Images de page
PDF
ePub

tale se trouve plus près des différentes frontières justement à proportion de leur foiblesse ; et le prince y voit mieux chaque partie de son pays, à mesure qu'elle est plus exposée.

Mais, lorsqu'un vaste état, tel que la Perse, est attaqué, il faut plusieurs mois pour que pour que les troupes dispersées puissent s'assembler; et on ne force pas leur marche pendant tant de temps, comme on fait pendant quinze jours. Si l'armée qui est sur la frontière est battue, elle est sûrement dispersée, parce que ses retraites ne sont pas prochaines : l'armée victorieuse, qui ne trouve pas de résistance, s'avance à grandes journées, paroît devant la capitale, et en forme le siége, lorsqu'à peine les gouverneurs des provinces peuvent être avertis d'envoyer du secours. Ceux qui jugent la révolution prochaine la hâtent, en n'obéissant 'pas. Car des gens, fidèles uniquement parce que la punition est proche, ne le sont plus dès qu'elle est éloignée; ils travaillent à leurs intérêts particuliers. L'empire se dissout, la capitale est prise, et le conquérant dispute les provinces avec les gouverneurs.

La vraie puissance d'un prince ne consiste pas tant dans la facilité qu'il y a à conquérir que dans la difficulté qu'il y a à l'attaquer, et, si j'ose parler ainsi, dans l'immutabilité de sa condition. Mais l'agrandissement des états leur fait montrer de nouveaux côtés par où on peut les prendre.

Ainsi, comme les monarques doivent avoir de la sagesse pour augmenter leur puissance, ils ne doi

vent pas avoir moins de prudence afin de la borner. En faisant cesser les inconvénients de la petitesse, il faut qu'ils aient toujours l'œil sur les inconvénients de la grandeur.

CHAPITRE VII.

Réflexions.

LES ennemis d'un grand prince qui a si longtemps régné l'ont mille fois accusé, plutôt, je crois, sur leurs craintes que sur leurs raisons, d'avoir formé et conduit le projet de la monarchie universelle. S'il y avoit réussi, rien n'auroit été plus fatal à l'Europe, à ses anciens sujets, à lui, à sa famille. Le ciel, qui connoît les vrais avantages, l'a mieux servi par des défaites qu'il n'auroit fait par des victoires. Au lieu de le rendre le seul roi de l'Europe, il le favorisa plus en le rendant le plus puissant de tous.

Sa nation, qui, dans les pays étrangers, n'est jamais touchée que de ce qu'elle a quitté ; qui, en partant de chez elle, regarde la gloire comme le souverain bien, et, dans les pays éloignés, comme un obstacle à son retour; qui indispose par ses bonnes qualités mêmes, parce qu'elle paroît y joindre du mépris; qui peut supporter les blessures, les périls et les fatigues, et non pas la perte de ses plaisirs ; qui n'aime rien tant que sa gaîté, et se console de la perte d'une bataille lorsqu'elle a chanté le général, n'auroit jamais été jusqu'au bout d'une entreprise qui ne peut manquer dans un pays sans man

quer dans tous les autres, ni manquer un moment sans manquer pour toujours.

CHAPITRE VIII.

Cas où la force défensive d'un état est inférieure à sa force offensive.

C'ÉTOIT le mot du sire de Coucy au roi Charles V, «< que les Anglois ne sont jamais si foibles ni si aisés « à vaincre que chez eux. » C'est ce qu'on disoit des Romains; c'est ce qu'éprouvèrent les Carthaginois; c'est ce qui arrivera à toute puissance qui a envoyé au loin des armées pour réunir, par la force de la discipline et du pouvoir militaire, ceux qui sont divisés chez eux par des intérêts politiques ou civils. L'état se trouve foible, à cause du mal qui reste toujours; et il a été encore affoibli par le remède.

La maxime du sire de Coucy est une exception à la règle générale, qui veut qu'on n'entreprenne point de guerres lointaines; et cette exception confirme bien la règle, puisqu'elle n'a lieu que contre ceux qui ont eux-mêmes violé la règle.

CHAPITRE IX.

De la force relative des états.

TOUTE grandeur, toute force, toute puissance est relative. Il faut bien prendre garde qu'en cherchant à augmenter la grandeur réelle on ne diminue la grandeur relative.

Vers le milieu du règne de Louis XIV, la France fut au plus haut point de sa grandeur relative. L'Allemagne n'avoit point encore les grands monarques qu'elle a eus depuis. L'Italie étoit dans le même cas. L'Écosse et l'Angleterre ne formoient point un corps de monarchie. L'Aragon n'en formoit pas un avec la Castille; les parties séparées de l'Espagne en étoient affoiblies, et l'affoiblissoient. La Moscovie n'étoit plus connue en Europe que la Crimée.

CHAPITRE X.

De la foiblesse des états voisins.

pas

LORSQU'ON a pour voisin un état qui est dans sa décadence, on doit bien se garder de hâter sa ruine, parce qu'on est à cet égard dans la situation la plus heureuse où l'on puisse être, n'y ayant rien de si commode pour un prince que d'être auprès d'un autre qui reçoit pour lui tous les coups et tous les outrages de la fortune. Et il est rare que, par la conquête d'un pareil état, on augmente autant en puissance réelle qu'on a perdu en puissance relative.

LIVRE X.

DES LOIS, DANS LE RAPPORT QU'ELLES ONT AVEC LA FORCE OFFENSIVE.

CHAPITRE I.

De la force offensive.

gens,

La force offensive est réglée par le droit des qui est la loi politique des nations considérées dans le rapport qu'elles ont les unes avec les autres.

CHAPITRE II.

De la guerre.

LA vie des états est comme celle des hommes: ceux-ci ont droit de tuer dans le cas de la défense naturelle; ceux-là ont droit de faire la guerre pour leur propre conservation.

Dans le cas de la défense naturelle, j'ai droit de tuer, parce que ma vie est à moi, comme la vie de celui qui m'attaque est à lui; de même un état fait la guerre, parce que sa conservation est juste comme

toute autre conservation.

Entre les citoyens, le droit de la défense naturelle n'emporte point avec lui la nécessité de l'attaque. Au lieu d'attaquer, ils n'ont qu'à recourir aux tribu

« PrécédentContinuer »