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Rarement un héros connaît la défiance:
Parmi ses ennemis il vint plein d'assurance;
Jusqu'au milieu du Louvre il conduisit mes pas.
Médicis en pleurant me reçut dans ses bras,
Me prodigua longtemps des tendresses de mère,
Assura Coligny d'une amitié sincère,
Voulait par ses avis se régler désormais,
L'ornait de dignités, le comblait de bienfaits,
Montrait à tous les miens, séduits par l'espérance,
Des faveurs de son fils la flatteuse apparence.
Hélas! nous espérions en jouir plus longtemps.

Quelques-uns soupçonnaient ces perfides présents;
Les dons d'un ennemi leur semblaient trop à craindre;
Plus ils se défiaient, plus le roi savait feindre.
Dans l'ombre du secret, depuis peu Médicis
A la fourbe, au parjure avait formé son fils,
Façonnait aux forfaits ce cœur jeune et facile;
Et le malheureux prince, à ses leçons docile,
Par son penchant féroce à les suivre excité,
Dans sa coupable école avait trop profité.

Enfin, pour mieux cacher cet horrible mystère,
Il me donna sa sœur, il m'appela son frère.

O nom qui m'as trompé! vains serments! nœud fatal!
Hymen qui de nos maux fus le premier signal!
Tes flambeaux, que du ciel alluma la colère,
Éclairaient à mes yeux le trépas de ma mère.
Je ne suis point injuste, et je ne prétends pas
A Médicis encore imputer son trépas:
J'écarte des soupçons peut-être légitimes,
Et je n'ai pas besoin de lui chercher des crimes.
Ma mère enfin mourut. Pardonnez à des pleurs
Qu'un souvenir si tendre arrache à mes douleurs.
Cependant tout s'apprête, et l'heure est arrivée
Qu'au fatal dénoûment la reine a réservée.

Le signal est donné sans tumulte et sans bruit;
C'était à la faveur des ombres de la nuit.
De ce mois malheureux l'inégale courrière
Semblait cacher d'effroi sa tremblante lumière:
Coligny languissait dans les bras du repos,
Et le sommeil trompeur lui versait ses pavots.
Soudain de mille cris le bruit épouvantable
Vient arracher ses sens à ce calme agréable:
Il se lève, il regarde, il voit de tous côtés
Courir des assassins à pas précipités;

Il voit briller partout les flambeaux et les armes
Son palais embrasé, tout un peuple en alarmes,
Ses serviteurs sanglants dans la flamme étouffés,
Les meurtriers en foule au carnage échauffés,
Criant à haute voix: »Qu'on n'épargne personne;

1 Marguerite de Valois. Elle épousa Henri de Bourbon le 18 août 1572

C. Platz, Manuel de Littérature française. 12e éd.

21

C'est Dieu, c'est Médicis, c'est le roi qui l'ordonne!<<
Il entend retentir le nom de Coligny;

Il aperçoit de loin le jeune Téligny,
Téligny dont l'amour a mérité sa fille,
L'espoir de son parti, l'honneur de sa famille,
Qui, sanglant, déchiré, traîné par des soldats,
Lui demandait vengeance et lui tendait les bras.

Le héros malheureux, sans armes, sans défense,
Voyant qu'il faut périr, et périr sans vengeance,
Voulut mourir du moins comme il avait vécu,
Avec toute sa gloire et toute sa vertu.

Déjà des assassins la nombreuse cohorte
Du salon qui l'enferme allait briser la porte:
Il leur ouvre lui-même, et se montre à leurs yeux
Avec cet œil serein, ce front majestueux,

Tel que dans les combats, maître de son courage,
Tranquille il arrêtait ou pressait le carnage.

A cet air vénérable, à cet auguste aspect,
Les meurtriers surpris sont saisis de respect;
Une force inconnue a suspendu leur rage.

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Compagnons, leur dit-il, achevez votre ouvrage,
Et de mon sang glacé souillez ces cheveux blancs,
Que le sort des combats respecta quarante ans;
Frappez, ne craignez rien, Coligny vous pardonne;
Ma vie est peu de chose, et je vous l'abandonne
J'eusse aimé mieux la perdre en combattant pour vous.<<
Ces tigres, à ces mots, tombent à ses genoux:
L'un, saisi d'épouvante, abandonne ses armes;
L'autre embrasse ses pieds, qu'il trempe de ses larmes;
Et de ses assassins ce grand homme entouré
Semblait un roi puissant par son peuple adoré.

Besme, qui dans la cour attendait sa victime,
Monte, accourt, indigné qu'on diffère son crime;
Des assassins trop lents il veut hâter les coups;
Aux pieds de ce héros il les voit trembler tous.
A cet objet touchant lui seul est inflexible:
Lui seul, à la pitié toujours inaccessible,
Aurait cru faire un crime et trahir Médicis,
Si du moindre remords il se sentait surpris.
A travers les soldats il court d'un pas rapide:
Coligny l'attendait d'un visage intrépide;
Et bientôt dans le flanc ce monstre furieux
Lui plonge son épée, en détournant les yeux,
De peur que d'un coup d'œil cet auguste visage
Ne fit trembler son bras et glaçât son courage.

Du plus grand des Français tel fut le triste sort.
On l'insulte, on l'outrage encore après sa mort.
Son corps percé de coups, privé de sépulture,
Des oiseaux dévorants fut l'indigne pâture:
Et l'on porta sa tête aux pieds de Médicis,
Conquête digne d'elle et digne de son fils.

Médicis la reçut avec indifférence,

Sans paraître jouir du fruit de sa vengeance,
Sans remords, sans plaisir, maîtresse de ses sens
Et comme accoutumée à de pareils présents.

Qui pourrait cependant exprimer les ravages
Dont cette nuit cruelle étala les images?
La mort de Coligny, prémices des horreurs,
N'était qu'un faible essai de toutes leurs fureurs.
D'un peuple d'assassins les troupes effrénées,
Par devoir et par zèle au carnage acharnées,
Marchaient le fer en main, les yeux étincelants,
Sur les corps étendus de nos frères sanglants.
Guise était à leur tête, et, bouillant de colère,
Vengeait sur tous les miens les mânes de son père.
Nevers, Gondi, Tavanne, un poignard à la main,
Échauffaient les transports de leur zèle inhumain;
Et, portant devant eux la liste de leurs crimes,
Les conduisaient au meurtre et marquaient les victimes.

II. ZAÏRE.

Voltaire a emprunté à l'Othello de Shakespeare l'idée de la tragédie de Zaïre: un amant qui, dans un accès de jalousie, tue la femme qu'il adore et dont il est aimé. Tout le reste diffère. Voltaire développe ce thème dramatique en le rattachant à un grand fait historique, les Croisades. L'action se passe à Jérusalem, au XIIIe siècle.

Le premier acte fait l'exposition de la pièce; il développe les sentiments et les qualités qui font que nous nous intéressons aux deux principaux personnages de la tragédie, Zaïre et Orosmane. Zaïre, jeune esclave élevée dans la religion musulmane, mais d'origine chrétienne, confie son bonheur prochain à sa compagne Fatime. Le sultan Orosmane, prince jeune et victorieux, plein de sentiments nobles et généreux, va élever Zaire au rang de sultane. Fatime lui rappelle qu'elle est née chrétienne, qu'elle porte encore sur elle une croix, symbole de la religion de ses pères, et qu'un chevalier français, Nérestan, a promis de venir payer sa rançon. Zafre lui répond qu'ayant perdu ses parents dans sa plus tendre enfance, elle a été élevée dans la loi musulmane; que Nérestan, qui depuis deux ans n'a pas accompli sa promesse, est peut-être hors d'état de la tenir, qu'enfin elle aime Orosmane et qu'elle en est aimée. Bientôt Orosmane entre lui-même en scène; il confirme à Zaire son amour et sa résolution de ne partager le trône qu'avec elle seule, de vaincre ses passions, de régner en véritable souverain qui connaît toute l'étendue de ses devoirs, et de ne pas ressembler à tant de ses prédécesseurs qui se sont laissé corrompre par la volupté.

Zaïre déclare au sultan qu'elle répond à ses nobles sentiments, lorsqu'on annonce Nérestan, jeune chevalier français, autrefois prisonnier d'Orosmane, qui lui a permis d'aller en France chercher sa rançon et celle de dix autres chrétiens. Il apporte la rançon de ses compagnons de captivité ainsi que celle de Zaïre et de Fatime, mais il ne peut plus payer la sienne et vient se reconstituer prisonnier. Orosmane lui répond: Chrétien, je suis content de ton noble courage; Mais ton orgueil ici se serait-il flatté

D'effacer1 Orosmane en générosité?

Reprends ta liberté, remporte tes richesses,
A l'or de ces rançons joins mes justes largesses;

1 En prose on dirait: surpasser en générosité. On efface les actions

de quelqu'un par les siennes.

Au lieu de dix chrétiens que je dus t'accorder,

Je t'en veux donner cent: tu les peux demander.

Cependant le sultan excepte Lusignan, l'ancien roi de Jérusalem, qui doit finir ses jours dans les fers, et Zaïre.

Pour Zaïre, crois-moi, sans que ton cœur s'offense,
Elle n'est pas d'un prix qui soit en ta puissance,
Tes chevaliers français et tous leurs souverains
S'uniraient vainement pour l'ôter de mes mains.

Comme Nérestan s'étonne que Zaïre, née chrétienne, et le vieux Lusignan, dont la liberté lui a pourtant été promise, ne doivent point le suivre, le sultan lui ordonne de sortir le lendemain de Jérusalem et de quitter ses États. Orosmane a bien remarqué que le chevalier chrétien montrait pour Zaïre un intérêt qui semble trahir la passion; mais il ne veut pas s'abaisser jusqu'à la jalousie, et il a foi dans l'amour de Zaïre. Il ordonne à son confident de tout préparer pour la cérémonie qui va faire de Zaïre son épouse et la sultane.

Le second acte est la plus belle partie de la tragédie. Nous le reproduisons en entier.

ACTE II, SCÈNE I.

NÉRESTAN, CHATILLON.

CHATILLON. O brave Nérestan, chevalier généreux,
Vous qui brisez les fers de tant de malheureux,
Vous, sauveur des chrétiens, qu'un Dieu sauveur envoie,
Paraissez, montrez-vous, goûtez la douce joie
De voir nos compagnons pleurant à vos genoux,
Baiser l'heureuse main qui nous délivre tous.
Aux portes du sérail en foule ils vous demandent;
Ne privez point leurs yeux du héros qu'ils attendent,
Et qu'unis à jamais sous notre bienfaiteur.

NÉRESTAN. Illustre Châtillon, modérez cet honneur;
J'ai rempli d'un Français le devoir ordinaire;

J'ai fait ce qu'à ma place on vous aurait vu faire.

CHATILLON. Sans doute: et tout chrétien, tout digne chevalier Pour sa religion se doit sacrifier;

Et la félicité des cœurs tels que les nôtres

Consiste à tout quitter pour le bonheur des autres.
Heureux, à qui le ciel a donné le pouvoir

De remplir comme vous un si noble devoir!

Pour nous, tristes jouets du sort qui nous opprime,
Nous, malheureux Français, esclaves dans Solyme,
Oubliés dans les fers, où longtemps, sans secours,
Le père d'Orosmane abandonna nos jours,
Jamais nos yeux sans vous ne reverraient la France.
NÉRESTAN. Dieu s'est servi de moi, Seigneur; sa providence
De ce jeune Orosmane a fléchi la rigueur.

Mais quel triste mélange altère ce bonheur!
Que de ce fier soudan la clémence odieuse

Répand sur ses bienfaits une amertume affreuse!

Dieu me voit et m'entend; il sait si dans mon cœur
J'avais d'autres projets que ceux de sa grandeur.
Je faisais tout pour lui; j'espérais de lui rendre
Une jeune beauté qu'à l'âge le plus tendre

Le cruel Noradin fit esclave avec moi,
Lorsque les ennemis de notre auguste foi,
Baignant de notre sang la Syrie enivrée,
Surprirent Lusignan, vaincu dans Césarée.
Du sérail des sultans sauvé par des chrétiens,
Remis depuis trois ans dans mes premiers liens,
Renvoyé dans Paris sur ma seule parole,
Seigneur, je me flattais, espérance frivole!
De ramener Zaire à cette heureuse cour
Où Louis1 des vertus a fixé le séjour.
Déjà même la reine, à mon zèle propice,
Lui tendait de son trône une main protectrice.
Enfin, lorsqu'elle touche au moment souhaité
Qui la tirait du sein de la captivité,

On la retient

Que dis-je?.... Ah! Zaïre elle-même,
Oubliant les chrétiens pour ce soudan qui l'aime . . .
N'y pensons plus . . . Seigneur, un refus plus cruel
Vient m'accabler encore d'un déplaisir mortel;

Des chrétiens malheureux l'espérance est trahie.

CHATILLON. Je vous offre pour eux ma liberté, ma vie; Disposez-en, Seigneur, elle vous appartient.

NÉRESTAN. Seigneur, ce Lusignan, qu'à Solyme on retient,

Ce dernier d'une race en héros si féconde,

Ce guerrier dont la gloire avait rempli le monde,

Ce héros malheureux, de Bouillon descendu,

Aux soupirs des chrétiens ne sera point rendu.

CHATILLON. Seigneur, s'il est ainsi, votre faveur est vaine!
Quel indigne soldat voudrait briser sa chaîne,
Alors que dans les fers son chef est retenu?
Lusignan, comme à moi, ne vous est pas connu.
Seigneur, remerciez le ciel dont la clémence
A pour votre bonheur placé votre naissance
Longtemps après ces jours, à jamais détestés,
Après ces jours de sang et de calamités,
Où je vis sous le joug de nos barbares maîtres
Tomber ces murs sacrés conquis par nos ancêtres.
Ciel! si vous aviez vu ce temple abandonné,
Du Dieu que nous servons le tombeau profané,
Nos pères, nos enfants, nos filles et nos femmes,
Au pied de nos autels expirant dans les flammes,
Et notre dernier roi, courbé du faix des ans,
Massacré sans pitié sur ses fils expirants!
Lusignan, le dernier de cette auguste race,
Dans ces moments affreux ranimant notre audace,
Au milieu des débris des temples renversés,

Des vainqueurs, des vaincus, et des morts entassés,
Terrible, et d'une main reprenant son épée,

Dans le sang infidèle à tout moment trempée,

1 Louis IX, que les Français appellent saint Louis, régna de 1226 à 1270. Il mourut pendant la septième croisade entreprise contre Tunis.

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