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Lorsqu'il y a beaucoup d'affranchis, il faut que les lois civiles fixent ce qu'ils doivent à leur patron, ou que le contrat d'affranchissement fixe ces devoirs pour elles.

On sent que leur condition doit être plus favorisée dans l'état civil que dans l'état politique ; parce que, dans le gouvernement même populaire, la puissance ne doit point tomber entre les mains du bas peuple.

A Rome, où il y avoit tant d'affranchis, les lois politiques furent admirables à leur égard. On leur donna peu, et on ne les exclut presque de rien. Ils eurent bien quelque part à la législation; mais ils n'influoient presque point dans les résolutions qu'on pouvoit prendre. Ils pouvoient avoir part aux charges et au sacerdoce même (1); mais ce privilége étoit en quelque façon rendu vain par les désavantages qu'ils avoient dans les élections. Ils avoient droit d'entrer dans la milice; mais, pour être soldat, falloit un certain cens. Rien n'empêchoit les affranchis (2) de s'unir par mariage avec les familles ingénues; mais il ne leur étoit pas permis de s'allier avec celles des sénateurs. Enfin, leurs enfants étoient ingénus, quoiqu'ils ne le fussent pas eux-mêmes.

(1) Tacite, Annales, Liv. 111.

(2) Harangue d'Auguste, dans Dion, Livre LVI.

il

CHAPITRE XIX.

Des affranchis et des eunuques.

AINSI, dans le gouvernement de plusieurs, il est souvent utile que la condition des affranchis soit peu au-dessous de celle des ingénus, et que les lois travaillent à leur ôter le dégoût de leur condition. Mais, dans le gouvernement d'un seul, lorsque le luxe et le pouvoir arbitraire règnent, on n'a rien à faire à cet égard. Les affranchis se trouvent presque toujours au-dessus des hommes libres : ils dominent à la cour du prince et dans les palais des grands: et, comme ils ont étudié les foiblesses de leur maître, et non pas ses vertus, ils le font régner, non pas par ses vertus, mais par ses foiblesses. Tels étoient à Rome les affranchis du temps des empereurs.

Lorsque les principaux esclaves sont eunuques, quelque privilége qu'on leur accorde, on ne peut guère les regarder comme les affranchis. Car, comme ils ne peuvent avoir de famille, ils sont par leur nature attachés à une famille; et ce n'est que par une espèce de fiction qu'on peut les considérer comme citoyens..

Cependant il y a des pays où on leur donne toutes les magistratures. « Au Tonquin, dit Dampierre (1), tous les mandarins civils et militaires

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(1) Tome III, page 91.

» sont eunuques (1). » Ils n'ont point de famille; et, quoiqu'ils soient naturellement avares, le maître ou le prince profitent à la fin de leur avarice même.

Le même Dampierre (2) nous dit que, dans ce pays, les eunuques ne peuvent se passer de femmes, et qu'ils se marient. La loi qui leur permet le mariage ne peut être fondée d'un côté que sur la considération que l'on y a pour de pareilles gens, et de l'autre, sur le mépris qu'on y a pour les femmes.

Ainsi l'on confie à ces gens-là les magistratures, parce qu'ils n'ont point de famille; et, d'un autre côté, on leur permet de se marier, parce qu'ils ont les magistratures.

C'est pour lors que les sens qui restent veulent obstinément suppléer à ceux que l'on a perdus, et que les entreprises du désespoir sont une espèce de jouissance. Ainsi, dans Milton, cet esprit à qui il ne reste que des désirs, pénétré de sa dégradation, veut faire usage de son impuissance même.

On voit dans l'histoire de la Chine un grand nombre de lois pour ôter aux eunuques tous les emplois civils et militaires: mais ils reviennent toujours. Il semble que les eunuques, en Orient, soient un mal nécessaire.

(1) C'étoit autrefois de même à la Chine. Les deux Arabes Mahométans qui y voyagèrent au neuvième siècle, disent l'eunuque quand ils veulent parler du gouverneur d'une ville.

(2) Tome III, page 94.

LIVRE XVI.

COMMENT LES LOIS DE L'ESCLAVAGE DOMESTIQUE ONT DU RAPPORT AVEC LA NATURE DU CLIMAT.

CHAPITRE I.

De la servitude domestique.

LES esclaves sont plutôt établis pour la famille qu'ils ne sont dans la famille. Ainsi je distinguerai leur servitude de celle où sont les femmes dans quelques pays, et que j'appellerai proprement la servitude domestique.

CHAPITRE II.

Que, dans les pays du Midi, il y a dans les deux sexes une inégalité naturelle.

Les femmes sont nubiles, dans les climats chauds, à huit, neuf, et dix ans : ainsi l'enfance et le mariage y vont presque toujours ensemble (1). Elles sont vieilles à vingt : la raison ne se trouve donc

(1) Mahomet épousa Cadhisja à cinq ans, coucha avec elle à huit. Dans les pays chauds d'Arabie et des Indes, les filles y sont nubiles à huit ans, et accouchent l'année d'après. (Prideaux, Vie de Mahomet.) On voit des femmes, dans les royaumes d'Alger, enfanter à neuf, dix et onze ans. (Laugier de Tassis, Histoire du royaume d'Alger, page 61.)

jamais chez elles avec la beauté. Quand la beauté demande l'empire, la raison le fait refuser; quand la raison pourroit l'obtenir, la beauté n'est plus. Les femmes doivent être dans la dépendance; car la raison ne peut leur procurer dans leur vieillesse un empire que la beauté ne leur avoit pas donné dans la jeunesse même. Il est donc très-simple qu'un homme, lorsque la religion ne s'y oppose pas, quitte sa femme pour en prendre une autre, et que la polygamie s'introduise.

Dans les pays tempérés, où les agréments des femmes se conservent mieux, où elles sont plus tard nubiles, et où elles ont des enfants dans un âge plus avancé, la vieillesse de leur mari suit en quelque façon la leur; et, comme elles y ont plus de raison et de connoissances quand elles se marient, ne fût-ce que parce qu'elles ont plus long-temps vécu, il a dû naturellement s'introduire une espèce d'égalité dans les deux sexes, et par conséquent la loi d'une seule

femme.

Dans les pays froids, l'usage presque nécessaire des boissons fortes établit l'intempérance parmi les hommes. Les femmes, qui ont à cet égard une retenue naturelle, parce qu'elles ont toujours à se défendre, ont donc encore l'avantage de la raison sur

eux.

La nature, qui a distingué les hommes par la force et par la raison, n'a mis à leur pouvoir de terme que celui de cette force et de cette raison. Elle a donné aux femmes les agréments, et a voulu que

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