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prophétie de l'Emmanuel, c. 9. Semler ne sait si cet écrit est de Tertullien lui-même ou d'un de ses imitateurs; mais les témoignages extérieurs et les motifs intérieurs se réunissent pour dissiper tous les doutes (12).

B. Ecrits apologétiques et polémiques contre des hérétiques.

1° De Præscriptione hæreticorum, ou adversus hæreticos. Ce livre, s'il faut s'en rapporter à certaines assertions de l'auteur, a été le plus ancien de ses écrits polémiques de cette classe (13), et il est certainement, quant au plan, à l'exécution et au contenu, le plus parfait, le plus spirituel et le plus précieux de tous les ouvrages de Tertullien. Le principe qu'il y développe avec la confiance la plus intime et la pénétration la plus frappante, est incontestablement un boulevard inexpugnable pour l'Église contre toute espèce d'hérésie. C'est, pour nous servir de son expression de prédilection, l'Argumentum præscriptionis. Il est tiré du droit

(12) Hieronym. in Dau., c. 9.

Vincent. Lirin. Commonit., c. 1. Autor. Quæst. in Opp. August. T. III, p. 41. (13) De præscript., c. 44. Sed nunc quidem generaliter actum est adversus hæreses omnes... De reliquo etiam specialiter quibusdam respondebimus. Il dit, à la vérité dans son ouvrage contre Marcion, qu'il l'a composé étant montaniste, I, 2: Sed alius libellus hunc gradum sustinebit adversus hæreticos, etiam sine retractatu doctrinarum revincendos, quod hoc sint de præscriptione novitatis. Mais il ne promet pas par là de donner la théorie des preuves générales contre les hérétiques dans un ouvrage spécial, il dit seulement qu'il ne veut pas se borner en ce moment à des argumens généraux, mais qu'il veut entrer dans les détails nécessaires pour réfuter les maximes en litige. Il annonce aussi son écrit De præscript. advers. Marcion., IV, 5; V, 19. On ne doit pas laisser tromper par le futur sustinebit. De anima, c. 6, adv. Marc. II, 27; V, 19.

romain où la prescription devient un titre, c'est-à-dire qu'après une certaine période de jouissance, le détenteur d'un objet en devient le légitime propriétaire, et que l'onus probandi tombe à la charge de celui qui s'y oppose. C'est en ce sens que Tertullien applique ce terme technique à la situation de l'Église, à l'égard de l'hérésie. L'Église catholique, telle est la pensée fondamentale de Tertullien, n'a pas besoin de prouver sa doctrine aux hérétiques. Elle a en sa faveur la longue possession et la tradition dans la succession apostolique; les hérétiques, au contraire, sont dans une mauvaise position; venus plus tard, n'ayant point eu de communication avec les apôtres, c'est à eux à prouver leurs assertions contre l'Église. On voit que c'est là le même argument dont saint Irénée s'était déjà servi avec succès. Mais Tertullien eut le mérite de l'avoir développé et de l'avoir étendu sur tout l'ensemble de l'Église catholique.

L'esprit dans lequel cet ouvrage est écrit, et la manière dont il est exécuté, font partout reconnaître un catholique. Le système montaniste qu'il adopta plus tard, et sa séparation de l'Église, ne lui auraient guère permis de soutenir avec tant de force et sans restriction l'argument de la tradition que les catholiques lui opposaient alors si souvent à lui-même. Aussi cet ouvrage devint-il d'avance la condamnation de sa propre conduite. C'est ainsi que la conscience de l'homme peut s'obscurcir au point que la conviction la plus claire se couvre pour lui de nuages, et qu'il ne se comprend plus lui-même,

Du reste, la part que Tertullien a eue à cet ouvrage ne s'étend que jusqu'au c. 44. Le reste y a été ajouté par une • main étrangère. Dans ce même chapitre il remarque que son seul but a été de développer la manière générale dont l'Église devait s'y prendre pour combattre l'hérésie, La réfutation des doctrines des diverses hérésies en particulier, qui occupe les c. 45-52, n'entrait point dans son plan. Son con

tinuateur mérite toutefois des éloges; le style est assez bien imité, et le travail par lui-même n'est pas sans intérêt. Nous reviendrons plus tard sur le contenu.

2o De Baptismo. Dissertation apologétique et dogmatique sur le sacrement du baptême, composée pendant que l'auteur était catholique. L'occasion en fut les menées d'une femme hérétique nommée Quintella, de la secte des caïnites, qui rejetaient le baptême dans l'eau, parce que, d'après eux, il était indigne de la majesté de Dieu de rattacher la communication de son esprit et sa grâce invisible, à des choses extérieures et matérielles comme l'eau. Tertullien retourne l'argument contre eux; c'est précisément, dit-il, dans cette apparente indignité que se cache la grandeur particulière de Dieu. Les types et les prophéties de l'Ancien Testament indiquent ce moyen de salut; jusque dans les mystères des païens, on trouve des imitations infernales de ce mystère chrétien. Il s'étend ensuite sur la nécessité du baptême, sur ses rapports avec la foi ainsi que sur la matière, la forme et l'administration de ce sacrement.

Cet écrit est fort important pour la tradition dogmatique. L'idée de l'essence et de l'action des sacremens y est développée avec clarté et netteté; on y retrouve même notre terminologie dogmatique et liturgique, et le rit du baptême est décrit avec beaucoup de détail.

Adversus Hermogenem, Hermogènes, peintre de Carthage, avait embrassé la secte des gnostiques qui, pour expliquer l'origine du mal, avait recours au dualisme, et plaçait en face de Dieu une matière éternelle comme lui, principe indépendant duquel le monde avait été formé. Hermogènes soutenait qu'il n'y avait que trois cas possibles: ou bien Dieu avait fait le monde de lui, c'est-à-dire de sa substance, ou de rien ou de quelque chose. Dans le premier cas, Dieu et le monde ne sont que des parties d'un seul tout ; dans le second, le mal et toutes ses suites sont l'ouvrage de

Dieu. Or, ni l'une ni l'autre de ces suppositions n'est admis. sible. D'après cela, le troisième cas est le seul qui reste, c'està dire que le monde aurait été formé par Dieu de la matière, co-existante avec lui, pour autant que cette matière en était susceptible; partout où cette force divine et formatrice cesse d'agir, le mal commence, d'où il suit que le mal est une propriété essentielle de la matière. C'est contre cette théorie que Tertullien entreprend avec succès la défense de Dieu. Il prouve non seulement que ces opinions, considérées philosophiquement par la raison, se réduisent à rien, mais encore qu'elles sont absolument contraires à l'Écriture sainte, nonobstant les explications forcées qu'Hermogènes en donne.

L'authenticité de cet ouvrage est incontestable (14); mais il n'est pas également certain que Tertullien l'ait écrit avant celui qui suit et du temps qu'il était encore catholique.

4° Adversus Valentinianos. Vers le commencement du troisième siècle, les partisans de Valentin formaient encore la portion la plus nombreuse des gnostiques. L'extérieur brillant que leur donnait une éducation plus soignée, les faisait regarder avec dédain les catholiques, de qui l'esprit leur paraissait tout-à-fait borné, et cet extérieur, joint au charme attrayant d'une doctrine chrétienne entourée de mystère, entraînait bien des gens dans leurs filets. Tertullien soulève le voile de cette théologie mystérieuse de Valentin, dans l'intention de la réfuter, moins par le raisonnement que par le ridicule. Il ne nous apprend rien de nouveau sur les éons; il a tiré ce qu'il en dit de Justin, de Miltiades, d'Irénée et de Proculus, et il se contente de les faire défiler devant nos yeux dans une scène tragi-comique.

Cet ouvrage appartient certainement au temps de son

(14) Adv. Valentin., c. 16.

apostasie car il y dépeint le montaniste Proclus comme l'ornement de la littérature chrétienne (15).

5o De Anima. Cet ouvrage de la même époque que les deux suivans présente les mêmes tendances. Déjà précédemment Tertullien avait écrit contre Hermogènes un livre de Censu animæ, que nous ne connaissons plus ; cette fois il en composa un plus détaillé, sur la nature et l'histoire intérieure de l'âme humaine contre les gnostiques. Il examine à fond les anciennes théories philosophiques de l'âme. Il reconnaît que l'on y trouve beaucoup de choses fort justes, mais aussi beaucoup d'erreurs, que les hérétiques transportaient sans distinction dans le Christianisme, et il déclare que c'est là le motif qui l'a engagé à écrire. Il commence par soutenir contre les platoniciens que l'âme a été créée; puis tout-à-coup, en continuant à les combattre, il s'embarrasse dans l'étrange erreur de la corporalité de l'âme qu'il cherche à prouver, non seulement spéculativement, mais encore par l'autorité de la Bible. Bientôt après il considère, en opposition avec Platon, l'âme comme une substance simple, qui n'est point distincte de l'esprit et de l'intelligence (animus, mens), lesquels ne sont autre chose à ses yeux que des fonctions de l'âme. Il reconnaît d'ailleurs en elle, avec Platon, une partie rationnelle et une partie irrationnelle, dont la première dérive du Créateur et la seconde du péché, et il défend, dans l'intérêt du Christianisme, contre la philosophie platonicienne et le gnosticisme, la réalité des perceptions par les sens, par rapport à la doctrine platonicienne des idées innées. En parlant de l'origine de l'âme, il combat la philosophie de la préexistence des âmes, le système dustoïcisme, d'après laquelle l'âme entre dans le corps avec la première aspiration, puis la doctrine, moitié platonicienne,

(15) Advers. Valentin., c. 5... ut Proculus.noster, virginis senectæ et christianæ eloquentiæ dignitas. Euseb., hist. eccl., VI, 20.

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