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cause de la corruption de presque toutes les moarchies.

La monarchie se perd lorsqu'un prince croit qu'il montre plus sa puissance en changeant l'ordre des choses qu'en le suivant; lorsqu'il ôte les fonctions naturelles des uns pour les donner arbitrairement à d'autres; et lorsqu'il est plus amoureux de ses fantaisies que de ses volontés.

La monarchie se perd lorsque le prince, rapportant tout uniquement à lui, appelle l'état à sa capitale, la capitale à sa cour, et la cour à sa seule per-`

sonne.

Enfin elle se perd lorsqu'un prince méconnoît son autorité, sa situation, l'amour de ses peuples, et lorsqu'il ne sent pas bien qu'un monarque doit se juger en sûreté, comme un despote doit se croire en péril.

CHAPITRE VII.

Continuation du même sujet.

Le principe de la monarchie se corrompt lorsque les premières dignités sont les marques de la première servitude; lorsqu'on ôte aux grands le respect des peuples, et qu'on les rend de vils instruments du pouvoir arbitraire.

Il se corrompt encore plus lorsque l'honneur a été mis en contradiction avec les honneurs, et que l'on peut être à la fois couvert d'infamie (1) et de dignités.

(1) Sous le règne de Tibère, on éleva des statues et l'on

Il se corrompt lorsque le prince change sa justice en sévérité; lorsqu'il met, comme les empereurs romains, une tête de Méduse sur sa poitrine (1), lorsqu'il prend cet air menaçant et terrible que Commode faisoit donner à ses statues. (2)

Le principe de la monarchie se corrompt lorsque des âmes singulièrement lâches tirent vanité de la grandeur que pourroit avoir leur servitude, et qu'elles croient que ce qui fait que l'on doit tout au prince fait que l'on ne doit rien à sa patrie.

Mais, s'il est vrai (ce que l'on a vu dans tous les temps) qu'à mesure que le pouvoir du monarque devient immense, sa sûreté diminue, corrompre ce pouvoir jusqu'à le faire changer de nature, n'est-ce pas un crime de lèse-majesté contre lui?

donna les ornements triomphaux aux délateurs; ce qui avilit tellement ces honneurs, que ceux qui les avoient mérités les dédaignèrent. (Fragm. de Dion, Livre LVIII, tiré de l'Extrait des vertus et des vices de Const. Porphyrog. ) Voyez, dans Tacite, comment Néron, sur la découverte et la punition d'une prétendue conjuration, donna à Petronius Turpilianus, à Nerva, à Tigellinus, les ornements triomphaux. ( Annal., Livre xiv. *) Voyez aussi comment les généraux dédaignèrent de faire la guerre, parce qu'ils en méprisoient les honneurs. Pervulgatis triumphi insignibus. (Tacite, Annal., Livre x1, 53.)

(1) Dans cet état, le prince savoit bien quel étoit le principe de son gouvernement.

(2) Hérodien.

* Cette citation est fausse, c'est Livre xv, 72.

CHAPITRE VIII.

Danger de la corruption du principe du gouvernement monarchique.

L'INCONVENIENT n'est pas lorsque l'état passe d'un gouvernement modéré à un gouvernement modéré, comme de la république à la monarchie, ou de la monarchie à la république; mais quand il tombe et se précipite du gouvernement modéré au despotisme.

La plupart des peuples d'Europe sont encore gouvernés par les mœurs. Mais si, par un long abus du pouvoir; si, par une grande conquête, le despotisme s'établissoit à un certain point, il n'y auroit pas de mœurs ni de climat qui tinssent; et, dans cette belle partie du monde la nature humaine souffriroit, au moins pour un temps, les insultes qu'on lui fait dans les trois autres.

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CHAPITRE IX.

Combien la noblesse est portée à défendre le trône.

La noblesse angloise s'ensevelit avec Charles Ier sous les débris du trône; et, avant cela, lorsque Philippe II fit entendre aux oreilles des François le mot de liberté, la couronne fut toujours soutenue par cette noblesse qui tient à honneur d'obéir à un roi, mais qui regarde comme la souveraine infamie de partager la puissance avec le peuple.

On a vu la maison d'Autriche travailler sans relâche à opprimer la noblesse hongroise. Elle ignoroit de quel prix elle lui seroit quelque jour. Elle cherchoit chez ces peuples de l'argent qui n'y étoit pas; elle ne voyoit pas des hommes qui y étoient. Lorsque tant de princes partageoient entre eux ses états, toutes les pièces de sa monarchie, immobiles et sans action, tomboient, pour ainsi dire, les unes sur les autres: il n'y avoit de vie que dans cette noblesse qui s'indigna, oublia tout pour combattre, et crut qu'il étoit de sa gloire de périr et de pardonner.

CHAPITRE X.

De la corruption du principe du gouvernement despotique.

:

Le principe du gouvernement despotique se cor-. rompt sans cesse, parce qu'il est corrompu par sa nature. Les autres gouvernements périssent, parce que des accidents particuliers en violent le principe celui-ci périt par son vice intérieur, lorsque quelques causes accidentelles n'empêchent point son principe de se corrompre. Il ne se maintient donc que quand des circonstances tirées du climat, de la religion, de la situation, ou du génie du peuple, le forcent à suivre quelque ordre, et à souffrir quelque règle. Ces choses forcent sa nature sans la changer sa férocité reste; elle est pour quelque temps apprivoisée.

CHAPITRE XI.

Effets naturels de la bonté et de la corruption des principes.

LORSQUE les principes du gouvernement sont une fois corrompus, les meilleures lois deviennent mauvaises et se tournent contre l'état ; lorsque les principes en sont sains, les mauvaises ont l'effet des bonnes : la force du principe entraîne tout.

Les Crétois, pour tenir les premiers magistrats dans la dépendance des lois, employoient un moyen bien singulier; c'étoit celui de l'insurrection. Une partie des citoyens se soulevoit (1), mettoit en fuite les magistrats, et les obligeoit de rentrer dans la condition privée. Cela étoit censé fait en conséquence de la loi. Une institution pareille, qui établissoit la sédition pour empêcher l'abus du pouvoir, sembloit devoir renverser quelque république que ce fût. Elle ne détruisit pas celle de Crète; voici pourquoi. (2)

Lorsque les anciens vouloient parler d'un peuple qui avoit le plus grand amour pour la patrie, ils citoient les Crétois. La patrie, disoit Platon (3),

(1) Aristote, Polit., Livre 11, Chapitre x.

(2) On se réunissoit toujours d'abord contre les ennemis du dehors, ce qui s'appeloit syncrétisme. (Plutarque, OEuvres morales, page 88.)

(3) République, Livre Ix.

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