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CHAPITRE XVI.

De la puissance législative dans la république

romaine.

On n'avoit point de droits à se disputer sous les décemvirs; mais, quand la liberté revint, on vit les jalousies renaître : tant qu'il resta quelques priviléges aux patriciens, les plébéiens les leur ôtèrent..

Il y auroit eu peu de mal si les plébéiens s'étoient contentés de priver les patriciens de leurs prérogatives, et s'ils ne les avoient pas offensés dans leur qualité même de citoyens. Lorsque le peuple étoit assemblé par curies ou par centuries, il étoit composé de sénateurs, de patriciens, et de plébéiens. Dans les disputes, les plébéiens gagnèrent ce point (1) que seuls, sans les patriciens et sans le sénat, ils pourroient faire des lois qu'on appela plébiscites; et les comices où on les fit s'appelèrent comices tribus. Ainsi il y eut des cas où les patriciens (2) n'eurent point de part à la puissance législative (3),

(1) Denys d'Halicarnasse, Livre x1, pag. 725.

par

(2) Par les lois sacrées, les plébéiens purent faire des plébiscites, seuls, et sans que les patriciens fussent admis dans leur assemblée. (Denys d'Halicarnasse, Livre vi, pag. 410; et Livre vii, pag. 430.)

(3) Par la loi faite après l'expulsion des décemvirs, les patriciens furent soumis aux plébiscites, quoiqu'ils n'eussent pu y donner leur voix. (Tite-Live, Livre ; et Denys d'Halicarnasse, Livre x1, page 725.) Et cette loi fut confir

et où ils furent soumis à la puissance législative d'un autre corps de l'état : ce fut un délire de la liberté. Le peuple, pour établir la démocratie, choqua les principes mêmes de la démocratie. Il sembloit qu'une puissance aussi exorbitante auroit dû anéantir l'autorité du sénat: mais Rome avoit des institutions admirables. Elle en avoit deux surtout par l'une, la puissance législative du peuple étoit réglée; par l'autre, elle étoit bornée.

Les censeurs, et avant eux les consuls (1), formoient et créoient, pour ainsi dire, tous les cinq ans, le corps du peuple; ils exerçoient la législation sur le corps même qui avoit la puissance législative. <«< Tiberius Gracchus, censeur, dit Cicéron, trans» féra les affranchis dans les tribus de la ville, non la force de son éloquence, mais par une pa» role et par un geste : et, s'il ne l'eût pas fait, cette république, qu'aujourd'hui nous soutenons à peine, » nous ne l'aurions plus.

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D'un autre côté le sénat avoit le pouvoir d'ôter, pour ainsi dire, la république des mains du peuple, par la création d'un dictateur, devant lequel le souverain baissoit la tête, et les lois les plus populaires restoient dans le silence. (2)

mée

par celle de Publius Philo, dictateur, l'an de Rome 416. (Tite-Live, Livre viu.)

cens,

(1) L'an 312 de Rome, les consuls faisoient encore le comme il paroît par Denys d'Halicarnasse, Liv. xi. (2) Comme celles qui permettoient d'appeler au peuple des ordonnances de tous les magistrats.

CHAPITRE XVII.

Delapuissance exécutrice dans la même république.

Si le peuple fut jaloux de sa puissance législative, il le fut moins de sa puissance exécutrice. Il la laissa presque tout entière au sénat et aux consuls; et il ne se réserva guère que le droit d'élire les magistrats, et de confirmer les actes du sénat et des généraux.

Rome, dont la passion étoit de commander, dont l'ambition étoit de tout soumettre, qui avoit toujours usurpé, qui usurpoit encore, avoit continuellement de grandes affaires; ses ennemis conjuroient contre elle, ou elle conjuroit contre ses ennemis.

Obligée de se conduire d'un côté avec un courage héroïque, et de l'autre avec une sagesse consommée, l'état des choses demandoit que le sénat eût la direction des affaires. Le peuple disputoit au sénat toutes les branches de la puissance législative, parce qu'il étoit jaloux de sa liberté; il ne lui disputoit point les branches de la puissance exécutrice, parce qu'il étoit jaloux de sa gloire.

La part que le sénat prenoit à la puissance exécutrice étoit si grande, que Polybe (1) dit que les étran- . gers pensoient tous que Rome étoit une aristocratie. Le sénat disposoit des deniers publics et donnoit les revenus à ferme; il étoit l'arbitre des affaires des

(1) Livre vi.

alliés; il décidoit de la guerre et de la paix, et dirigeoit à cet égard les consuls; il fixoit le nombre des troupes romaines et des troupes alliées, distribuoit les provinces et les armées aux consuls ou aux préteurs; et, l'an du commandement expiré, il pouvoit leur donner un successeur; il décernoit les triomphes; il recevoit des ambassades, et en envoyoit; il nommoit les rois, les récompensoit, les punissoit, les jugeoit, leur donnoit ou leur faisoit perdre le titre d'alliés du peuple romain.

Les consuls faisoient la levée des troupes qu'ils devoient mener à la guerre; ils commandoient les armées de terre ou de mer, disposoient des alliés; ils avoient dans les provinces toute la puissance de la république; ils donnoient la paix aux peuples vaincus, leur en imposoient les conditions, ou les renvoyoient au sénat.

Dans les premiers temps, lorsque le peuple prenoit quelque part aux affaires de la guerre et de la paix, il exerçoit plutôt sa puissance législative que sa puissance exécutrice : il ne faisoit guère que confirmer ce que les rois, et après eux les consuls ou le sénat, avoient fait. Bien loin que le peuple fût l'arbitre de la guerre, nous voyons que les consuls ou le sénat la faisoient souvent malgré l'opposition de ses tribuns. Mais, dans l'ivresse des prospérités, il augmenta sa puissance exécutrice. Ainsi il créa luimême (1) les tribuns des légions, que les généraux

(1) L'an de Rome 444. (Tite-Live, première décade,

avoient nommés jusqu'alors; et, quelque temps avant la première guerre punique, il régla qu'il auroit seul le droit de déclarer la guerre. (1)

CHAPITRE XVIII.

De la puissance de juger dans le gouvernement

de Rome.

La puissance de juger fut donnée au peuple, au sénat, aux magistrats, à de certains juges. Il faut voir comment elle fut distribuée. Je commence par les affaires civiles.

Les consuls (2) jugèrent après les rois, comme les préteurs jugèrent après les consuls. Servius Tullius s'étoit dépouillé du jugement des affaires civiles; les consuls ne les jugèrent pas non plus, si ce n'est dans des cas très-rares (3), que l'on appela pour cette raison extraordinaires (4). Ils se contentèrent

Livre Ix.) La guerre contre Persée paroissant périlleuse, un sénatus-consulte ordonna que cette loi seroit suspendue; et le peuple y consentit. (Tite-Live, cinquième décade, Liv. 11.) (1) Il l'arracha du sénat, dit Freinshemius, deuxième décade, Livre vi.

(2) On ne peut douter que les consuls, avant la création des préteurs, n'eussent eu les jugements civils. (Voyez TiteLive, première décade, Livre II, page 19; Denys d'Halicarnasse, Livre x, page 627; et même Livre, page 645.)

(3) Souvent les tribuns jugèrent seuls, rien ne les rendit plus odieux. (Denys d'Halicarnasse, Livre x1, page 709.) (4) Judicia extraordinaria. (Voyez les Institutes, Liv. Iv.)

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