II. Encor Napoléon! encor sa grande image! Nous a coûté de sang et de pleurs et d'outrage Ce fut un triste jour pour la France abattue, Comme un voleur honteux, son antique statue Alors on vit au pied de la haute colonne, L'étranger, au long bruit d'un hourra monotone, Et quand sous mille efforts, la tête la première, Le Hun, le Hun stupide, à la peau sale et rance, Au rebord des ruisseaux, devant toute la France, Ah! pour celui qui porte un cœur sous la mamelle Au front de tout Français, c'est la tache éternelle Je l'ai vue arracher l'écorce de nos arbres, J'ai vu l'homme du Nord, à la lèvre farouche, Nous manger notre pain, et jusque dans la bouche Eh bien! dans tous ces jours d'abaissement, de peine, Je n'ai jamais chargé qu'un être de ma haine III. .... O Corse à cheveux plats!3 que ta France était belle, latin palātum. Mais Diez n'approuve pas cette dernière dérivation, il dit que palais, dans le vieux français, signifiait aussi une grande salle voûtée et que le mot a été figurément dit de la partie supérieure de la bouche. 1 Ce ne fut pas le Hun stupide à la peau sale et rance (les Cosaques ?), ce furent les royalistes français qui, le 31 mars 1814, essayèrent de descendre la statue de l'empereur de la colonne de la place Vendôme. 2 Nos marbres, c'est-à-dire les marbres que nous avions enlevés aux autres, et qu'on eut l'indélicatesse de nous reprendre; v. page 515 et 516. 3 Cheveux plats, allusion à la longue chevelure que portait Bonaparte, général de la république et premier consul. • Messidor, un des mois du calendrier républicain. V. page 544, n. 4. C'était une cavale1 indomptable et rebelle, Une jument sauvage à la croupe rustique, Mais fière, et d'un pied fort heurtant le sol antique, Jamais aucune main n'avait passé sur elle Jamais ses larges flancs n'avaient porté la selle Tout son poil reluisait, et, belle vagabonde, Sur ses jarrets dressée, elle effrayait le monde Centaure impétueux, tu pris sa chevelure, Alors, comme elle aimait les rumeurs de la guerre, Pour champ de course, alors, tu lui donnas la terre, Alors, plus de repos, plus de nuits, plus de sommes, Toujours comme du sable écraser des corps d'hommes, Quinze ans, son dur sabot dans sa course rapide Quinze ans, elle passa fumante, à toute bride, Enfin, lasse d'aller sans finir sa carrière, De pétrir l'univers, et comme une poussière, Tu la pressas plus fort de ta cuisse nerveuse; Tu retournas le mors dans sa bouche baveuse, Elle se releva: mais un jour de bataille, Ne pouvant plus mordre ses freins, 1 Le mot France étant du genre féminin, le poète a dû employer an figuré les féminins cavale et jument. En allemand il faudra employer ici les mots Rog, Schlachtroß. 2 Allusion à la bataille de Waterloo. NISARD. NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE.1 DESIRE NISARD est né en 1806 à Châtillon-sur-Seine. Il fit de brillantes études au collège Sainte-Barbe, à Paris, fut d'abord journaliste et écrivit dans le Journal des Débats, qui servait alors la cause libérale, et fut plus tard attaché à la rédaction du National. Aussi classique et réactionnaire en littérature que libéral en politique, Nisard fut un des principaux antagonistes du romantisme. Son premier livre important, Les Poètes latins de la décadence (1834), offre une comparaison prolongée entre la décadence de la littérature latine et celle qu'il tient à constater dans la littérature française, entre Lucain2 et Victor Hugo. Guizot, alors ministre de l'instruction publique, frappé des doctrines et du talent de l'auteur, le nomma, de préférence à Saint-Beuve, maître de conférences de littérature française à l'École normale. En 1836, Nisard fut nommé chef du secrétariat au ministère de l'instruction publique et maître des requêtes au conseil d'État. L'année suivante, il devint, au ministère de l'instruction publique, chef de la division des sciences et des lettres. fut élu député en 1842; mais il n'aborda la tribune que pour parler sur des matières d'enseignement. Dès 1843, Villemain, alors ministre de l'instruction publique, l'appela à la chaire d'éloquence latine au Collège de France. C'est après cette époque qu'il commença la plus importante de ses publications, l'Histoire de la littérature française, ouvrage des plus remarquables, quoique écrit dans un esprit de partialité pour les classiques, et qui assigne à son auteur une place parmi les meilleurs prosateurs français de notre temps. Cet ouvrage n'a été achevé qu'en 1861. La révolution de Février enleva à Nisard toutes ses places, à l'exception de sa chaire au Collège de France. En 1850, il fut élu membre de l'Académie française. Après qu'il se fut tenu quatre ans à l'écart de toute agitation politique, il se fit dans les opinions de Nisard un revirement en faveur du pouvoir, et il accepta de nouveau des fonctions publiques. Il fut nommé, en 1852, inspecteur général de l'enseignement supérieur; il a été, de 1857 à 1867, directeur de l'École normale, et sénateur depuis 1867 jusqu'à la chute du second Empire. Nisard est mort en 1888. GUSTAVE PLANCHE. NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE.1 GUSTAVE PLANCHE, né à Paris en 1808, mort en 1857, était le fils d'un riche pharmacien. Il fit de brillantes études au collège Bourbon, résista à la volonté de son père, qui espérait avoir en lui un successeur dans son officine, et s'occupa exclusivement de beaux-arts et de littérature. A vingt-deux ans, il débuta comme écrivain dans l'Artiste, entra ensuite à la Revue des deux Mondes et publia dans ce recueil un grand nombre de revues de salon et d'appréciations littéraires et musicales. En 1833, il partit pour l'Italie, où il passa près de huit années à étudier les chefsd'œuvre de l'art et où il dépensa tout son patrimoine. A son retour, en 1846, il reprit la plume du critique dans la Revue des deux Mondes. Les comptes-rendus sur la littérature et les arts qu'il donna à ce recueil et à d'autres journaux lui assignent une place éminente parmi les critiques contemporains. 1 D'après Vapereau, Dictionnaire des Contemporains. 2 Lucain (Marcus Annaeus Lucanus), né l'an 38 après J.-C. à Cordoue, en Espagne, auteur de la Pharsale (Pharsalia), poème épique en dix livres, dont le sujet est la guerre entre Pompée et César. 2 ALFRED DE MUSSET. NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE.1 LOUIS-CHARLES-ALFRED DE MUSSET naquit à Paris en 1810. Il fut au collège Henri IV le condisciple du jeune duc d'Orléans, dont l'amitié ne lui manqua jamais depuis. Au sortir du collège il essaya diverses études, la médecine, le droit, la peinture; enfin il fut entraîné par le mouvement littéraire de 1830 vers la poésie. Deux recueils de poèmes qu'il publia successivement révélèrent un grand talent, mais révoltèrent bien des lecteurs par leur immoralité. Célèbre à vingt-trois ans, il devint secrétaire de George Sand3 et fit avec elle le voyage d'Italie; mais il ne tarda pas à se brouiller avec l'illustre écrivain. Les poésies qu'il donna depuis, tout en prouvant que son beau talent se développait, trahirent en même temps une âme déchirée par le combat intérieur des passions et un dédain précoce de la vie. Nous en reproduisons deux sonnets, un petit fragment de la Nuit d'octobre et un autre plus étendu de la Soirée perdue. Alfred de Musset se fit aussi connaître comme prosateur, en publiant les Confessions d'un enfant du siècle (1836), roman qui paraît être sa propre histoire, et par des nouvelles, dont la plupart parurent dans la Revue des Deux Mondes et qui se distinguent par une fine analyse des passions. Enfin il a pris rang parmi les auteurs dramatiques par des comédies-proverbes, pleines d'esprit et de délicatesse, des comédies et des drames, qu'il écrivit sans penser toujours à les faire représenter. Plus tard quelques-unes de ces pièces ont été portées sur la scène, et ont eu, pour la plupart, un très grand succès au Théâtre-Français, où on les joue encore souvent. Nous mentionnons: Il ne faut jurer de rien, On ne badine pas avec l'amour, un Caprice et Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée, que nous reproduisons en partie pour faire connaître au lecteur la prose d'Alfred de Musset. Depuis 1848, la misanthropie du poète semblait avoir augmenté, en même temps que sa verve diminuait. La révolution de Février lui ôta une place de bibliothécaire au ministère de l'intérieur, qu'il avait due à la protection du duc d'Orléans. Louis-Napoléon, devenu empereur, la lui rendit avec le titre de lecteur de l'Impératrice. Depuis longtemps le poète, qui sentait son talent s'éteindre, cherchait dans les excitations de la débauche l'inspiration qui lui manquait. Un dernier volume de vers, qu'il fit paraître en 1850, décèle une lassitude prématurée. Cependant, en 1852, il fut élu membre de l'Académie française. Depuis ce temps, c'est à peine si Alfred de Musset a donné quelques pages de prose. Il est mort en 1857, à l'âge de 47 ans. 1 D'après Vapereau, Dictionnaire des Contemporains. 2 Fils aîné du roi Louis-Philippe. Il mourut en 1842, à la suite d'une chute de voiture, à l'âge de 32 ans. Voyez page 622. 1. FRAGMENT DE LA NUIT D'OCTOBRE. (1837.) Les morts dorment en paix dans le sein de la terre Ces reliques du cœur ont aussi leur poussière; 2. AU LECTEUR. (1840.) Ce livre est toute ma jeunesse; Et j'aurais pu le corriger. Mais quand l'homme change sans cesse, Qui que tu sois, qui me liras, Mes premiers vers sont d'un enfant, Les derniers à peine d'un homme. 3. TRISTESSE. (1840.) J'ai perdu ma force et ma vie, Quand j'ai connu la Vérité, Et pourtant elle est éternelle, Dieu parle, il faut qu'on lui réponde; |