Images de page
PDF
ePub

introduire, dans les moyens comme dans le but politique, la justice à la place de l'égoïsme, la publicité au lieu du mensonge. Il n'en est pas moins vrai que c'était déjà un grand progrès que de renoncer au continuel emploi de la force, d'invoquer surtout la supériorité intellectuelle, de gouverner par les esprits, et non par le bouleversement des existences. C'est là, au milieu de ses crimes et de ses fautes, en dépit de sa nature perverse, et par le seul mérite de sa vive intelligence, ce que Louis XI a commencé.

II. MÉMOIRES POUR SERVIR A L'HISTOIRE DE MON TEMPS.

TENTATIVE D'INSURRECTION FAITE EN 1836 A STRASBOURG PAR LE PRINCE LOUIS NAPOLÉON. (Chapitre XXIV.)

De la Suisse où il résidait et des eaux de Bade où il se rendait souvent, le prince Louis1 entretenait en France, et particulièrement à Strasbourg, des relations assidues. Ni parmi ses adhérents, ni en lui-même, rien ne semblait lui promettre de grandes chances de succès; des officiers vieillis, des femmes passionnées, mais sans situation dans le monde, d'anciens fonctionnaires sans emploi, des mécontents épars n'étaient pas des agents bien efficaces contre un pouvoir qui comptait déjà six ans de durée et qui avait vaincu, au grand jour, tous ses ennemis, républicains et légitimistes, conspirateurs et insurgés. Le prince Louis était jeune, inconnu en France, et de l'armée et du peuple; personne ne l'avait vu; il n'avait jamais rien fait; quelques écrits sur l'art militaire, des Rêveries politiques, un Projet de constitution et les éloges de quelques journaux démocratiques n'étaient pas des titres bien puissants à la faveur publique et au gouvernement de la France. Il avait son nom; mais son nom même fat demeuré stérile sans une force cachée et toute personnelle; il avait foi en lui-même et dans sa destinée. Tout en faisant son service comme capitaine dans l'artillerie du canton de Berne et en publiant des pamphlets dont la France s'occupait peu, il se regardait comme l'héritier et le représentant, non seulement d'une dynastie, mais des deux idées qui avaient fait la force de cette dynastie, la Révolution sans l'anarchie et la gloire des armes. Sous des formes calmes, douces et modestes il alliait un peu confusément une sympathie active pour les innovations et les entreprises révolutionnaires aux goûts et aux traditions du pouvoir absolu, et l'orgueil d'une grande race s'unissait en lui à l'instinct ambitieux d'un grand avenir. Il se sentait prince et se croyait, avec une confiance invincible, prédestiné à être empereur.

Ce fut avec ce sentiment et cette foi que, le 30 octobre 1836 à six heures du matin, sans autre appui qu'un colonel et un chef de bataillon gagnés d'avance à sa cause, il traversa les rues de

1 Louis-Napoléon, né à Paris en 1808, empereur des Français sous le nom de Napoléon III de 1852 à 1870, mort en 1873 à Chislehurst, est le troisième fils du frère de Napoléon Ier, Louis-Napoléon Bonaparte, roi de Hollande, et de la reine Hortense, fille de Joséphine Beauharnais.

Strasbourg et se présenta à la caserne du 4° régiment d'artillerie où, après deux petites allocutions du colonel Vaudrey et de lui-même, il fut reçu aux cris de Vive l'Empereur! Quelques-uns de ses partisans et, selon quelques rapports, lui-même, se portèrent aussitôt chez le général commandant et chez le préfet, et n'ayant pas réussi à les séduire, ils les firent assez mal garder dans leur hôtel. En arrivant à la seconde caserne qu'il voulait enlever, la caserne Finckmatt, occupée par le 46° régiment d'infanterie de ligne, le prince Louis n'y trouva pas le même accueil; prévenu à temps, le lieutenant-colonel Taillandier repoussa fermement toutes les tentations et maintint la fidélité des soldats; le colonel Paillot et les autres officiers du régiment arrivèrent, également loyaux et résolus. Sur le lieu même, le prince et ceux qui l'accompagnaient furent arrêtés. A ce bruit bientôt répandu, les mouvements d'insurrection tentés dans divers corps et sur divers points de la ville cessèrent à l'instant; le général et le préfet avaient recouvré leur liberté et prenaient les mesures nécessaires. Parmi les adhérents connus du prince Louis dans cette entreprise de quelques heures, un seul, M. de Persigny, son confident et son ami le plus intime, réussit à s'échapper. Les autorités de Strasbourg, en envoyant au gouvernement du Roi leurs rapports, lui demandaient ses instructions sur le sort des prisonniers.

Quant à la conduite à tenir envers les divers prisonniers, notre délibération ne fut pas longue. En apprenant l'issue de l'entreprise et la captivité de son fils, la reine Hortense accourut en France sous un nom supposé, et s'arrêtant près de Paris, à Viri, chez la duchesse de Raguse, elle adressa de là, au Roi et à M. Molé, ses instances maternelles. Elle n'en avait pas besoin; la résolution de ne point traduire le prince Louis devant les tribunaux et de l'envoyer aux États-Unis d'Amérique était déjà prise. C'était le penchant décidé du Roi, et ce fut l'avis unanime du cabinet. Pour mon compte, je n'ai jamais servi ni loué l'empereur Napoléon Ier; mais je respecte la grandeur et le génie, même quand j'en déplore l'emploi, et je ne pense pas que les titres d'un tel homme aux égards du monde descendent tous avec lui dans le tombeau. L'héritier du nom et, selon le régime impérial, du trône de l'empereur Napoléon, devait être traité comme de race royale, et soumis aux seules exigences de la politique. Il fut extrait, le 10 novembre, de la citadelle de Strasbourg et amené en poste à Paris où il passa quelques heures dans les appartements du préfet de police, sans recevoir aucune autre visite que celle de M. Gabriel Delessert. Reparti aussitôt pour Lorient, il y arriva dans la nuit du 13 au 14, et fut embarqué le 15 à bord de la frégate l'Andromède, qui devait se rendre au Brésil en touchant à New-York. Quand la frégate fut sur le point d'appareiller, le souspréfet de Lorient, M. Villemain, en rendant ses devoirs au prince Louis, et avant de prendre congé de lui, lui demanda si, en arrivant aux États-Unis, il y trouverait, pour les premiers moments, les ressources dont il pourrait avoir besoin: »Aucune,«< lui dit le prince. >>Eh bien! mon prince, le Roi m'a chargé de vous remettre quinze mille francs qui sont en or dans cette petite cassette.<«< Le prince prit la cassette; le sous-préfet revint à terre, et la frégate fit voile.

LAMARTINE.

NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE.1

ALPHONSE DE PRAT, qui s'est donné lui-même le nom de LAMARTINE, emprunté à un oncle maternel, naquit en 1790, à Mâcon, en Bourgogne. Son père avait été officier sous l'ancienne monarchie. Le jeune Lamartine reçut sa première éducation au sein de sa famille, qui vivait retirée dans une terre près de Mâcon. Il l'acheva à Belley, dans une institution dirigée par des ecclésiastiques, passa quelque temps à Paris et à Lyon, et fit deux voyages en Italie. Après être revenu en France, en 1814, pour servir le roi Louis XVIII, il entra dans les gardes du corps; mais déjà en 1815 il avait quitté le service.

Après cinq années nouvelles de rêveries, de plaisirs et de voyages, Lamartine révéla sa vocation dans son premier recueil de Méditations poétiques (1820), qui fut reçu avec un enthousiasme universel et rappela par les succès comme par l'inspiration religieuse, le Génie du christianisme de Chateaubriand. Ce succès ouvrit au poète la carrière diplomatique. Attaché à la légation de Florence, Lamartine épousa, dans cette ville, une jeune et riche Anglaise, enthousiaste de son talent poétique. Il fut successivement secrétaire d'ambassade à Naples et à Londres, et chargé d'affaires en Toscane.

En 1823 parurent les Nouvelles Méditations, qui, malgré les belles poésies qu'elles renfermaient, furent moins bien accueillies que leurs aînées. Elles furent suivies de deux petits poèmes remarquables, la Mort de Socrate et le Dernier chant du pèlerinage d'Harold. Dans ce dernier, une sévère appréciation de l'Italie moderne excita les susceptibilités patriotiques du colonel Pepe, qui provoqua le poète en duel et le blessa dangereusement. En 1825, Lamartine écrivit, à l'occasion du couronnement de Charles X, le Chant du sacre, qui lui valut la croix de la Légion d'honneur. Après diverses poésies détachées, il publia, en 1829, le recueil des Harmonies poétiques et religieuses, dans lesquelles il se montra le dévoué et brillant défenseur du trône et de l'autel. La même année, le poète fut élu membre de l'Académie française.

Lorsque éclata la révolution de 1830, il venait d'être nommé ministre plénipotentiaire en Grèce. La monarchie de Juillet lui fit des avances, qu'il refusa par respect pour lui-même et pour la cause qu'il avait servie. Il se présenta comme candidat à la députation, mais il échoua successivement à Toulon et à Dunkerque.

Repoussé, pour le moment, de la vie publique, Lamartine entreprit, en 1832, un voyage en Orient. Il s'embarqua avec sa famille à Marseille, sur un navire qu'il avait équipé et armé lui-même. En Orient, le poète, l'émir français comme disaient les Arabes, voyageait en souverain, achetant des maisons pour y descendre, et ayant à son service une suite nombreuse. Le fruit de ce voyage, qui dura seize mois, fut un livre intitulé: Voyage en Orient, souvenirs, impressions,

1 En partie d'après Vapereau, Dict. des Contemporains. 2 V. page 447.

pensées et paysages. Cet ouvrage qui parle un peu de tout, de religion, d'histoire, de philosophie, de politique, de poésie, renferme de belles pages où des pensées neuves et hardies sont revêtues d'une forme brillante, à côté d'autres pages qui ne donnent autre chose que des notes incohérentes sans aucun travail de rédaction, telles qu'un voyageur les écrit en route sur son carnet. Cette négligence de composition et plus encore les grandes inexactitudes géographiques de ce livre ne permettent pas de le placer sur la même ligne que l'Itinéraire de Chateaubriand.1

Pendant son absence, Lamartine avait été élu député à Dunkerque. Il n'entra dans aucun des grands partis qui divisaient la chambre; il se plaça entre le ministère et les différentes fractions de l'opposition, blamant l'immobilité de l'un, sans se ranger sous les drapeaux des autres. Ses discours étaient de brillantes improvisations qui trahissaient le poète plutôt que le politique, charmaient les députés, étaient avidement lues au dehors, mais n'avaient aucune influence sur les votes de la chambre.

En 1835, Lamartine publia le poème de Jocelyn, qu'il donnait sous la forme d'un journal trouvé chez un curé de village et comme le fragment d'une grande épopée. C'était pourtant un poème complet en lui-même, débordant de vie et de passion, unissant au lyrisme le mouvement dramatique, intéressant surtout par une saisissante peinture des luttes intérieures du héros, et où l'élévation de la pensée était presque partout soutenue par la beauté du langage. Cependant on y trouve déjà bien des inégalités. La décadence du poète est visible dans la Chute d'un ange, épisode antédiluvien du grand poème universel que l'auteur promettait toujours. Cette œuvre extravagante, pour ne pas dire absurde, très négligée dans la forme, fut accueillie froidement, même par les admirateurs les plus enthousiastes du talent du poète. Les Recueillements poétiques (1839), dernier essai de poésie intime de Lamartine, étaient précédés d'une Préface qui déclarait, au nom du devoir social imposé à tous, la poésie vassale de la politique.

C'est avec cet ouvrage que finit proprement la carrière littéraire de Lamartine. A cette époque il se transforma tout à fait en homme politique, s'éloigna entièrement de ses anciens principes royalistes et conservateurs, et devint un des plus fervents propagateurs des idées révolutionnaires. C'est à cette période de sa vie qu'appartient l'Histoire des Girondins, qu'un critique éclairé appela, lors de sa publication, »le mauvais livre par excellence.« En effet, comme œuvre historique, la valeur de l'Histoire des Girondins est nulle; ce n'est qu'un long pamphlet politique écrit d'une manière séduisante, prêchant l'indulgence pour les acteurs les plus criminels du drame sanglant de 1793, et allant presque jusqu'à l'apothéose de Robespierre.

En 1848, Lamartine prit une part active à la révolution de Février. Ce fut lui qui, dans l'orageuse et dernière séance de la chambre des députés, dicta une première liste de noms, parmi lesquels était le sien, pour la formation d'un gouvernement provisoire. Dans les premiers jours d'anarchie qui suivirent la victoire du peuple, Lamartine montra une énergie morale et physique, une éloquence et

1 Voyez page 447 et page 449.

un sang-froid extraordinaires. En face des anarchistes de la place publique, l'auteur révolutionnaire de l'Histoire des Girondins redevint conservateur. Le jour où il eut le courage de repousser le drapeau rouge, que des milliers d'énergumènes armés venaient à l'hôtel de ville imposer au gouvernement provisoire, dont la seule arme était la puissante parole de Lamartine, ce jour est peut-être le plus glorieux de sa vie. Il fut moins heureux dans ses efforts pour empêcher la proclamation immédiate de la république; la pression populaire devint telle qu'il fut obligé de céder: mais il ne le fit qu'après une lutte courageuse, et il osa dire aux masses armées qu'elles confisquaient par cette proclamation les droits de trente-quatre millions de Français.

La popularité que cette conduite courageuse valut à Lamartine pendant quelques mois fut immense; la bourgeoisie surtout voyait en lui son seul et dernier rempart contre l'anarchie ou la tyrannie des partis, et, le jour des élections, douze départements à la fois l'envoyèrent à l'assemblée nationale. Mais sa fortune politique fut de courte durée. Membre de la commission exécutive, au sein de laquelle il dut tenir tête au chef de la Montagne, Ledru-Rollin, il fut renversé du pouvoir avec ses collègues par l'explosion de l'émeute socialiste de Juin, que la commission exécutive n'avait su ni prévenir ni combattre avec succès. Sous la dictature du général Cavaignac, Lamartine ne jouait déjà plus qu'un rôle secondaire, et il fut entièrement effacé, après que Louis-Napoléon eut été élu président de la république française, fatiguée de sa propre existence. Déjà aux élections de 1849, pour l'assemblée législative, Lamartine ne trouva plus un seul département pour accepter ou soutenir sa candidature à la députation., Il lui fallut donc rentrer dans la vie privée, à laquelle le coup d'État du 2 décembre 1851 le condamna irrévocablement.

Alors commence la troisième et la plus triste période de la vie de Lamartine, celle qu'en opposition aux périodes littéraire et politique, on pourrait appeler la période industrielle. L'illustre poète, que des habitudes de dépense et de faste avaient chargé de dettes énormes, se vit réduit à exploiter la célébrité de son nom et à se livrer à des productions littéraires lucratives. Dans les ouvrages de cette période on rencontre bien, de temps à autre, des pages éloquentes, p. e. dans les Confidences et dans Raphaël, mais il n'y en a aucun qui soit digne de figurer à côté des créations des premières années. Ce fut surtout l'histoire qu'il exploita, en donnant successivement l'Histoire de la Révolution de 1848, l'Histoire de la Restauration, l'Histoire de la Turquie, l'Histoire de la Russie, compilations qui n'ont aucune valeur scientifique. Après de longues luttes contre une misère relative, après des souscriptions ouvertes en sa faveur, mais insuffisantes à ses besoins, Lamartine reçut enfin en 1867, à titre de récompense nationale, la dotation viagère de la rente d'un capital considérable, laquelle lui permit de renoncer à ses spéculations de librairie et de prendre le repos dont il avait si grand besoin. Il vécut encore deux ans dans un état de maladie et d'affaiblissement et mourut le 1er mars 1869..

« PrécédentContinuer »