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porte chez soi ce qu'il voit établi ailleurs. Comme les lois y sont sévères et exécutées sur-le-champ, on a peur que la liberté des femmes n'y fasse des affaires. Leurs brouilleries, leurs indiscrétions, leurs répugnances, leurs penchants, leurs jalousies, leurs piques, cet art qu'ont les petites âmes d'intéresser les grands, n'y sauroient être sans conséquence.

De plus, comme dans ces états les princes se jouent de la nature humaine, ils ont plusieurs femmes; et mille considérations les obligent de les renfermer.

Dans les républiques, les femmes sont libres par les lois, et captivées par les mœurs; le luxe en est banni, et, avec lui, la corruption et les vices.

Dans les villes grecques, où l'on ne vivoit pas sous cette religion qui établit que, chez les hommes mêmes, la pureté des mœurs est une partie de la vertu; dans les villes grecques, où un vice aveugle régnoit d'une manière effrénée, où l'amour n'avoit qu'une forme que l'on n'ose dire, tandis que la seule amitié s'étoit retirée dans les mariages (1), la vertu, la simplicité, la chasteté des femmes y étoient telles, qu'on n'a guère jamais vu de peuple qui ait eu à cet égard une meilleure police. (2)

(1) Quant au vrai amour, dit Plutarque, les femmes n'y ont aucune part. (OEuvres morales, Traité de l'amour, page 600.) Il parloit comme son siècle. (Voyez Xénophon, au dialogue intitulé Hiéron.)

(2) A Athènes, il y avoit un magistrat particulier qui veilloit sur la conduite des femmes.

CHAPITRE X.

Du tribunal domestique chez les Romains.

LES Romains n'avoient pas, comme les Grecs, des magistrats particuliers qui eussent inspection sur la conduite des femmes. Les censeurs n'avoient l'œil sur elles que comme sur le reste de la république. L'institution du tribunal domestique (1) suppléa à la magistrature établie chez les Grecs. (2)

Le mari assembloit les parents de la femme, et la jugeoit devant eux (3). Ce tribunal maintenoit les mœurs dans la république. Mais ces mêmes mœurs maintenoient ce tribunal. Il devoit juger, non-seulement de la violation des lois, mais aussi de la violation des mœurs. Or, pour juger de la violation des mœurs, il faut en avoir.

(1) Romulus institua ce tribunal, comme il paroît par Denys d'Halicarnasse, Livre 11, page 96.

(2) Voyez, dans Tite-Live, Livre xxxix, l'usage que l'on fit de ce tribunal, lors de la conjuration des bacchanales : on appela conjuration contre la république, des assemblées où l'on corrompoit les mœurs des femmes et des jeunes gens.

(3) Il paroît, par Denys d'Halicarnasse, Livre I, que, par l'institution de Romulus, le mari, dans les cas ordinaires, jugeoit seul devant les parents de la femme; et que, dans les grands crimes, il la jugeoit avec cinq d'entre eux. Aussi Ulpien, au titre v1, §. 9, 12, et 13, distingue-t-il, dans les jugements des mœurs, celles qu'il appelle graves, d'avec celles qui l'étoient moins Mores graviores, mores

teviores.

Les peines de ce tribunal devoient être arbitraires, et l'étoient en effet car tout ce qui regarde les mœurs, tout ce qui regarde les règles de la modestie, ne peut guère être compris sous un code de lois. Il est aisé de régler, par des lois, ce qu'on doit aux autres; il est difficile d'y comprendre tout ce qu'on se doit à soi-même.

Le tribunal domestique regardoit la conduite générale des femmes. Mais il y avoit un crime qui, outre l'animadversion de ce tribunal, étoit encore soumis à une accusation publique : c'étoit l'adultère; soit que, dans une république, une si grande violation de moeurs intéressât le gouvernement; soit que le dérèglement de la femme pût faire soupçonner celui du mari; soit enfin que l'on craignît que les honnêtes gens mêmes n'aimassent mieux cacher ce crime que le punir, l'ignorer que le

venger.

CHAPITRE XI.

Comment les institutions changèrent à Rome avec gouvernement.

le

COMME le tribunal domestique supposoit des mœurs, l'accusation publique en supposoit aussi; et cela fit que ces deux choses tombèrent avec les mœurs, et finirent avec la république. (1)

(1) Judicio de moribus (quod anteà quidem in antiquis legibus positum erat, non autem frequentabatur) penitùs abolito. (Leg. x1, S. 2, cod. de repud.)

L'établissement des questions perpétuelles, c'està-dire du partage de la juridiction entre les préteurs, et la coutume qui s'introduisit de plus en plus que ces préteurs jugeassent eux-mêmes (1) toutes les affaires, affoiblirent l'usage du tribunal domestique ce qui paroît par la surprise des historiens qui regardent comme des faits singuliers et comme un renouvellement de la pratique ancienne, les jugements que Tibère fit rendre par ce tribunal.

L'établissement de la monarchie et le changement des mœurs firent encore cesser l'accusation publique. On pouvoit craindre qu'un malhonnête homme, piqué des mépris d'une femme, indigné de ses refus, outré de sa vertu même, ne formât le dessein de la perdre. La loi Julie ordonna qu'on ne pourroit accuser une femme d'adultère qu'après avoir accusé son mari de favoriser ses dérèglements; ce qui restreignit beaucoup cette accusation, et l'anéantit, pour ainsi dire. (2)

Sixte V sembla vouloir renouveler l'accusation publique. Mais il ne faut qu'un peu de réflexion pour voir que cette loi, dans une monarchie telle que la sienne, étoit encore plus déplacée que dans toute

autre.

(1) Judicia extraordinaria.

(2) Constantin l'ôta entièrement. « C'est une chose indi» gne, disoit-il, que des mariages tranquilles soient trou» blés par l'audace des étrangers. >>

»

CHAPITRE XII.

De la tutèle des femmes chez les Romains.

LES institutions des Romains mettoient les femmes dans une perpétuelle tutèle, à moins qu'elles ne fussent sous l'autorité d'un mari (1). Cette tutèle étoit donnée au plus proche des parents, par måles; et il paroît, par une expression vulgaire (2), qu'elles étoient très-gênées. Cela étoit bon pour la république, et n'étoit point nécessaire dans la monarchie. (3)

Il paroît, par les divers codes des lois des barbares, que les femmes chez les premiers Germains étoient aussi dans une perpétuelle tutèle (4). Cet usage passa dans les monarchies qu'ils fondèrent; mais il ne subsista pas.

CHAPITRE XIII.

Des peines établies par les empereurs contre les débauches des femmes.

La loi Julie établit une peine contre l'adultère. Mais, bien loin que cette loi et celles que l'on fit

(1) Nisi convenissent in manum viri.

(2) Ne sis mihi patruus oro.

(3) La loi papienne ordonna sous Auguste que les femmes qui auroient eu trois enfants seroient hors de cette tutèle. (4) Cette tutèle s'appeloit chez les Germains mundebur... dium.

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