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par les nations de l'Europe et de l'Afrique, ne peut guère aujourd'hui montrer son propre génie : mais ce que nous savons de son ancienne histoire est trèsconforme à nos principes.

CHAPITRE VIII.

De la capitale de l'empire.

UNE des conséquences de ce que nous venons de dire, c'est qu'il est important à un très-grand prince de bien choisir le siége de son empire. Celui qui le placera au midi courra risque de perdre le nord; et celui qui le placera au nord conservera aisément le midi. Je ne parle pas des cas particuliers; la mécanique a bien ses frottements, qui souvent changent ou arrêtent les effets de la théorie : la politique a aussi les siens.

LIVRE XVIII.

DES LOIS, DANS LE RAPPORT QU'ELLES ONT AVEC LA NATURE DU TERRAIN.

CHAPITRE I.

Comment la nature du terrain influe sur les lois.

La bonté des terres d'un pays y établit naturellement la dépendance. Les gens de la campagne, qui y font la principale partie du peuple, ne sont pas si jaloux de leur liberté : ils sont trop occupés, et trop pleins de leurs affaires particulières. Une campagne qui regorge de biens craint le pillage, elle craint une armée. « Qui est-ce qui forme le bon » parti? disoit Cicéron à Atticus (1). Seront-ce les >> gens de commerce et de la campagne ? à moins » que nous n'imaginions qu'ils sont opposés à la >> monarchie, eux à qui tous les gouvernements » sont égaux, dès lors qu'ils sont tranquilles. »

Ainsi le gouvernement d'un seul se trouve plus souvent dans les pays fertiles; et le gouvernement de plusieurs dans les pays qui ne le sont pas ; ce qui est quelquefois un dédommagement.

La stérilité du terrain de l'Attique y établit le gouvernement populaire; et la fertilité de celui de

(1) Livre vII, ép. 7.

Lacédémone, le gouvernement aristocratique. Car, dans ces temps - là, on ne vouloit point dans la Grèce du gouvernement d'un seul : or, le gouvernement aristocratique a plus de rapport avec le gouvernement d'un seul.

Plutarque (1) nous dit que la sédition cilonienne ayant été apaisée à Athènes, la ville retomba dans ses anciennes dissensions, et se divisa en autant de partis qu'il y avoit de sortes de territoires dans le pays de l'Attique. Les gens de la montagne vouloient à toute force le gouvernement populaire; ceux de la plaine demandoient le gouvernement des principaux; ceux qui étoient près de la mer étoient pour un gouvernement mêlé des deux.

CHAPITRE II.

Continuation du même sujet.

CES pays fertiles sont des plaines où l'on ne peut rien disputer au plus fort: on se soumet donc à lui, et, quand on lui est soumis, l'esprit de liberté n'y sauroit revenir; les biens de la campagne sont un gage de la fidélité. Mais, dans les pays de montagnes, on peut conserver ce que l'on a, et l'on a peu à conserver. La liberté, c'est-à-dire le gouverne→ ment dont on jouit, est le seul bien qui mérite qu'on le défende. Elle règne donc plus dans les pays montagneux et difficiles que dans ceux que la nature sembloit avoir plus favorisés.

(1) Vie de Solon.

Les montagnards conservent un gouvernement plus modéré, parce qu'ils ne sont pas si fort exposés à la conquête. Ils se défendent aisément, ils sont attaqués difficilement, les munitions de guerre et de bouche sont assemblées et portées contre eux avec beaucoup de dépense; le pays n'en fournit point. Il est donc plus difficile de leur faire la guerre, plus dangereux de l'entreprendre; et toutes les lois que l'on fait pour la sûreté du peuple y ont moins de lieu.

CHAPITRE III.

Quels sont les pays les plus cultivés.

LES pays ne sont pas cultivés en raison de leur fertilité, mais en raison de leur liberté; et, si l'on divise la terre par la pensée, on sera étonné de voir la plupart du temps des déserts dans ses parties les plus fertiles, et de grands peuples dans celles où le terrain semble refuser tout.

Il est naturel qu'un peuple quitte un mauvais pays pour en chercher un meilleur, et non pas qu'il quitte un bon pays pour en chercher un pire. La plupart des invasions se font donc dans les pays que la nature avoit faits pour être heureux ; et comme rien n'est plus près de la dévastation que l'invasion, les meilleurs pays sont le plus souvent dépeuplés, tandis que l'affreux pays du nord reste toujours habité, par la raison qu'il est presque inhabitable.

On voit, par ce que les historiens nous disent du passage des peuples de la Scandinavie sur les bords

du Danube, que ce n'étoit point une conquête, mais seulement une transmigration dans des terres désertes.

Ces climats heureux avoient donc été dépeuplés par d'autres transmigrations, et nous ne savons pas les choses tragiques qui s'y sont passées.

« Il paroît, par plusieurs monuments, dit Aris» tote (1), que la Sardaigne est une colonie grec» que. Elle étoit autrefois très-riche ; et Aristée, dont » on a tant vanté l'amour pour l'agriculture, lui » donna des lois. Mais elle a bien déchu depuis ; car » les Carthaginois s'en étant rendus les maîtres, ils >> y détruisirent tout ce qui pouvoit la rendre propre » à la nourriture des hommes, et défendirent, sous » peine de la vie, d'y cultiver la terre. » La Sardaigne n'étoit point rétablie du temps d'Aristote elle ne l'est point encore aujourd'hui.

Les parties les plus tempérées de la Perse, de la Turquie, de la Moscovie et de la Pologne, n'ont pu se rétablir des dévastations des grands et des petits Tartares.

CHAPITRE IV.

Nouveaux effets de la fertilité et de la stérilité

du pays. !

LA stérilité des terres rend les hommes industrieux, sobres, endurcis au travail, courageux, propres à la guerre ; il faut bien qu'ils se procurent

(1) Ou celui qui a écrit le livre de mirabilibus.

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