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Plus on est aisément et fortement frappé, plus il importe de l'être d'une manière convenable, de ne recevoir pas des préjugés, et d'être conduit par la

raison.

Du temps des Romains, les peuples du Nord de l'Europe vivoient sans arts, sans éducation, presque sans lois; et cependant, par le seul bon sens attaché aux fibres grossières de ces climats, ils se maintinrent avec une sagesse admirable contre la puissance romaine jusqu'au moment où ils sortirent de leurs forêts pour la détruire.

CHAPITRE IV.

Cause de l'immutabilité de la religion, des mœurs, des manières, des lois, dans les pays d'Orient.

Si, avec cette foiblesse d'organes qui fait recevoir aux peuples d'Orient les impressions du monde les plus fortes, vous joignez une certaine paresse dans l'esprit, naturellement liée avec celle du corps, qui fasse que cet esprit ne soit capable d'aucune action d'aucun effort, d'aucune contention; vous comprendrez que l'âme qui a une fois reçu des impressions ne peut plus en changer. C'est ce qui fait que les lois, les mœurs (1), et les manières, même celles

(1) On voit, par un fragment de Nicolas de Damas, recueilli par Constantin Porphyrogénète, que la coutume étoit ancienne en Orient d'envoyer étrangler un gouverneur qui déplaisoit ; elle étoit du temps des Mèdes.

qui paroissent indifférentes, comme la façon de se vêtir, sont aujourd'hui en Orient comme elles étoient il y a mille ans.

CHAPITRE V.

Que les mauvais législateurs sont ceux qui ont favorisé les vices du climat, et les bons sont ceux qui s'y sont opposés.

LES Indiens croient que le repos et le néant sont le fondement de toutes choses, et la fin où elles aboutissent. Ils regardent donc l'entière inaction comme l'état le plus parfait et l'objet de leurs désirs. Ils donnent au souverain Être (1) le surnom d'immobile. Les Siamois croient que la félicité (2) suprême consiste à n'être point obligé d'animer une machine et de faire agir un corps.

Dans ces pays où la chaleur excessive énerve et accable, le repos est si délicieux et le mouvement si pénible, que ce système de métaphysique paroît naturel; et (3) Foé, législateur des Indes, a suivi ce qu'il sentoit, lorsqu'il a mis les hommes dans un

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(1) Panamanack. Voyez Kircher.

(2) La Loubère, Relation de Siam, page 446.

(3) Foé veut réduire le cœur au pur vide. « Nous avons des yeux et des oreilles ; mais la perfection est de ne voir » ni entendre une bouche, des mains, etc.; la perfection » est que ces membres soient dans l'inaction. » Ceci est tiré du dialogue d'un philosophe chinois, rapporté par le P. Duhalde, tome III.

état extrêmement passif; mais sa doctrine, née de la paresse du climat, la favorisant à son tour, a causé

mille maux.

Les législateurs de la Chine furent plus sensés, lorsque, considérant les hommes, non pas dans l'état paisible où ils seront quelque jour, mais dans l'action propre à leur faire remplir les devoirs de la vie, ils firent leur religion, leur philosophie, et leurs lois, toutes pratiques. Plus les causes physiques portent les hommes au repos, plus les causes morales les en doivent éloigner.

CHAPITRE VI.

De la culture des terres dans les climats chauds.

La culture des terres est le plus grand travail des hommes. Plus le climat les porte à fuir ce travail, plus la religion et les lois doivent y exciter. Ainsi les lois des Indes, qui donnent les terres aux princes et ôtent aux particuliers l'esprit de propriété, augmentent les mauvais effets du climat, c'est-à-dire la paresse naturelle.

CHAPITRE VII.

Du monachisme.

LE monachisme y fait les mêmes maux ; il est né dans les pays chauds d'Orient, où l'on est moins porté à l'action qu'à la spéculation.

En Asie, le nombre des derviches ou moines semble augmenter avec la chaleur du climat ; les

Indes, où elle est excessive, en sont remplies: on trouve en Europe cette même différence.

Pour vaincre la paresse du climat, il faudroit que les lois cherchassent à ôter tous les moyens de vivre sans travail; mais, dans le midi de l'Europe, elles font tout le contraire; elles donnent à ceux qui veulent être oisifs des places propres à la vie spéculative, et y attachent des richesses immenses. Ces gens, qui vivent dans une abondance qui leur est à charge, donnent avec raison leur superflu au bas peuple: il a perdu la propriété des biens; ils l'en dédommagent par l'oisiveté dont ils le font jouir; et il parvient à aimer sa misère même.

CHAPITRE VIII.

Bonne coutume de la Chine.

LES relations (1) de la Chine nous parlent de la cérémonie d'ouvrir les terres, que l'empereur fait tous les ans (2). On a voulu exciter (3) les peuples au labourage par cet acte public et solennel,

De plus, l'empereur est informé chaque année

(1) Le P. Duhalde, Histoire de la Chine, tome 11, page 72.

(2) Plusieurs rois des Indes font de même. Relation du royaume de Siam, par La Loubère, page 69.

(3) Venty, troisième empereur de la troisième dynastie, cultiva la terre de ses propres mains, et fit travailler à la soie, dans son palais, l'impératrice et ses femmes. (Histoire

de la Chine.)

TOME I.

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du laboureur qui s'est le plus distingué dans sa profession; il le fait mandarin du huitième ordre.

Chez les anciens Perses (1), le huitième jour du mois nommé chorrem-ruz, les rois quittoient leur faste pour manger avec les laboureurs. Ces institutions sont admirables pour encourager l'agriculture.

CHAPITRE IX.

Moyens d'encourager l'industrie.

JE ferai voir, au Livre XIX, que que les nations paresseuses sont ordinairement orgueilleuses. On pourroit tourner l'effet contre la cause, et détruire la paresse par l'orgueil. Dans le midi de l'Europe, où les peuples sont si frappés par le point d'honneur, il seroit bon de donner des prix aux laboureurs qui auroient le mieux cultivé leurs champs, ou aux ouvriers qui auroient porté plus loin leur industrie. Cette pratique réussira même par tout pays. Elle a servi de nos jours en Irlande à l'établissement d'une des plus importantes manufactures de toile qui soit en Europe.

CHAPITRE X.

Des lois qui ont rapport à la sobriété des peuples.

DANS les pays chauds, la partie aqueuse du sang se dissipe beaucoup par la transpiration (2); il y

(1) M. Hyde, Religion des Perses.

(2) M. Bernier, faisant un voyage de Lahor à Cachemire,

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