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faut donc substituer un liquide pareil. L'eau y est d'un usage admirable; les liqueurs fortes y coaguleroient les globules (1) du sang qui restent après la dissipation de la partie aqueuse.

Dans les pays froids, la partie aqueuse du sang s'exhale peu par la transpiration; elle reste en grande abondance: on y peut donc user de liqueurs spiritueuses sans que le sang se coagule. On y est plein d'humeurs; les liqueurs fortes, qui donnent du mouvement au sang, y peuvent être convenables.

La loi de Mahomet, qui défend de boire du vin, est donc une loi du climat d'Arabie aussi, avant Mahomet, l'eau étoit-elle la boisson commune des Arabes. La loi (2) qui défendoit aux Carthaginois de boire du vin étoit aussi une loi du climat ; effectivement le climat de ces deux pays est à peu près le même.

Une pareille loi ne seroit pas bonne dans les pays froids, où le climat semble forcer à une certaine

écrivoit : << Mon corps est un crible; à peine ai-je avalé une » pinte d'eau, que je la vois sortir comme une rosée de tous >> mes membres, jusqu'au bout des doigts. J'en bois dix >> pintes par jour, et cela ne me fait point de mal. » ( Voyage de Bernier, tome 11, page 261.)

(1) Il y a dans le sang des globules rouges, des parties fibreuses, des globules blancs, et de l'eau dans laquelle nage tout cela.

(2) Platon, Livre 11, des Lois. Aristote, Du soin des affaires domestiques. Eusèbe, Prép. évang. Livre x1, Chapitre XVII.

ivrognerie de nation, bien différente de celle de la personne. L'ivrognerie se trouve établie par toute la terre, dans la proportion de la froideur et de l'humidité du climat. Passez de l'équateur jusqu'à notre pole, vous y verrez l'ivrognerie augmenter avec les degrés de latitude. Passez du même équateur au pole opposé, vous y trouverez l'ivrognerie aller vers le midi (1), comme de ce côté-ci elle avoit été vers le nord.

Il est naturel que, là où le vin est contraire au climat, et par conséquent à la santé, l'excès en soit plus sévèrement puni que dans les pays où l'ivrognerie a peu de mauvais effets pour la personne, où elle en a peu pour la société, où elle ne rend point les hommes furieux, mais seulement stupides. Ainsi les lois (2) qui ont punì un homme ivre, et pour la faute qu'il faisoit et pour l'ivresse, n'étoient applicables qu'à l'ivrognerie de la personne, et non à l'ivrognerie de la nation. Un Allemand boit par coutume, un Espagnol par choix.

Dans les pays chauds, le relâchement des fibres produit une grande transpiration des liquides; mais les parties solides se dissipent moins. Les fibres, qui n'ont qu'une action très-foible et peu de ressort,

(1) Cela se voit dans les Hottentots et les peuples de la pointe de Chili, qui sont plus près du sud.

(2) Comme fit Pittacus, selon Aristote, Politiq. Livre 11, Chap. III. Il vivoit dans un climat où l'ivrognerie n'est pas un vice de nation.

ne s'usent guère; il faut peu de suc nourricier pour Les réparer: on y mange donc très-peu.

Ce sont les différents besoins dans les différents climats qui ont formé les différentes manières de vivre ; et ces différentes manières de vivre ont formé les diverses sortes de lois. Que, dans une nation, les hommes se communiquent beaucoup, il faut de certaines lois; il en faut d'autres chez un peuple où l'on ne se communique point.

CHAPITRE XI.

Des lois qui ont du rapport aux maladies du climat.

HERODOTE (1) nous dit que les lois des Juifs sur la lèpre ont été tirées de la pratique des Égyptiens. En effet, les mêmes maladies demandoient les mêmes remèdes. Ces lois furent inconnues aux Grecs et aux premiers Romains, aussi-bien que le mal. Le climat de l'Égypte et de la Palestine les rendit nécessaires; et la facilité qu'a cette maladie à se rendre populaire nous doit bien faire sentir la sagesse et la prévoyance de ces lois.

Nous en avons nous-mêmes éprouvé les effets. Les croisades nous avoient apporté la lèpre, les réglements sages que l'on fit l'empêchèrent de gagner la masse du peuple.

On voit, par la loi (2) des Lombards, que cette

(1) Livre II. - (2) Livre 11, tit. 1, §. 3, et tit. 18, §. 1.

maladie étoit répandue en Italie avant les croisades, et mérita l'attention des législateurs. Rotharis ordonna qu'un lépreux, chassé de sa maison, et relégué dans un endroit particulier, ne pourroit disposer de ses biens, parce que, dès le moment qu'il avoit été tiré de sa maison, il étoit censé mort. Pour empêcher toute communication avec les lépreux, on les rendoit incapables des effets civils.

Je pense que cette maladie fut apportée en Italie par les conquêtes des empereurs grecs, dans les armées desquels il pouvoit y avoir des milices de la Palestine ou de l'Égypte. Quoi qu'il en soit, les progrès en furent arrêtés jusqu'au temps des croisades.

On dit que les soldats de Pompée, revenant de Syrie, rapportèrent une maladie à peu près pareille à la lèpre. Aucun règlement fait pour lors n'est venu jusqu'à nous mais il y a apparence qu'il y en eut, puisque ce mal fut suspendu jusqu'au temps des Lombards.

Il y a deux siècles qu'une maladie, inconnue à nos pères, passa du nouveau monde dans celui-ci, et vint attaquer la nature humaine jusque dans la source de la vie et des plaisirs. On vit la plupart des plus grandes familles du midi de l'Europe périr par un mal qui devint trop commun pour être honteux, et ne fut plus que funeste. Ce fut la soif de l'or qui perpétua cette maladie; on alla sans cesse en Amérique, et on en rapporta toujours de nouveaux levains.

Des raisons pieuses voulurent demander qu'on

laissât cette punition sur le crime : mais cette calamité étoit entrée dans le sein du mariage, et avoit déjà corrompu l'enfance même.

Comme il est de la sagesse des législateurs de veiller à la santé des citoyens, il eût été très-sensé d'arrêter cette communication par des lois faites sur le plan des lois mosaïques.

La peste est un mal dont les ravages sont encore plus prompts et plus rapides. Son siége principal est en Égypte, d'où elle se répand par tout l'univers. On a fait, dans la plupart des états de l'Europe, de très-bons règlements pour l'empêcher d'y pénétrer, et on a imaginé de nos jours un moyen admirable de l'arrêter on forme une ligne de troupes autour du pays infecté, qui empêche toute communication.

:

Les (1) Turcs, qui n'ont à cet égard aucune police, voient les chrétiens dans la même ville échapper au danger, et eux seuls périr. Ils achètent les habits des pestiférés, s'en vêtent (*) et vont leur train. La doctrine d'un destin rigide qui règle tout, fait du magistrat un spectateur tranquille : il pense que Dieu a déjà tout fait, et que lui n'a rien à faire.

(1) Ricaut, de l'empire ottoman, page 284.

(*) Dans les anciennes éditions, on trouve s'en vétissent, comme l'auteur l'aura probablement écrit, mais on écrivoit, même du temps de Montesquieu, Je me vets, tu te vets, il se vết, nous nous vêtons, vous vous vêtez, ils se vétent.

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