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ce que le terrain leur refuse. La fertilité d'un pays donne, avec l'aisance, la mollesse et un certain amour pour la conservation de la vie.

On a remarqué que les troupes d'Allemagne levées dans des lieux où les paysans sont riches, comme en Saxe, ne sont pas si bonnes que les autres. Les lois militaires pourront pourvoir à cet inconvénient par une plus sévère discipline..

CHAPITRE V.

Des peuples des îles.

Les peuples des îles sont plus portés à la liberté que les peuples du continent. Les îles sont ordinairement d'une petite étendue (1); une partie du peuple ne peut pas être si bien employée à opprimer l'autre ; la mer les sépare des grands empires, et la tyrannie ne peut pas s'y prêter la main; les conquérants sont arrêtés par la mer, les insulaires ne sont pas enveloppés dans la conquête, et ils conservent plus aisément leurs lois.

CHAPITRE VI.

Des pays formés par l'industrie des hommes.

LES pays que l'industrie des hommes a rendus habitables, et qui ont besoin, pour exister, de la même industrie, appellent à eux le gouvernement

(1) Le Japon déroge à ceci par sa grandeur et par sa servitude.

modéré. Il y en a principalement trois de cette espèce, les deux belles provinces de Kiang-nan et Tche-kiang à la Chine, l'Égypte et la Hollande.

Les anciens empereurs de la Chine n'étoient point conquérants. La première chose qu'ils firent pour s'agrandir fut celle qui prouva le plus leur sagesse. On vit sortir de dessous les eaux les deux plus belles provinces de l'empire; elles furent faites par les hommes. C'est la fertilité inexprimable de ces deux provinces qui a donné à l'Europe les idées de la félicité de cette vaste contrée. Mais un soin continuel et nécessaire pour garantir de la destruction une partie si considérable de l'empire, demandoit plutôt les mœurs d'un peuple sage que celles d'un peuple voluptueux, plutôt le pouvoir légitime d'un monarque que la puissance tyrannique d'un despote. Il falloit que le pouvoir y fût modéré, comme il l'étoit autrefois en Égypte. Il falloit que le pouvoir y fût modéré, comme il l'est en Hol lande, que la nature a faite pour avoir attention sur elle-même, et non pas pour être abandonnée à la nonchalance ou au caprice.

Ainsi, malgré le climat de la Chine, où l'on est naturellement porté à l'obéissance servile, malgré les horreurs qui suivent la trop grande étendue d'un empire, les premiers législateurs de la Chine furent obligés de faire de très-bonnes lois, et le gouvernement fut souvent obligé de les suivre.

CHAPITRE VII.

Des ouvrages des hommes.

Les hommes, par leurs soins et par de bonnes lois, ont rendu la terre plus propre à être leur demeure. Nous voyons couler les rivières là où étoient des lacs et des marais : c'est un bien que la nature n'a point fait, mais qui est entretenu par la nature. Lorsque les Perses (1) étoient les maîtres de l'Asie, ils permettoient à ceux qui amèneroient de l'eau de fontaine en quelque lieu qui n'auroit point été encore arrosé, d'en jouir pendant cinq générations; et, comme il sort quantité de ruisseaux du mont Taurus, ils n'épargnèrent aucune dépense pour en faire venir de l'eau. Aujourd'hui, sans savoir d'où elle peut venir, on la trouve dans ses champs et dans ses jardins.

Ainsi, comme les nations destructrices font des maux qui durent plus qu'elles, il y a des nations industrieuses qui font des biens qui ne finissent même avec elles.

pas

CHAPITRE VIII.

Rapport général des lois.

Les lois ont un très-grand rapport avec la façon dont les divers peuples se procurent la subsistance. Il faut un code de lois plus étendu pour un peuple

(1) Polybe, Liv. x.

qui s'attache au commerce et à la mer que pour un peuple qui se contente de cultiver ses terres. Il en faut un plus grand pour celui-ci que pour un peuple qui vit de ses troupeaux. Il en faut un plus grand pour ce dernier que pour un peuple qui vit de sa chasse.

CHAPITRE IX.

Du terrain de l'Amérique.

Ce qui fait qu'il y a tant de nations sauvages en Amérique, c'est que la terre y produit d'elle-même beaucoup de fruits dont on peut se nourrir. Si les femmes y cultivent autour de la cabane un morceau de terre, le maïs y vient d'abord. La chasse et la pêche achèvent de mettre les hommes dans l'abondance. De plus, les animaux qui paissent, comme les bœufs, les buffles, etc., y réussissent mieux que les bêtes carnassières. Celles-ci ont eu de tout temps l'empire de l'Afrique.

Je crois qu'on n'auroit point tous ces avantages en Europe, si l'on y laissoit la terre inculte; il n'y viendroit guère que des forêts, des chênes et autres arbres stériles.

CHAPITRE X.

Du nombre des hommes, dans le rapport avec la manière dont ils se procurent la subsistance.

QUAND les nations ne cultivent pas les terres, voici dans quelle proportion le nombre des hommes s'y trouve. Comme le produit d'un terrain inculte

TOME I.

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est au produit d'un terrain cultivé, de même le nombre des sauvages, dans un pays, est au nombre des laboureurs dans un autre; et, quand le peuple qui cultive les terres cultive aussi les arts, cela suit des proportions qui demanderoient bien des détails.

Ils ne peuvent guère former une grande nation. S'ils sont pasteurs, ils ont besoin d'un grand pays pour qu'ils puissent subsister en certain nombre; s'ils sont chasseurs, ils sont encore en plus petit nombre, et forment pour vivre une plus petitenation.

Leur pays est ordinairement plein de forêts, et, comme les hommes n'y ont point donné de cours aux eaux, il est rempli de marécages, où chaque troupe se cantonne et forme une petite nation.

CHAPITRE XI.

Des peuples sauvages et des peuples barbares.

Il y a cette différence entre les peuples sauvages et les peuples barbares, que les premiers sont de petites nations dispersées, qui, par quelques raisons particulières, ne peuvent pas se réunir; au lieu que les barbares sont ordinairement de petites nations qui peuvent se réunir. Les premiers sont ordinairement des peuples chasseurs; les seconds, des peuples pasteurs. Cela se voit bien dans le nord de l'Asie. Les peuples de la Sibérie ne sauroient vivre en corps, parce qu'ils ne pourroient se nourrir; les Tartares peuvent vivre en corps pendant quelque temps, parce que leurs troupeaux peuvent être ras

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