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cesse, l'intercession même des martyrs est sans force; le plus grand acte de pénitence devient ridicule. Le pouvoir de remettre les péchés est, selon Tertullien, un pouvoir divin, et ne saurait, par conséquent, appartenir qu'à l'esprit de Dieu, lequel ne se trouve que dans son église, c'est-à-dire dans l'Église spirituelle ou montaniste. Par la même raison, il ne peut être appliqué que par elle et par ses organes remplis de l'Esprit, mais en aucun cas, par l'église des psychistes et ses évêques (143). A ce système se rattache naturellement celui du sacerdoce universel de tous les chrétiens, même laïques; et quoique Tertullien ne détruise pas complètement la différence entre le laïque et le prêtre, néanmoins, en leur imposant des devoirs égaux, il fait entrer en quelque sorte les premiers dans le partage des priviléges d'état et de fonction (144). Enfin, la nouvelle doctrine était surtout destructive en ce que plusieurs conseils que Jésus-Christ et les apôtres avaient laissés au libre arbitre furent élevés au rang de lois expresses, ce qui en détruisait tout le mérite (145). Il ne s'apercevait pas qu'en changeant en obligations positives ces libres développemens de l'esprit chrétien, il renversait de ses propres mains son idéal de perfection chrétienne. Dans son vertige, il ne songeait pas que ses tendances ascétiques, malgré tout le prix qu'il y attachait, lui avaient déjà fait dépasser les limites de l'Église existante pour le pousser au

le droit de remettre les péchés véniels... salva illa pœnitentiæ specie post fidem, quæ aut levioribus delictis veniam ab episcopo consequi poterit, aut majoribus et irremissibilibus a Deo solo. C. 18.

(143) De Pudicit., c. 13, 22, 21. Adeo nihil ad delicta fidelium capitalia potestas solvendi et alligandi Petro emancipata... Ideo ecclesia quidem delicta donabit, sed ecelesia Spiritus per spiritalem hominem, non ecclesia numerus episcoporum. Domini enim, et non famuli, est jus et arbitrium, Dei ipsius, et non sacerdotis.

(144) De Exhort. cast., c. 7.— De Monogam., 12.

(145) De Monogam, c. 2.

De Exhort, cast., c. 3.

séparatisme. Cependant, cela même aurait dû le faire réfléchir, puisque le vrai Paraclet unit et ne divise pas, et qu'aucun développement de perfectionnement chrétien, quelque spécieux qu'en puisse paraître le but, ne saurait remplacer la perte de la charité..

En attendant, ce ne sont pas là les seules occasions dans lesquelles Tertullien n'a vu les choses que d'un seul côté; il lui échappe bien d'autres imperfections encore dans sa polémique; toutefois il y a aussi des points qu'on lui a injustement reprochés. Il n'entre pas dans notre plan de les développer ici, et nous nous bornerons à remarquer que toutes ces erreurs, quelque importans que dussent en être leurs résultats, peuvent diminuer sa gloire, sans affaiblir la reconnaissance qui lui est due pour ses éminens services.

Editions. L'obscurité du style de Tertullien et la nature particulière de sa latinité ont beaucoup embarrassé ses copistes et par suite les critiques. Il n'y a point d'écrivain qui ait fourni des variantes aussi nombreuses et aussi importantes que Tertullien; mais, en revanche, il n'y en a point qui ait trouvé tant de commentateurs et d'aussi zélés, ce qui n'empêche pas que ses ouvrages ne laissent encore beaucoup à désirer. La première édition de ses œuvres fut publiée par Beatus Rhenanus, à Bâle en 1515, d'après deux manuscrits. Ce texte fut réimprimé plusieurs fois, notamment en 1550 et 1566. René de la Barre (Paris 1580), et avant lui Jacques Pamélius, s'efforcèrent d'en donner une édition complète et satisfaisante, ce dernier en 1579 à Anvers. Ce travail se répandit dans un grand nombre d'éditions différentes, quoique le commentaire qui s'y trouve joint, dépasse toute mesure par son étendue. Tertullien trouva un nouveau commentateur et éditeur dans le jésuite Louis de la Cerda, Paris 1624, 1630, 1641, en 2 vol. Ce travail surchargé d'interprétations, est demeuré incomplet. Nicolas Rigault commença par publier quelques écrits sépa

rés de Tertullien, Paris 1628, et donna son édition complète en 1634, et une seconde en 1635. Le texte en est corrigé d'après de nouveaux manuscrits et éclairci par des remarques critiques, tant de Rigault lui-même que d'autres philologues, et parmi ces remarques, il y en a qui portent aussi sur le contenu même de l'ouvrage. En 1635 et 1641, il y ajouta un volume de supplément, contenant les commentaires qui avaient paru jusqu'alors. Philippe Priorius donna une nouvelle édition de Tertullien en 1664. Elle est moins complète que celle de Rigault et n'a que peu de valeur. Le capucin George d'Ambois publia à Paris, 1646-1650, un commentaire de Tertullien en trois volumes et sous le titre singulier de Tertullianus redivivus. Ce travail offre un grand étalage de science, mais il est d'une prolixité excessive et dépourvu de critique. Cette édition fut suivie de celles de Moreau, augustin, Paris 1658, en trois volumes, intitulée : Tertulliani Omniloquium alphabeticum rationale tripartitum. Le premier volume contient les divers ouvrages de l'auteur, avec des dissertations sur ses erreurs véritables et supposées; dans les deux autres volumes, on trouve des lieux communs tirés de ses ouvrages et rangés par ordre alphabétique. Les éditions de Venise, 1701 et 1708, avec des notes choisies, ainsi que celle de Cologne, 1716, n'offrent rien de particulier. Celle de Giraldi, Venise, 1744, est meilleure ; on y a joint plusieurs dissertations qui avaient paru dans l'intervalle, telles que celle de Havercamp sur l'Apologétique. Les bénédictins de la congrégation de SaintMaur se sont à la vérité occupés aussi de cet utile travail; mais le désir de voir paraître une édition de Tertullien publiée par eux, n'a jamais été rempli. Semler a donné à 'Halle, 1769-1773, une belle édition en 5 vol. in-8°, d'après celle de Bâle 1521, avec de bonnes notes critiques ; cette édition fut complétée en. 1776, par Schutz, qui dans un sixième volume donna une table des matières et un vocabu

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laire. C'est d'après cette édition que s'est réglé Oberthur'; dans celle qu'il a donnée des Pères latins, t. I et II, mais en n'admettant qu'un petit nombre des notes les plus importantes. Les éditions de Cailleau, Milan 1824, et de Gersdorf 1839, sont à peu près égales en mérite, si ce n'est que cette dernière se distingue comme plus complète et offre une plus saine critique.

Indépendamment des éditions que nous venons de citer, plusieurs ouvrages de Tertullien ont aussi été publiés séparément; tels que l'Apologeticus, qui l'a été avec une grande supériorité par Havercamp, Leide 1718. De Oratione, par Pancirolli et Muratori, dans le t. III des Anecdot. lat., Pavie 1713; de Præscriptionibus, par Ch. Lupi, Bruxelles 1675; de Pallio, par Richer, Paris 1600; par Théod. Marsilius, 1614, par Saumaise, Leide 1622; ad Nationes, par Jac. Gottfried, Genève 1625, etc.

MINUCIUS FÉLIX.

Marcus Minucius Félix était jurisconsulte et avocat à Rome. Nous ne déciderons pas s'il était Romain de naissance, ou bien Africain, comme certaines personnes ont cru pouvoir conclure, d'après ses relations sociales et le style de ses écrits; nous ignorons également s'il était ou non de l'illustre famille des Minucii. La dureté de son style n'est pas assez grande, et ses rapports avec Tertullien et d'autres amis dont nous parlerons plus bas ne furent pas de nature à rendre son origine africaine incontestable. Il peut avoir

fait la connaissance du premier à Rome, et quant aux autres, il est fort douteux qu'ils fussent Africains eux-mêmes (1). D'un autre côté, les grandes familles de Rome ayant toutes de nombreux cliens, qui, en s'attachant à elles, prenaient aussi leur nom, il est impossible de décider si Félix appartenait réellement à celle des Minucii. Ce qui est certain, c'est que Minucius Félix, d'abord païen (2), conserva long-temps encore sa religion primitive, après qu'il fut entré à Rome dans la vie publique, et qu'il continua à exercer la profession d'avocat, après avoir embrassé le christianisme, ainsi que le témoignent Lactance et saint Jé rôme (8). La conjecture d'Hermann, qui en citant les paroles de Lactance: Minucius Felix, non ignobilis inter Causidicos loci, prétend qu'il n'a pas voulu parler d'un Causidieus forensis, mais Religionis christiana, et qui voulait changer le mot de loci en celui d'ecclesiæ, se réfute par les paroles mêmes de notre auteur (4). Quant au temps où il a paru, nous l'apprenons de saint Jérôme, qui le place immédiatement avant le prêtre romain Caïus, par conséquent à peu près sous le pontificat de Zéphyrin et le gouvernement de Septime-Sévère ou de Caracalla (5). Il est impossible de ne

(1) Ceillier, Histoire, Tom. II, p. 222. Ce qu'il dit en parlant de Fronto de Cirta, précepteur de Marc-Aurèle (Octav., c. 9, 31), n'est point décisif, puisque l'expression de Cirtensis noster dans la bouche de Cæcilius peut s'entendre des rapports de religion, et il paraît en effet que cela est ainsi par l'expression de Fronto tuus, c. 31.- Cr. Tillemont, Mémoir. T. III, p. 71.

(2) Octav., c. 1, 5.

(3) Octav., c. 2, 28. Lactant. Instit. V, c. 1.-Hieron. çat., c. 38. Epist 83, ad Magnum.

(4) Heumann. Parerg. Goetting. X, p. 208 sq. Minucius Félix dit lui-même, c. 2: Cum ad vindemiam feriæ judiciariam curam reJaxaverant. Cf. c. 28.

(5) Ceillier, Histoire, 1. c. Comme aussi Baronius ad ann. 211.

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