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L'ambition dans l'oisiveté, la bassesse dans l'orgueil, le désir de s'enrichir sans travail, l'aversion pour la vérité, la flatterie, la trahison, la perfidie, l'abandon de tous ses engagements, le mépris des devoirs du citoyen, la crainte de la vertu du prince, l'espérance de ses foiblesses, et, plus que tout cela, le ridicule perpétuel jeté sur la vertu, forment, je crois, le caractère du plus grand nombre des courtisans, marqué dans tous les lieux et dans tous les temps. Or, il est très-malaisé que la plupart des principaux d'un état soient malhonnêtes gens, et que les inférieurs soient gens de bien; que ceux-là soient trompeurs, et que ceux-ci consentent à n'être que dupes.

Que si, dans le peuple, il se trouve quelque malheureux honnête homme (1), le cardinal de Richelieu, dans son testament politique, insinue qu'un monarque doit se garder de s'en servir (2). Tant il est vrai que la vertu n'est pas le ressort de ce gouvernement! Certainement elle n'en est point exclue; mais elle n'en est pas le ressort.

(1) Entendez ceci dans le sens de la note précédente. (2) Il ne faut pas, y est-il dit, se servir de gens de bas lieu; ils sont trop austères et trop difficiles.

CHAPITRE VI.

Comment on supplée à la vertu dans le

nement monarchique.

gouver

JE me hâte et je marche à grands pas, afin qu'on ne croie pas que je fasse une satire du gouvernement monarchique. Non s'il manque d'un ressort, il en a un autre. L'HONNEUR, c'est-à-dire le préjugé de chaque personne et de chaque condition, prend la place de la vertu politique dont j'ai parlé, et la représente partout. Il y peut inspirer les plus belles actions; il peut, joint à la force des lois, conduire au but du gouvernement, comme la vertu même.

Ainsi, dans les monarchies bien réglées, tout le monde sera à peu près bon citoyen, et on trouvera rarement quelqu'un qui soit homme de bien; car, pour être homme de bien (1), il faut avoir intention de l'être (2), et aimer l'état moins pour soi que pour

lui-même.

CHAPITRE VII.

Du principe de la monarchie.

Le gouvernement monarchique suppose, comme nous avons dit, des prééminences, des rangs, et

(1) Ce mot, homme de bien, ne s'entend ici que sens politique.

(2) Voyez la note de la page 37.

dans un

même une noblesse d'origine. La nature de l'honneur est de demander des préférences et des distinctions: il est donc, par la chose même, placé dans ce gouvernement.

L'ambition est pernicieuse dans une république: elle a de bons effets dans la monarchie; elle donne la vie à ce gouvernement; et on y a cet avantage, qu'elle n'y est pas dangereuse, parce qu'elle y peut être sans cesse réprimée.

Vous diriez qu'il en est comme du système de l'univers, où il y a une force qui éloigne sans cesse du centre tous les corps, et une force de pesanteur qui les y ramène. L'honneur fait mouvoir toutes les parties du corps politique; il les lie par son action même; et il se trouve que chacun va au bien commun, croyant aller à ses intérêts particuliers.

Il est vrai que, philosophiquement parlant, c'est un honneur faux qui conduit toutes les parties de l'état; mais cet honneur faux est aussi utile au public que le vrai le seroit aux particuliers qui pour

roient l'avoir.

Et n'est-ce pas beaucoup d'obliger les hommes à faire toutes les actions difficiles et qui demandent de la force, sans autre récompense que le bruit de ces actions?

CHAPITRE VIII.

Que l'honneur n'est point le principe des états despotiques.

Ce n'est point l'honneur qui est le principe des états despotiques : les hommes y étant tous égaux, on n'y peut se préférer aux autres; les hommes y étant tous esclaves, on n'y peut se préférer à rien.

De plus, comme l'honneur a ses lois et ses règles, et qu'il ne sauroit plier; qu'il dépend bien de son propre caprice, et non pas de celui d'un autre, il ne peut se trouver que dans des états où la constitution est fixe, et qui ont des lois certaines.

Comment seroit-il souffert chez le despote? Il fait gloire de mépriser la vie, et le despote n'a de force que parce qu'il peut l'ôter. Comment pourroit-il souffrir le despote? Il a des règles suivies, et des caprices soutenus; le despote n'a aucune règle, et ses caprices détruisent tous les autres.

L'honneur, inconnu aux états despotiques, où même souvent on n'a pas de mots pour l'exprimer (1), règne dans les monarchies; il y donne la vie à tout le corps politique, aux lois, et aux vertus

mêmes.

(1) Voyez Perry, page 447.

CHAPITRE IX.

Du principe du gouvernement despotique.

COMME il faut de la vertu dans une république, et dans une monarchie de l'honneur, il faut de la CRAINTE dans un gouvernement despotique: pour la vertu, elle n'y est point nécessaire, et l'honneur y seroit dangereux.

Le pouvoir immense du prince y passe tout entier à ceux à qui il le confie. Des gens capables de s'estimer beaucoup eux-mêmes seroient en état d'y faire des révolutions. Il faut donc que la crainte y abatte tous les courages, et y éteigne jusqu'au moindre sentiment d'ambition.

Un gouvernement modéré peut, tant qu'il veut, et sans péril, relâcher ses ressorts : il se maintient par ses lois et par sa force même. Mais lorsque, dans le gouvernement despotique, le prince cesse un moment de lever le bras; quand il ne peut pas anéantir à l'instant ceux qui ont les premières places (1), tout est perdu : car le ressort du gouvernement, qui est la crainte, n'y étant plus, le peuple n'a plus de protecteur.

C'est apparemment dans ce sens que des cadis ont soutenu que le grand-seigneur n'étoit point obligé de tenir sa parole ou son serment, lorsqu'il bornoit par là son autorité. (2)

(1) Comme il arrive souvent dans l'aristocratie militaire. (2) Ricaut, de l'Empire ottoman.

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