Images de page
PDF
ePub

nous apprend que lorsque Annibal retourna à Carthage, il trouva que les magistrats et les principaux citoyens détournoient à leur profit les revenus publics, et abusoient de leur pouvoir. La vertu des magistrats tomba donc avec l'autorité du sénat; tout coula du même principe.

On connoît les prodiges de la censure chez les Romains. Il y eut un temps où elle devint pesante; mais on la soutint, parce qu'il y avoit plus de luxe que de corruption. Claudius l'affoiblit; et, par cet affoiblissement, la corruption devint encore plus grande que le luxe; et la censure (1) s'abolit, pour ainsi dire, d'elle-même. Troublée, demandée, reprise, quittée, elle fut entièrement interrompue jusqu'au temps où elle devint inutile, je veux dire les règnes d'Auguste et de Claude.

[ocr errors]

CHAPITRE XV.

Moyens très efficaces pour la conservation des trois principes.

Je ne pourrai me faire entendre que lorsqu'on aura lu les quatre chapitres suivants.

(1) Voyez Dion, Livre, xxxvIII; la vie de Cicéron dans Plutarque; Cicéron à Atticus, Livre iv, Lettres 10 et 15; Asconius, sur Cicéron, de divinatione.

CHAPITRE XVI.

Propriétés distinctives dans la république.

Il est de la nature d'une république qu'elle n'ait qu'un petit territoire : sans cela elle ne peut guère subsister. Dans une grande république, il y a de grandes fortunes, et par conséquent peu de modération dans les esprits : il y a de trop grands dépôts à mettre entre les mains d'un citoyen; les intérêts se particuralisent; un homme sent d'abord qu'il peut être heureux, grand, glorieux, sans sa patrie; et bientôt, qu'il peut être seul grand sur les ruines de sa patrie.

Dans une grande république, lé bien commun est sacrifié à mille considérations: il est subordonné à des exceptions, il dépend des accidents. Dans une petite, le bien public est mieux senti, mieux connu, plus près de chaque citoyen : les abus y sont moins étendus, et par conséquent moins protégés.

Ce qui fit subsister si long-temps Lacédémone, c'est qu'après toutes ses guerres elle resta toujours avec son territoire. Le seul but de Lacédémone étoit la liberté ; le seul avantage de sa liberté, c'étoit la gloire.

Ce fut l'esprit des républiques grecques de se contenter de leurs terres comme de leurs lois. Athènes prit de l'ambition, et en donna à Lacédémone; mais ce fut plutôt pour commander à des peuples libres que pour gouverner des esclaves; plutôt pour

être à la tête de l'union que pour la rompre. Tout fut perdu lorsqu'une monarchie s'éleva; gouvernement dont l'esprit est plus tourné vers l'agrandis

sement.

:

Sans des circonstances particulières (1), il est difficile que tout autre gouvernement que le républicain puisse subsister dans une seule ville. Un prince d'un si petit état chercheroit naturellement à opprimer, parce qu'il auroit une grande puissance et peu de moyens pour en jouir, ou pour la faire respecter il fouleroit donc beaucoup ses peuples. D'un autre côté, un tel prince seroit aisément opprimé par une force étrangère, ou même par une force domestique : le peuple pourroit à tous les instants s'assembler et se réunir contre lui. Or, quand un prince d'une ville est chassé de sa ville, le procès est fini s'il a plusieurs villes, le procès n'est : commencé.

CHAPITRE XVII.

Propriétés distinctives de la monarchie.

que

UN état monarchique doit être d'une grandeur médiocre. S'il étoit petit, il se formeroit en république; s'il étoit fort étendu, les principaux de l'état, grands par eux-mêmes, n'étant point sous les yeux du prince, ayant leur cour hors de sa cour,

(1) Comme quand un petit souverain se maintient entre deux grands états par leur jalousie mutuelle; mais il n'existe que précairement.

assurés d'ailleurs contre les exécutions promptes,

par les lois et par les mœurs, pourroient cesser d'obéir; ils ne craindroient pas une punition trop lente et trop éloignée.

Aussi Charlemagne eut-il à peine fondé son empire, qu'il fallut le diviser; soit que les gouverneurs des provinces n'obéissent pas, soit que, pour les faire mieux obéir, il fût nécessaire de partager l'empire en plusieurs royaumes.

Après la mort d'Alexandre, son empire fut partagé. Comment ces grands de Grèce et de Macédoine, libres, ou du moins chefs des conquérants répandus dans cette vaste conquête, auroient-ils pu obéir?

Après la mort d'Attila, son empire fut dissous : tant de rois, qui n'étoient plus contenus, ne pouvoient point reprendre des chaînes.

Le prompt établissement du pouvoir sans bornes est le remède qui, dans ces cas, peut prévenir la dissolution: nouveau malheur après celui de l'agrandissement!

Les fleuves courent se mêler dans la mer les monarchies vont se perdre dans le despotisme.

CHAPITRE XVIII.

Que la monarchie d'Espagne étoit dans un cas particulier.

Qu'on ne cite point l'exemple de l'Espagne : elle prouve plutôt ce que je dis. Pour garder l'Amérique,

elle fit ce que le despotisme même ne fait

pas; elle

en détruisit les habitants. Il fallut pour conserver sa colonie, qu'elle la tînt dans la dépendance de sa subsistance même.

pas

Elle essaya le despotisme dans les Pays-Bas; et, sitôt qu'elle l'eut abandonné, ses embarras augmentèrent. D'un côté les Wallons ne vouloient être gouvernés par les Espagnols; et de l'autre, les soldats espagnols ne vouloient pas obéir aux officiers wallons. (1)

Elle ne se maintint dans l'Italie qu'à force de l'enrichir et de se ruiner: car ceux qui auroient voulu se défaire du roi d'Espagne n'étoient pas, pour cela, d'humeur à renoncer à son argent.

CHAPITRE XIX.

Propriétés distinctives du gouvernement despotique.

UN grand empire suppose une autorité despotique dans celui qui gouverne. Il faut que la promptitude des résolutions supplée à la distance des lieux où elles sont envoyées; que la crainte empêche la négligence du gouverneur ou du magistrat éloigné; que la loi soit dans une seule tête, et qu'elle change sans cesse, comme les accidents, qui se multiplient toujours dans l'état à proportion de sa grandeur.

(1) Voyez l'histoire des Provinces-Unies, par M. Le Clerc.

« PrécédentContinuer »