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>> un maître débauche la femme de son esclave, >> ceux-ci seront tous deux libres. » Tempérament admirable pour prévenir et arrêter, sans trop de rigueur, l'incontinence des maîtres.

Je ne vois pas que les Romains aient eu, à cet égard, une bonne police. Ils lâchèrent la bride à l'incontinence des maîtres; ils privèrent même, en quelque façon, leurs esclaves du droit des mariages. C'étoit la partie de la nation la plus vile: mais, quelque vile qu'elle fût, il étoit bon qu'elle eût des mœurs et, de plus, en lui ôtant les mariages, on corrompoit ceux des citoyens.

CHAPITRE XIII.

Danger du grand nombre d'esclaves.

LE grand nombre d'esclaves a des effets différents dans les divers gouvernements. Il n'est point à charge dans le gouvernement despotique; l'esclavage politique, établi dans le corps de l'état, fait que l'on sent peu l'esclavage civil. Ceux que l'on appelle hommes libres ne le sont guère plus que ceux qui n'y ont pas ce titre; et ceux-ci, en qualité d'eunuques, d'affranchis ou d'esclaves, ayant en main presque toutes les affaires, la condition d'un homme libre et celle d'un esclave se touchent de

fort près. Il est donc presque indifférent que peu ou beaucoup de gens y vivent dans l'esclavage.

Mais, dans les états modérés, il est très-important qu'il n'y ait point trop d'esclaves. La liberté

politique y rend précieuse la liberté civile; et celui qui est privé de cette dernière est encore privé de l'autre. Il voit une société heureuse dont il n'est pas même partie; il trouve la sûreté établie pour les autres, et non pas pour lui; il sent que son maître a une âme qui peut s'agrandir, et que la sienne est contrainte de s'abaisser sans cesse. Rien ne met plus près de la condition des bêtes que de voir toujours des hommes libres, et de ne l'être pas. De telles gens sont des ennemis naturels de la société; et leur nombre seroit dangereux.

Il ne faut donc pas être étonné que, dans les gouvernements modérés, l'état ait été si troublé par la révolte des esclaves, et que cela soit arrivé si rarement (1) dans les états despotiques.

CHAPITRE XIV.

Des esclaves armés.

IL est moins dangereux dans la monarchie d'armer les esclaves que dans les républiques. Là, un peuple guerrier, un corps de noblesse, contiendront assez ces esclaves armés. Dans la république, des hommes uniquement citoyens ne pourront guère contenir des gens qui, ayant les armes à la main, se trouveront égaux aux citoyens.

Les Goths qui conquirent l'Espagne se répandirent dans le pays, et bientôt se trouvèrent très

(1) La révolte des Mamelucs étoit un cas particulier : c'étoit un corps de milice qui usurpa l'empire.

foibles. Ils firent trois règlements considérables : ils abolirent l'ancienne coutume qui leur défendoit de (1) s'allier par mariage avec les Romains; ils établirent que tous les affranchis (2) du fisc iroient à la guerre, sous peine d'être réduits en servitude; ils ordonnèrent que chaque Goth meneroit à la guerre et armeroit la dixième (3) partie de ses esclaves. Ce nombre étoit peu considérable en comparaison de ceux qui restoient. De plus, ces esclaves menés à la guerre par leur maître ne faisoient pas un corps séparé; ils étoient dans l'armée, et restoient, pour ainsi dire, dans la famille.

CHAPITRE XV.

Continuation du même sujet.

QUAND toute la nation est guerrière, les esclaves armés sont encore moins à craindre.

Par la loi des Allemands, un esclave qui voloit (4) une chose qui avoit été déposée étoit soumis à la peine qu'on auroit infligée à un homme libre: mais s'il l'enlevoit par (5) violence, il n'étoit obligé qu'à la restitution de la chose enlevée. Chez les Allemands, les actions qui avoient pour principe le courage et la force n'étoient point odieuses. Ils se ser

(1) Loi des Wisigoths, Livre in, tit. 1, §. 1.

(2) Ibid., Livre v, tit. 7, §. 20.

(3) Ibid., Livre ix,

tit. 1, §. 9.

(4) Loi des Allemands, Chapitre v, §. 3.
(5) Ibid., Chapitre v, §. 5, per virtutem.

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voient de leurs esclaves dans leurs guerres. Dans la plupart des républiques, on a toujours cherché à abattre le courage des esclaves : le peuple allemand, sûr de lui-même, songeoit à augmenter l'audace des siens ; toujours armé, il ne craignoit rien d'eux; c'étoient des instruments de ses brigandages ou de sa gloire.

CHAPITRE XVI.

Précautions à prendre dans le gouvernement modéré.

L'HUMANITÉ que l'on aura pour les esclaves pourra prévenir dans l'état modéré les dangers que l'on pourroit craindre de leur trop grand nombre. Les hommes s'accoutument à tout, et à la servitude même, pourvu que le maître ne soit pas plus dur que la servitude. Les Athéniens traitoient leurs escla, ves avec une grande douceur : on ne voit point qu'ils aient troublé l'état à Athènes, comme ils ébranlèrent celui de Lacédémone.

On ne voit point que les premiers Romains aient eu des inquiétudes à l'occasion de leurs esclaves. Ce fut lorsqu'ils eurent perdu pour eux tous les sentiments de l'humanité, que l'on vit naître ces guerres civiles qu'on a comparées aux guerres puniques. (1)

Les nations simples, et qui s'attachent elles-mêmes au travail, ont ordinairement plus de douceur pour leurs esclaves que celles qui y ont renoncé. Les pre

(1) « La Sicile, dit Florus, plus cruellement dévastée par >> la guerre servile que par la guerre punique. » Livre III.

miers Romains vivoient, travailloient et mangeoient avec leurs esclaves : ils avoient pour eux beaucoup de douceur et d'équité; la plus grande peine qu'ils leur infligeassent étoit de les faire passer devant leurs voisins avec un morceau de bois fourchu sur le dos. Les mœurs suffisoient pour maintenir la fidé-` lité des esclaves; il ne falloit point de lois.

Mais, lorsque les Romains se furent agrandis, que leurs esclaves ne furent plus les compagnons de leur travail, mais les instruments de leur luxe et de leur orgueil, comme il n'y avoit point de mœurs, on eut besoin de lois. Il en fallut même de terribles pour établir la sûreté de ces maîtres cruels qui vivoient au milieu de leurs esclaves comme au milieu de leurs ennemis.

On fit le sénatus-consulte Sillanien, et d'autres lois (1) qui établirent que lorsqu'un maître seroit tué, tous les esclaves qui seroient sous le même toit, ou dans un lieu assez près de la maison pour qu'on pût entendre la voix d'un homme, seroient sans distinction condamnés à la mort. Ceux qui dans ce cas réfugioient un esclave pour le sauver étoient punis comme meurtriers (2). Celui-là même à qui son maître auroit ordonné (3) de le tuer, et qui lui

(1) Voyez tout le titre de senat. consult. Sillan., ff. (2) Leg. si quis, §. 12, ff. de senat. consult. Sillan. (3) Quand Antoine commanda à Éros de le tuer, ce n'étoit point lui commander de le tuer, mais de se tuer luimême, puisque, s'il lui eût obéi, il auroit été puni comme meurtrier de son maître.

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