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Plutarque nous dit, dans la vie de Numa, que, du temps de Saturne, il n'y avoit ni maître, ni esclave. Dans nos climats, le christianisme a ramené cet âge.

CHAPITRE VIII.

Inutilité de l'esclavage parmi nous.

Il faut donc borner la servitude naturelle à de certains pays particuliers de la terre. Dans tous les autres, il me semble que, quelque pénibles que soient les travaux que la société y exige, on peut tout faire avec des hommes libres.

Ce qui me fait penser ainsi, c'est qu'avant que le christianisme eût aboli en Europe la servitude civile, on regardoit les travaux des mines comme si pénibles, qu'on croyoit qu'ils ne pouvoient être faits que par des esclaves ou par des criminels. Mais on sait qu'aujourd'hui les hommes qui y sont employés vivent heureux (1). On a, par de petits priviléges, encouragé cette profession; on a joint à l'augmentation du travail celle du gain; et on est parvenu à leur faire aimer leur condition plus que toute autre qu'ils eussent pu prendre.

Il n'y a point de travail si pénible qu'on ne puisse proportionner à la force de celui qui le fait, pourvu que ce soit la raison et non pas l'avarice qui le règle.

(1) On peut se faire instruire de ce qui se passe à cet égard dans les mines du Hartz, dans la Basse-Allemagne, et dans celles de Hongrie.

On peut, par la commodité des machines que l'art invente ou applique, suppléer au travail forcé qu'ailleurs on fait faire aux esclaves. Les mines des Turcs, dans le bannat de Témeswar, étoient plus riches celles de Hongrie ; et elles ne produisoient pas tant, parce qu'ils n'imaginoient jamais que les bras de leurs esclaves.

que

Je ne sais si c'est l'esprit ou le cœur qui me dicte cet article-ci. Il n'y a peut-être pas de climat sur la terre où l'on ne pût engager au travail des hommes libres. Parce que les lois étoient mal faites, on a trouvé des hommes paresseux; parce que ces hommes étoient paresseux, on les a mis dans l'esclavage.

CHAPITRE IX.

Des nations chez lesquelles la liberté civile est généralement établie.

ON entend dire tous les jours qu'il seroit bon que parmi nous il y eût des esclaves.

Mais, pour bien juger de ceci, il ne faut pas examiner s'ils seroient utiles à la petite partie riche et voluptueuse de chaque nation; sans doute qu'ils lui seroient utiles; mais, prenant un autre point de vue, je ne crois pas qu'aucun de ceux qui la composent voulût tirer au sort pour savoir qui devroit former la partie de la nation qui seroit libre, et celle qui seroit esclave. Ceux qui parlent le plus pour l'esclavage l'auroient le plus en horreur, et les hommes

les plus misérables en auroient horreur de même. Le cri pour l'esclavage est donc le cri du luxe et de la volupté, et non pas celui de l'amour de la félicité publique. Qui peut douter que chaque homme, en particulier, ne fût très-content d'être le maître des biens, de l'honneur et de la vie des autres, et que toutes ses passions ne se réveillassent d'abord à cette idée? Dans ces choses, voulez-vous savoir si les désirs de chacun sont légitimes examinez les désirs de tous.

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CHAPITRE X.

Diverses espèces d'esclavage.

per

Il y a deux sortes de servitude, la réelle et la sonnelle. La réelle est celle qui attache l'esclave au fonds de terre. C'est ainsi qu'étoient les esclaves chez les Germains, au rapport de Tacite (1). Ils n'avoient point d'office dans la maison; ils rendoient à leur maître une certaine quantité de blé, de bétail, ou d'étoffe : l'objet de leur esclavage n'alloit pas plus loin. Cette espèce de servitude est encore établie en Hongrie, en Bohême, et dans plusieurs endroits de la Basse-Allemagne.

La servitude personnelle regarde le ministère de la maison, et se rapporte plus à la personne du

maître.

L'abus extrême de l'esclavage est lorsqu'il est, en même temps, personnel et réel. Telle étoit la servi

(1) De Moribus Germanorum, xxv.

tude des Ilotes chez les Lacédémoniens; ils étoient soumis à tous les travaux hors de la maison, et à toutes sortes d'insultes dans la maison: cette ilotie est contre la nature des choses. Les peuples simples n'ont qu'un esclavage réel (1), parce que leurs femmes et leurs enfants font les travaux domestiques. Les peuples voluptueux ont un esclavage personnel, parce que le luxe demande le service des esclaves dans la maison, Or, l'ilotie joint, dans les mêmes personnes, l'esclavage établi chez les peuples voluptueux, et celui qui est établi chez les peuples simples.

CHAPITRE XI.

Ce que les lois doivent faire par rapport à l'esclavage.

MAIS, de quelque nature que soit l'esclavage, il faut que les lois civiles cherchent à en ôter, d'un côté les abus, et de l'autre les dangers.

CHAPITRE XII.

Abus de l'esclavage.

DANS les états mahométans (2), on est non-seulement maître de la vie et des biens des femmes escla

(1) Vous ne pourriez (dit Tacite sur les Mœurs des Germains, Chapitre 20) distinguer le maître de l'esclave par les délices de la vie.

(2) Voyez Chardin, Voyage de Perse.

ves, mais encore de ce qu'on appelle leur vertu ou leur honneur. C'est un des malheurs de ces pays, que la plus grande partie de la nation n'y soit faite que pour servir à la volupté de l'autre. Cette servitude est récompensée par la paresse dont on fait jouir de pareils esclaves; ce qui est encore pour l'état un nouveau malheur.

C'est cette paresse qui rend les sérails d'Orient (1) des lieux de délices pour ceux mêmes contre qui ils sont faits. Des gens qui ne craignent que le travail peuvent trouver leur bonheur dans ces lieux tranquilles. Mais on voit que par là on choque même l'esprit de l'établissement de l'esclavage.

La raison veut que le pouvoir du maître ne s'étende point au-delà des choses qui sont de son service: il faut que l'esclavage soit pour l'utilité, et non pas pour la volupté. Les lois de la pudicité sont du droit naturel, et doivent être senties par toutes les nations du monde.

Que si la loi qui conserve la pudicité des esclaves est bonne dans les états où le pouvoir sans bornes se joue de tout, combien le sera-t-elle dans les monarchies ? combien le sera-t-elle dans les états républicains?

Il y a une disposition de la loi (2) des Lombards, qui paroît bonne pour tous les gouvernements. «< Si

(1) Voyez Chardin, Voyage de Perse, tome 11, dans sa description du marché d'Izagour.

(2) Livre 1, tit. 32, §. 5.

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