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Le Paraguay peut nous fournir un autre exemple. On a voulu en faire un crime à la société, qui regarde le plaisir de commander comme le seul bien de la vie mais il sera toujours beau de gouverner les hommes en les rendant heureux. (1)

:

Il est glorieux pour elle d'avoir été la première qui ait montré dans ces contrées l'idée de la religion jointe à celle de l'humanité. En réparant les dévastations des Espagnols elle a commencé à guérir une des grandes plaies qu'ait encore reçues le genre humain.

Un sentiment exquis qu'a cette société pour tout ce qu'elle appelle honneur, son zèle pour une religion qui humilie bien plus ceux qui l'écoutent que ceux qui la prêchent, lui ont fait entreprendre de grandes choses; et elle y a réussi. Elle a retiré des bois des peuples dispersés; elle leur a donné une subsistance assurée ; elle les a vêtus: et quand elle L'auroit fait par là qu'augmenter l'industrie parmi les hommes, elle auroit beaucoup fait.

Ceux qui voudront faire des institutions pareilles établiront la communauté de biens de la république de Platon, ce respect qu'il demandoit pour les dieux, cette séparation d'avec les étrangers pour la conservation des mœurs, et la cité faisant le commerce et non pas les citoyens: ils donneront nos arts sans notre luxe, et nos besoins sans nos désirs.

(1) Les Indiens du Paraguay ne dépendent point d'un seigneur particulier, ne payent qu'un cinquième des tributs, et ont des armes à feu pour se défendre.

Ils proscriront l'argent, dont l'effet est de grossir la fortune des hommes au-delà des bornes que la nature y avoit mises, d'apprendre à conserver inutilement ce qu'on avoit amassé de même, de multiplier à l'infini les désirs, et de suppléer à la nature, qui nous avoit donné des moyens très-bornés d'irriter nos passions, et de nous corrompre les uns les

autres.

« Les Épidamniens (1), sentant leurs mœurs se » corrompre par leur communication avec les bar>> bares, élurent un magistrat pour faire tous les » marchés au nom de la cité et pour la cité. » Pour lors, le commerce ne corrompt pas la constitution, et la constitution ne prive pas la société des avantages du commerce.

CHAPITRE VII.

En quel cas ces institutions singulières peuvent

être bonnes.

CES sortes d'institutions peuvent convenir dans les républiques, parce que la vertu politique en est le principe: mais, pour porter à l'honneur dans les monarchies, ou pour inspirer de la crainte dans les états despotiques, il ne faut pas tant de soins.

Elles ne peuvent d'ailleurs avoir lieu que dans un petit état (2), où l'on peut donner une éducation

(1) Plutarque, Demande des choses grecques.

(2) Comme étoient les villes de la Grèce.

générale, et élever tout un peuple comme une famille.

Les lois de Minos, de Lycurgue, et de Platon, supposent une attention singulière de tous les citoyens les uns sur les autres. On ne peut se promettre cela dans la confusion, dans les négligences, dans l'étendue des affaires d'un grand peuple.

Il faut, comme on l'a dit, bannir l'argent dans ces institutions. Mais, dans les grandes sociétés, le nombre, la variété, l'embarras, l'importance des affaires, la facilité des achats, la lenteur des échanges, demandent une mesure commune. Pour porter partout sa puissance, ou la défendre partout, il faut avoir ce à quoi les hommes ont attaché partout la puissance.

CHAPITRE VIII.

Explication d'un paradoxe des anciens, par rapport aux mœurs.

POLYBE, le judicieux Polybe, nous dit que la musique étoit nécessaire pour adoucir les mœurs des Arcades, qui habitoient un pays où l'air est triste et froid; que ceux de Cynète, qui négligèrent la musique, surpassèrent en cruauté tous les Grecs, et qu'il n'y a point de ville où l'on ait vu tant de crimes. Platon ne craint point de dire que l'on ne peut faire de changement dans la musique, qui n'en soit un dans la constitution de l'état. Aristote, qui semble n'avoir fait sa Politique que

pour opposer ses sentiments à ceux de Platon, est pourtant d'accord avec lui touchant la puissance de la musique sur les mœurs. Théophraste, Plutarque (1), Strabon (2), tous les anciens ont pensé de même. Ce n'est point une opinion jetée sans réflexion; c'est un des principes de leur politique (3). C'est ainsi qu'ils donnoient des lois, c'est ainsi qu'ils vouloient qu'on gouvernât les cités.

Je crois que je pourrois expliquer ceci. Il faut se mettre dans l'esprit que, dans les villes grecques, surtout celles qui avoient pour principal objet la guerre, tous les travaux et toutes les professions qui pouvoient conduire à gagner de l'argent étoient regardés comme indignes d'un homme libre. « La

plupart des arts, dit Xénophon (4), corrompent » le corps de ceux qui les exercent; ils obligent de >> s'asseoir à l'ombre, ou près du feu on n'a de » temps, ni pour ses amis, ni pour la république. >> Ce ne fut que dans la corruption de quelques démocraties que les artisans parvinrent à être ci

(1) Vie de Pélopidas.

(2) Liv. 1.

(3) Platon, Livre Iv des Lois, dit que les préfectures de la musique et de la gymnastique sont les plus importants emplois de la cité; et, dans sa République, Livre I, Damon vous dira, dit-il, quels sont les sons capables de faire naître la bassesse de l'áme, l'insolence, et les vertus contraires.

(4) Livre v. Dits mémorables. *

* Il y a ici une erreur : cet ouvrage de Xénophon n'a que quatre Livres.

toyens. C'est ce qu'Aristote (1) nous apprend; et il soutient qu'une bonne république ne leur donnera jamais le droit de cité. (2)

:

L'agriculture étoit encore une profession servile, et ordinairement c'étoit quelque peuple vaincu qui l'exerçoit les Ilotes, chez les Lacédémoniens; les Périéciens, chez les Crétois; les Pénestes, chez les Thessaliens; d'autres (3) peuples esclaves, dans d'autres républiques.

Enfin tout bas commerce (4) étoit infâme chez les Grecs. Il auroit fallu qu'un citoyen eût rendu des services à un esclave, à un locataire, à un étranger: cette idée choquoit l'esprit de la liberté grecque; aussi Platon (5) veut-il, dans ses Lois, qu'on punisse un citoyen qui feroit le commerce.

(1) Politique, Livre III, Chapitre Iv.

(2) Diophante, dit Aristote, Politique, Chap. vII, établit autrefois à Athènes, que les artisans seroient esclaves du public.

(3) Aussi Platon et Aristote veulent-ils que les esclaves cultivent les terres. (Lois, Livre vi; Politiq., Livre VII, Chap. x.) Il est vrai que l'agriculture n'étoit pas partout exercée par des esclaves au contraire, comme dit Aristote, les meilleures républiques étoient celles où les citoyens s'y attachoient. Mais cela n'arriva que par la corruption des anciens gouvernements, devenus démocratiques; car, dans les premiers temps, les villes de Grèce vivoient dans l'aristocratie.

(4) Cauponatio. (5) Liv. II.

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