait moins encor:

C'était un homme de finance.

Si sur le point du jour parfois il sommeillait,
Le savetier alors en chantant l'éveillait;
Et le financier se plaignait

Que les soins de la Providence

N'eussent pas au marché fait vendre le dormir,
Comme le manger et le boire.

En son hôtel il fait venir

Le chanteur, et lui dit: Or çà, sire Grégoire,
Que gagnez-vous par an?

--

Dit avec un ton de rieur

Par an? ma foi, monsieur,

Le gaillard savetier, ce n'est point ma manière
De compter de la sorte; et je n'entasse guère
Un jour sur l'autre; il suffit qu'à la fin
J'attrape le bout de l'année;

Chaque jour amène son pain.

Et bien! que gagnez-vous, dites-moi, par journée?
Tantôt plus, tantôt moins: le mal est que toujours
(Et sans cela nos gains seraient assez honnêtes),
Le mal est que dans l'an s'entremêlent des jours

1 Souci est employé ici pour soin.

2 Cette fable est l'original du célèbre Johann der muntre Seifensieder, qui doit probablement son titre à une bévue du traducteur. Il aura confondu savetier avec savonnier. Le savetier, qui travaillait à Paris dans une petite échoppe de bois, placée dans un coin perdu, est le véritable type de la pauvreté, et non pas le savonnier, auquel il faut un capital pour s'établir et pour exercer son industrie. Des roulements de voix ou roulades.

Qu'il faut chomer; on nous ruine en fêtes;
L'une fait tort à l'autre; et monsieur le curé

De quelque nouveau saint charge toujours son prône.
Le financier, riant de sa naïveté,

Lui dit: Je vous veux mettre aujourd'hui sur le trône.
Prenez ces cent écus; gardez-les avec soin,

Pour vous en servir au besoin.

Le savetier crut voir tout l'argent que la terre
Avait, depuis plus de cent ans,
Produit pour l'usage des gens.

Il retourne chez lui: dans sa cave il enserre1
L'argent et sa joie à la fois.

Plus de chant: il perdit la voix

Du moment qu'il gagna ce qui cause nos peines.
Le sommeil quitta son logis:

Il eut pour hôtes les soucis,

Les soupçons, les alarmes vaines.

Tout le jour il avait l'œil au guet; et la nuit
Si quelque chat faisait du bruit,

Le chat prenait l'argent. A la fin le pauvre homme
S'en courut chez celui qu'il ne réveillait plus:
Rendez-moi, lui dit-il, mes chansons et mon somme,
Et reprenez vos cent écus.

NEUVIÈME LIVRE.

Dans le neuvième livre, nous remarquons surtout les deux Pigeons (fab. 2), touchante peinture de l'amitié, remarquable surtout par la description animée des dangers que court le pigeon voyageur, le Gland et la Citrouille (fab. 4), l'Huître et les Plaideurs (fab. 9), qui démontre ce qu'on gagne à plaider, enfin le Singe et le Chat (fab. 16), qui a donné naissance à la locution proverbiale: tirer les marrons du feu.

DIXIÈME LIVRE.

On

La plus belle fable de ce livre est sans contredit l'Homme et la Couleuvre (fab. 2), réquisitoire amer contre l'orgueil, la dureté, l'égoïsme hautain et impassible des puissants de la terre envers leurs serviteurs. peut citer encore le beau récit le Berger et le Roi (fab. 10), le Marchand, le Gentilhomme, le Pâtre et le Fils de Roi (fab. 16), apologue qui prouvé l'utilité d'un métier. Le Loup & les Burgers

ONZIÈME LIVRE.

Le onzième livre, composé de fables que La Fontaine écrivit lorsqu'il approchait de la vieillesse, renferme encore deux chefs-d'œuvre: le Paysan du Danube (fab. 7) et le Vieillard et les trois jeunes Hommes (fab. 8).

DOUZIÈME LIVRE.

La décadence est sensible dans le douzième livre, formé de fables que La Fontaine composa étant sexagénaire. Cependant on reconnaît encore la manière et, à un certain degré, le talent du poète dans le Thésauriseur et le Singe (fab. 3), le vieux Chat et la jeune Souris (fab. 5) et surtout dans le Corbeau, la Gazelle, la Tortue et le Rat (fab. 15). Le

1 Enserrer, mot assez rare dont le radical est le latin sera (barre, verrou, serrure), et qui veut dire: enfermer.

MME DE SÉVIGNÉ.

NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE.1

MARIE DE RABUTIN CHANTAL, marquise de SÉVIGNÉ, naquit à Paris, le 5 février 1626. Orpheline de père dix-huit mois après sa naissance, elle perdit sa mère à l'âge de sept ans et demi. Son aïeul maternel et plus tard son oncle, l'abbé de Coulanges, se chargèrent de son éducation. Les dispositions précoces de la jeune orpheline furent soigneusement cultivées: Chapelain et Ménage lui enseignèrent le latin et lui donnèrent les premières leçons de littérature. Depuis, elle apprit l'italien et perfectionna son goût par la lecture continuelle des bons auteurs.

A l'âge de dix-huit ans, Mule de Rabutin épousa le marquis de Sévigné, maréchal de camp, homme fastueux et dissipé, qui fut tué dans un duel au bout de sept ans de mariage. Restée veuve à l'âge de vingt-cinq ans avec un fils et une fille, Mme de Sévigné se consacra à l'éducation de ses enfants. Cependant, dès 1651, elle vint à Paris. Elle se fit précieuses et alla dans le monde, aimée et recherchée pour son esprit et son amabilité. En 1669, elle maria sa fille à François Adhémar, comte de Grignan, qui fut, deux ans après, nommé lieutenant-général du roi au gouvernement de la Provence.

Ce fut pour Mme de Sévigné une vive douleur de voir s'éloigner cette fille qu'elle aimait tendrement. Elle chercha dans une active correspondance un dédommagement à son absence et lui écrivit de nombreuses lettres, qui furent publiées après sa mort avec celles qu'elle avait adressées à divers amis. Les Lettres de Mme de Sévigné sont, encore aujourd'hui, regardées comme le modèle du genre. Elles sont écrites avec une grâce inimitable, dans un style facile et naturel, qui rencontre toujours l'expression propre, et avec un talent de description remarquable. Beaucoup de ces lettres offrent un grand intérêt historique; la plupart renferment des traits caractéristiques sur la bonne société d'alors et sur la cour de Louis XIV; quelques-unes parlent de personnages qui ont joué un rôle dans l'histoire; toutes portent au plus haut degré le cachet de la vérité et de la sincérité.

Mme de Sévigné mourut de la petite vérole le 17 avril 1696. Elle était alors en Provence, auprès de sa fille, qui, neuf ans plus tard, fut emportée par la même maladie.

LETTRE ADRESSÉE A. M. DE POMPONE1 (59).

Lundi, 1er décembre 1664.

Il y a deux jours que tout le monde croyait que l'on voulait tirer l'affaire de M. Fouquets en longueur; présentement ce n'est plus la même chose, c'est tout le contraire: on presse extraordinairement les

1 D'après la Biographie universelle et la Notice placée en tête de la nouvelle édition des Lettres de Madame de Sévigné (Ĺes grands écrivains de la France publiés par M. Regnier). C'est le texte authentique des Lettres, tel que M. Monmerqué l'a rétabli, que nous suivons dans notre Manuel. 2 Voyez page 63, note 4. * Voyez page 63. Voyez page 147, note 10. 5 Voyez page 125, la notice biographique sur La Fontaine.

interrogations.

Ce matin M. le chancelier a pris son papier, et a lu, comme une liste, dix chefs d'accusation, sur quoi il ne donnait pas le loisir de répondre. M. Fouquet a dit: »Monsieur, je ne prétends point tirer les choses en longueur; mais je vous supplie de me donner loisir de répondre. Vous m'interrogez, et il semble que vous ne vouliez pas écouter ma réponse; il m'est important que je parle. Il y a plusieurs articles qu'il faut que j'éclaircisse, et il est juste que je réponde sur tous ceux qui sont dans mon procès.<< Il a donc fallu l'entendre, contre le gré des malintentionnés; car il est certain qu'ils ne sauraient souffrir qu'il se défende si bien. Il a fort bien répondu sur tous les chefs. On continuera de suite, et la chose ira si vite, que je crois que les interrogations finiront cette semaine. Je viens de souper à l'hôtel de Nevers; nous avons bien causé, la maîtresse du logis et moi, sur ce chapitre. Nous sommes dans des inquiétudes qu'il n'y a que vous qui puissiez comprendre; car pour toute la famille du malheureux, la tranquillité et l'espérance y règnent.

Je viens de recevoir votre lettre; elle vaut mieux que tout ce que je puis jamais écrire. Vous mettez ma modestie à une trop grande épreuve, en me mandant de quelle manière je suis avec vous et avec notre cher solitaire. Il me semble que je le vois et que je l'entends dire ce que vous me mandez. Je suis au désespoir que ce ne soit pas moi qui aie dit: La métamorphose de Pierrot3 en Tartuffe. Cela est si naturellement dit que si j'avais autant d'esprit que vous m'en croyez, je l'aurais trouvé au bout de ma plume.

Il faut que je vous conte une petite historiette, qui est très vraie, et qui vous divertira. Le Roi se mêle depuis peu de faire des vers; MM. de Saint-Aignan et Dangeau lui apprennent comme il s'y faut prendre. Il fit l'autre jour un petit madrigal, que lui-même ne trouva pas trop joli. Un matin il dit au maréchal de Gramont5: >Monsieur le maréchal, je vous prie, lisez ce petit madrigal, et voyez si vous en avez jamais vu un si impertinent. Parce qu'on sait que depuis peu j'aime les vers, on m'en apporte de toutes les façons.<< Le maréchal, après avoir lu, dit au roi: »Sire, Votre Majesté juge divinement bien de toutes choses: il est vrai que voilà le plus sot et le plus ridicule madrigal que j'aie jamais lu. Le Roi se mit à rire, et lui dit: N'est-il pas vrai que celui qui l'a fait est bien fat? Sire, il n'y a pas moyen de lui donner un autre nom. Eh bien! dit le Roi, je suis ravi que vous m'en ayez parlé si bonnement; c'est moi qui l'ai fait. Ah! Sire, quelle trahison! que Votre Majesté me le rende; je l'ai lu brusquement. Non, Monsieur le maréchal: les premiers sentiments sont toujours les plus naturels.< Le Roi a fort ri de cette folie, et tout le monde trouve que voilà la plus cruelle petite chose que l'on puisse faire à un vieux courtisan. Pour moi, qui aime toujours à faire des réflexions, je voudrais que le Roi en fit là-dessus, et qu'il jugeât par là combien il est loin de connaître jamais la vérité.

1 C'est-à-dire: chefs d'accusation.

-

2 Mme du Plessis Guénégaud.

• Sobriquet du chancelier Séguier, qui s'appelait Pierre; Pierrot est aussi le nom du personnage comique dans la pantomime (Hanswurst).

Le marquis de Dangeau, membre de l'Académie française en 1688. • Antoine III, duc de Gramont, maréchal de France en 1641.

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