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depuis là-dessus, fussent une marque de la bonté des mœurs, elles furent au contraire une marque de leur dépravation.

Tout le système politique à l'égard des femmes changea dans la monarchie. Il ne fut plus question d'établir chez elles la pureté des mœurs, mais de punir leurs crimes. On ne faisoit de nouvelles lois, pour punir ces crimes, que parce qu'on ne punissoit plus les violations, qui n'étoient point ces crimes.

L'affreux débordement des mœurs obligeoit bien les empereurs de faire des lois pour arrêter, à un certain point, l'impudicité; mais leur intention ne fut pas de corriger les mœurs en général. Des faits positifs, rapportés par les historiens, prouvent plus cela que toutes ces lois ne sauroient prouver le contraire. On peut voir dans Dion la conduite d'Auguste à cet égard, et comment il éluda, et dans sa préture et dans sa censure, les demandes qui lui furent faites. (1)

(1) Comme on lui eut amené un jeune homme qui avoit épousé une femme avec laquelle il avoit eu auparavant un mauvais commerce, il hésita long-temps, n'osant ni approuver, ni punir ces choses. Enfin, reprenant ses esprits : « Les » séditions ont été cause de grands maux, dit-il; oublions» les. » (Dion, Livre LIV.) Les sénateurs lui ayant demandé des règlements sur les mœurs des femmes, il éluda cette demande, en leur disant, « qu'ils corrigeassent leurs femmes, >> comme il corrigeoit la sienne. » Sur quoi ils le prièrent de leur dire comment il en usoit avec sa femme: question, ce me semble, fort indiscrète.

On trouve bien dans les historiens des jugements rigides rendus sous Auguste et sous Tibère contre l'impudicité de quelques dames romaines; mais, en nous faisant connoître l'esprit de ces règnes, ils nous font connoître l'esprit de ces jugements.

Auguste et Tibère songèrent principalement à punir les débauches de leurs parentes. Ils ne punissoient point le dérèglement des mœurs, mais un certain crime d'impiété ou de lèse-majesté (1) qu'ils avoient inventé, utile pour le respect, utile pour leur vengeance. De là vient que les auteurs romains s'élèvent si fort contre cette tyrannie.

La peine de la loi Julie étoit légère (2). Les empereurs voulurent que, dans les jugements, on augmentât la peine de la loi qu'ils avoient faite. Cela fut le sujet des invectives des historiens. Ils n'examinoient pas si les femmes méritoient d'être punies, mais si l'on avoit violé la loi pour les punir.

Une des principales tyrannies de Tibère (3) fut l'abus qu'il fit des anciennes lois. Quand il voulut

(1) Culpam inter viros et feminas vulgatam gravi nomine læsarum religionum ac violatæ majestatis appellando, clementiam majorum suasque ipse leges egrediebatur. (Tacite, Annal, Livre III, 24.)

(2) Cette loi est rapportée au Digeste; mais on n'y a pas mis la peine. On juge qu'elle n'étoit que de la relégation, puisque celle de l'inceste n'étoit que de la déportation. (Leg. Si quis viduam, ff. de quest.)

(3) Proprium, id Tiberio, fuit, scelera nuper reperta priscis verbis obtegere. (Tacite, Annal. Livre iv, 19.)

punir quelque dame romaine au-delà de la peine portée par la loi Julie, il rétablit contre elle le tribunal domestique. (1)

Ces dispositions à l'égard des femmes ne regardoient que les familles des sénateurs, et non pas celles du peuple. On vouloit des prétextes aux accusations contre les grands, et les déportements des femmes en pouvoient fournir sans nombre.

Enfin, ce que j'ai dit, que la bonté des mœurs n'est pas le principe du gouvernement d'un seul, ne se vérifia jamais mieux que sous ces premiers empereurs; et, si l'on en doutoit, on n'auroit qu'à lire Tacite, Suétone, Juvénal et Martial.

CHAPITRE XIV.

Lois somptuaires chez les Romains.

Nous avons parlé de l'incontinence publique, parce qu'elle est jointe avec le luxe, qu'elle en ́est toujours suivie, et qu'elle le suit toujours. Si vous laissez en liberté les mouvements du cœur, comment pourrez - vous gêner les foiblesses de l'esprit ?

A Rome, outre les institutions générales, les censeurs firent faire, par les magistrats, plusieurs

(1) Adulterii graviorem pœnam deprecatus, ut, exemplo majorum, propinquis suis ultra ducentesimum lapidem removeretur, suasit. Adultero Manlio Italiâ atque Africá interdictum est. (Tacite, Annal., Livre 11, 50.)

lois particulières, pour maintenir les femmes dans la frugalité. Les lois Fannienne, Lycinienne et Oppienne eurent cet objet. Il faut voir, dans TiteLive (1), comment le sénat fut agité, lorsqu'elles demandèrent la révocation de la loi Oppienne. Valère Maxime met l'époque du luxe chez les Romains à l'abrogation de cette loi.

CHAPITRE XV.

Des dots et des avantages nuptiaux dans diverses

constitutions.

LES dots doivent être considérables dans les monarchies, afin que les maris puissent soutenir leur rang et le luxe établi. Elles doivent être médiocres dans les républiques, où le luxe ne doit pas régner (2). Elles doivent être à peu près nulles dans les états despotiques, où les femmes sont, en quelque façon, esclaves.

La communauté des biens, introduite par les lois françoises entre le mari et la femme, est très-convenable dans le gouvernement monarchique, parce qu'elle intéresse les femmes aux affaires domestiques, et les rappelle, comme malgré elles, au soin de leur maison. Elle l'est moins dans la république,

(1) Décade IV, Livre Iv.

(2) Marseille fut la plus sage des républiques de son temps: les dots ne pouvoient passer cent écus en argent, et cinq en habits, dit Strabon, Livre Iv. „

où les femmes ont plus de vertu. Elle seroit absurde dans les états despotiques, où presque toujours les femmes sont elles-mêmes une partie de la propriété du maître.

Comme les femmes, par leur état, sont assez portées au mariage, les gains que la loi leur donne sur les biens de leur mari sont inutiles. Mais ils seroient très-pernicieux dans une république, parce que leurs richesses particulières produisent le luxe. Dans les états despotiques, les gains de noces doivent être leur subsistance, et rien de plus.

CHAPITRE XVI.

Belle coutume des Samnites.

LES Samnites avoient une coutume qui, dans une petite république, et surtout dans la situation où étoit la leur, devoit produire d'admirables effets. On assembloit tous les jeunes gens, et on les jugeoit celui qui étoit déclaré le meilleur de tous prenoit pour sa femme la fille qu'il vouloit; celui qui avoit les suffrages après lui choisissoit encore; et ainsi de suite (1). Il étoit admirable de ne regarder entre les biens des garçons que les belles qualités, et les services rendus à la patrie. Celui qui étoit le plus riche de ces sortes de biens choisissoit une fille dans toute la nation. L'amour, la

(1) Fragm. de Nicolas de Damas, tiré de Stobée, dans le recueil de Const. Porphyr.

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